Colloque de l’ISEO du 12-14 mars 2019, 1ère partie (Jean-Claude Cochery)

Le choix du thème de ce colloque a été motivé par la volonté de marquer le vingtième anniversaire de la Déclaration commune sur La Doctrine de la Justification entre l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale. Celle-ci apparaît, en effet, exemplaire à plus d’un titre, non seulement par son contenu qui permet, non d’effacer, mais de dépasser en les surmontant les condamnations réciproques du passé au sujet de la doctrine centrale de la justification, mais aussi en raison de la démarche qui a conduit à ce qu’un accord ait été possible après 450 ans de séparation ; c’est ce que l’on a appelé le consensus différencié, ou, selon une tendance plus récente, consensus différenciant.

Le choix du thème de ce colloque a été motivé par la volonté de marquer le vingtième anniversaire de la Déclaration commune sur La Doctrine de la Justification entre l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale.

Celle-ci apparaît, en effet, exemplaire à plus d’un titre, non seulement par son contenu qui permet, non d’effacer, mais de dépasser en les surmontant les condamnations réciproques du passé au sujet de la doctrine centrale de la justification, mais aussi en raison de la démarche qui a conduit à ce qu’un accord ait été possible après 450 ans de séparation ; c’est ce que l’on a appelé le consensus différencié, ou, selon une tendance plus récente, consensus différenciant. Le mérite de la Déclaration commune (DC) est, en effet, d’avoir permis de dégager un consensus entre catholiques et luthériens sur une compréhension commune de la doctrine de la justification, tout en reconnaissant la légitimité de formulations différentes ou complémentaires mais non contradictoires, propres à la sensibilité de chacune des confessions. Tel est la signification du consensus différencié, terme retenu à l’origine, qui s’avère plus précisément être différenciant, dans la mesure où il distingue ce qui relève du contenu de la doctrine de ce qui relève de son expression, permettant ainsi son appropriation par chacune des Églises concernées. Cette distinction s’avère d’ailleurs d’autant plus nécessaire qu’il existe des différences sémantiques entre les différentes langues qui ne permettent pas d’exprimer strictement de la même façon une réalité donnée ; ce phénomène a d’ailleurs fait l’objet d’une communication de Michel Stavrou, professeur à l’Institut de théologie orthodoxe et à l’ISEO, qui a notamment souligné ces différences non seulement entre les rédactions allemande, anglaise, et française de la DC, mais aussi entre les deux traductions françaises en vigueur ! (ce séminaire devrait avoir pour projet de proposer une traduction unifiée de la DC). De plus un autre aspect remarquable de la DC a été sa réception par les autres confessions chrétiennes : signée à l’origine entre deux partenaires, l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale, ces derniers furent rejoints par d’autres qui apportèrent à leur tour leur contribution pour approuver et compléter la déclaration initiale en des termes spécifiques correspondant pour chacun à leur propre sensibilité. Tel fut le cas de la Conférence méthodiste mondiale en 2006, de la Communion anglicane en 2016 et de la Communion mondiale d’Églises réformées (CMER) en 2017.

En introduisant ce colloque Luc Forestier, directeur de l’ISEO, a d’une part souligné la tension qui existait entre les deux termes de justice et de justification retenus pour en définir le thème, donnant ainsi une orientation sur les débats à venir, et d’autre part indiqué la nécessité de dépasser le simple fait d’une commémoration, pour considérer la DC dans la contexte actuel comme point de départ pour aborder les différences qui demeurent encore sources de tension entre les Églises. Il est apparu, en outre, au cours des différentes interventions que, si les notions de justice et de justification étaient au cœur de la foi et de la doctrine chrétienne du salut, elles étaient indissociables des notions de péché, de grâce, de sanctification, et même pour les orthodoxes de la notion de déification, avec pour corollaire l’éthique sociale et la pratique de la charité. Qu’en est-il donc aujourd’hui de la DC vingt ans après sa signature officielle, le 31 octobre 1999, par le Cardinal Edward Cassidy et Christian Krause, président de la Fédération luthérienne mondiale ?

Pour répondre à cette question, les nombreuses interventions présentées au cours de ce colloque ont porté, d’une part sur le contenu de la DC, le contexte historique de son élaboration et de sa réception et/ou de sa non réception, mais aussi sur son fondement théologique et biblique, et d’autre part sur ses retombées au plan catéchétique, éthique et social.

La période préparatoire à l’accord sur la Déclaration Commune (1957 – 1999)
Or, si la Déclaration commune sur la doctrine de la justification constitue à bien des égards un événement exceptionnel après plus de 450 ans de séparation, elle n’a pu être adoptée qu’après un long cheminement de rapprochement entre catholiques et luthériens ; outre des tentatives plus anciennes de dépasser les conflits doctrinaux, comme la Confession d’Augsbourg rédigée par Melanchthon ou la Diète de Ratisbonne en 1541, c’est seulement dans la deuxième moitié du vingtième siècle, comme l’a rappelé Theodor Dieter du Centre d’études œcuméniques de Strasbourg, que des études importantes ont été entreprises sur la justification, notamment par Hans Küng (La justification : la doctrine de Karl Barth. Réflexion catholique), Otto Hermann Pesch (La théologie de la justification chez Martin Luther et Thomas d’Aqquin) ou encore Vincent Pfnür (Unis à propos de la doctrine de la justification). Parallèlement, après Vatican II, des dialogues œcuméniques ont été menés au plan international conduisant à la parution d’un certain nombre de rapports préalables (L’Evangile et l’Église en 1972, Justification par la foi en 1985 et Les anathèmes du XVIe siècle sont-ils encore actuels ? en 1986). C’est enfin après plusieurs mises au point faisant suite à des demandes d’éclaircissement de part et d’autre que le texte de la DC put être finalisé et approuvé par les deux parties.

Le texte de la Déclaration Commune (1999)
Michel Fédou professeur au Centre Sèvres, en a présenté le contenu ; celle-ci contient un préambule et cinq parties :
1. Le message biblique de la justification
2. La doctrine de la justification
3. La compréhension commune de la justification
4. Le développement de la compréhension commune de la justification
5. La signification et la portée du consensus obtenu
Un certain nombre d’annexes destinées à préciser certains points complètent le document.

Le préambule annonce l’intention de la DC : sur base des dialogues préparatoires précités, « les Églises luthériennes signataires et l’Église catholique romaine sont en mesure de défendre une compréhension commune de notre justification par la grâce de Dieu au moyen de la foi en christ » (5). Bien que les condamnations doctrinales prononcées par les confessions de foi luthériennes et le Concile de Trente restent en vigueur aujourd’hui et ont donc des conséquences séparatrices pour les Églises (1), ce consensus sur des vérités fondamentales de la doctrine de la justification a pour conséquence que les développements différents qu’il engendre ne sont plus susceptibles de provoquer des condamnations doctrinales (5).

Mais l’essentiel de l’accord réside évidemment dans la troisième partie : une compréhension commune de la justification ; il y est mentionné : « Notre foi commune proclame que la justification est l’œuvre du Dieu trinitaire.... Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce, par le moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes » (15). Il y est également précisé que la doctrine de la justification qui reprend et développe ce message n’est pas annexe, mais « se situe dans un lien essentiel à toutes les vérités de la foi qui doivent être considérées dans leur interdépendance interne et qu’elle est un critère indispensable qui renvoie sans cesse l’ensemble de la doctrine et de la pratique des Églises à Christ » (18). Elle renvoie également à l’enseignement de Paul, comme quoi Dieu accomplit gratuitement la justification du pécheur : « Ensemble, luthériens et catholiques ont pour but de confesser partout le Christ, ...car il est le seul médiateur (1 Tm 2, 5s) par lequel Dieu se donne lui-même dans l’Esprit Saint et offre ses dons renouvelants » (18). La question du critère est apparue si importante aux deux parties qu’elle fait en outre l’objet d’une insistance complémentaire dans l’annexe 3 qui reprend en partie ce paragraphe 18 : « La doctrine de la justification est la mesure ou pierre de touche de la foi chrétienne. Aucun enseignement ne peut aller à l’encontre de ce critère. En ce sens, la doctrine de la justification est « un critère indispensable qui renvoie ….. » (DC18) ».

La quatrième partie, comme son intitulé l’indique, est un développement de ce qui précède ; elle explicite notamment comment doit être compris par chacune des parties le langage de l’autre. Ainsi en particulier, lorsque les luthériens disent « que le croyant est “à la fois juste et pécheur“ ils veulent exprimer que il est entièrement juste car Dieu lui pardonne son péché… et lui accorde la justice du Christ qui dans la foi devient la sienne … mais que face à lui-même cependant il reconnaît par la foi qu’il demeure aussi totalement pécheur » (29). Ceci est à nouveau précisé dans l’annexe 2A qui conclut que « Dans cette mesure, luthériens et catholiques peuvent comprendre ensemble le chrétien comme simul justus et peccator malgré leurs approches différentes… ».

Quant à la cinquième partie, tout en insistant sur le fait que les condamnations réciproques du XVIe siècle ne concernent plus les enseignements des Églises luthériennes ni de l’Église catholique présentés dans cette déclaration, elle mentionne en revanche des questions sur lesquelles il n’y a pas encore eu d’accord : « elles concernent entre autres le rapport entre Parole de Dieu et enseignement de l’Église ainsi que la doctrine de l’Église, de l’autorité en son sein, de son unité, du ministère des sacrements et enfin le rapport entre justification et éthique sociale  » (43).

Réception de la Déclaration Commune et développements ultérieurs (1999–2019)
La Déclaration Commune a été saluée par les théologiens catholiques comme un texte fondamental sur une doctrine aussi centrale de la foi chrétienne ; simultanément, elle a permis de prendre la mesure de l’apport de la méthode du consensus différencié pour y parvenir et de sa fécondité pour poursuivre l’approfondissement de nos différences confessionnelles. Toutefois des réserves ont été exprimées en raison de sa portée limitée aux seuls partenaires du dialogue bilatéral catholiques luthériens, mais aussi de la place accordée à la question du langage qui, à l’extrême, peut paraître accessoire à certains et entrainer une focalisation sur des questions de détail. D’où la nécessité, pour y remédier, de transcrire le texte en termes pastoraux plus accessibles au monde contemporain. Enfin se pose la question des limites mêmes de l’accord, en raison d’une part de son contenu qui laisse encore de côté de nombreux autres points de désaccord, d’ordre ecclésiologique et sacramentel notamment, d’autre part de la méthode par rapport à ses possibilités d’application aux domaines précités ; notre compréhension réciproque de l’Église porte en effet sur des questions de nature totalement différentes, probablement difficiles à solutionner dans le cadre d’un consensus différenciant. Dans son homélie dans la cathédrale de Lund, à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme, le pape François, tout en reconnaissant l’acquis important que constitue la DC, n‘en a pas moins appelé à ne pas la considérer comme un point d’arrivée, mais à aller au-delà, parce que nous ne pouvons nous résigner à la division.

En un exposé synthétique, le Dr Martin Junge, Secrétaire général de la Fédération Luthérienne Mondiale, a dressé un tableau chronologique des retombées de la DC et des évolutions survenues depuis vingt ans. Après une période de frustration probablement trop centrée sur un travail théologique bloqué par la question des ministères et des sacrements (Déclaration Dominus Jesus en 2000), il a fait état « du don du brassage œcuménique », fruit de l’ouverture des discussions à d’autres acteurs, au-delà des seuls signataires initiaux de la DC ; ceci a eu pour effet de sortir de l’impasse du dialogue bilatéral pour s’ouvrir à d’autres considérations liées à l’apport de ces dialogues multilatéraux. Les démarches de rapprochement ont porté notamment sur des relectures conjointes de l’histoire, indispensables à la purification des mémoires, de façon à comprendre comment les témoignages de chacun étaient entachés par les souffrances endurées ; cette compréhension commune de l’histoire est un facteur de guérison qui permet le repentir et les demandes de pardon réciproques.

C’est ainsi que la Conférence méthodiste mondiale en 2006, les Mennonites en 2010, la Communion anglicane en 2016 et la Communion mondiale des Églises réformées (CMER) en 2017 ont souscrit à leur tour à la DC, tout en y apportant chacun leur nuance propre. Par ailleurs, la préparation de la commémoration du 500e anniversaire de la Réforme en 2017 avec notamment l’élaboration du document Du conflit à la communion (2014) a marqué une nouvelle étape dans la volonté de dépasser les conflits antérieurs pour tendre vers une présentation commune de ce qui est advenu dans le passé, qui en tout état de cause ne peut être changé. Le Dr Martin Junge a aussi souligné une nouvelle fois l’engagement du pape François à assumer le concept de responsabilité œcuménique à l’occasion de cette commémoration dont les services liturgiques célébrés à Lund et à Malmö ont été des moments forts.

Réception de la Déclaration Commune par la CMER
La réception de la DC par la Communion mondiale des Églises réformées (CMER) – qui résulte de la fusion de l’Alliance réformée mondiale et du Conseil œcuménique réformé – a fait l’objet d’un développement particulier par Marc Boss, maître de conférences à l’Institut Protestant de Théologie ; elle illustre la façon dont un membre non signataire de l’accord initial a pu s’y associer tout en y apportant sa propre contribution. La position de la CMER se résume en quatre points :
1. Une approbation globale de l’ensemble de l’accord,
2. Une appréciation particulière des développements concernant le péché,
3. Un commentaire supplémentaire à propos de la Loi (DC31),
4. Une insistance sur la relation intégrale entre justice et justification
Pour ce qui concerne la Loi, son accomplissement en Christ ne nous décharge pas de l’application des commandements ; la Loi demeure en vigueur avec sa triple fonction, civile, pédagogique (faire prendre conscience du péché) et scripturaire : Loi et Evangile (ou encore Ancien et Nouveau Testament) sont parties intégrantes du Sola Scriptura. Quant à la justice, elle est impliquée par la justification : celui qui est justifié par la foi ne peut qu’être appelé à agir de manière juste ; autrement dit être justifié c’est être déclaré et se rendre juste.

Les non signataires de la Déclaration Commune : la position orthodoxe
La position des orthodoxes par rapport à la DC, et plus généralement par rapport aux notions de justice et de justification a été présentée successivement par Julija Vidovic, enseignante à l’Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge, Mgr Gabriel Georgios Papanikolaou, Métropolite de Néa Ionia et Philadelphie, et Katerina Pekridou, Secrétaire pour le dialogue de la Conférence des Églises européennes. Leurs interventions ont permis de mesurer l’écart entre une approche dogmatique et plus juridique de la notion de salut qui est celle de la théologie occidentale et celle plus spirituelle du christianisme oriental. Ceci se traduit par une différence sensible d’appréciation théologique de l’anthropologie entre l’orient et l’occident. À l’origine, il y a la notion de péché, qui bien qu’identique dans sa compréhension qui est celle d’une séparation avec Dieu, diffère sur la question du péché originel : le péché n’est pas reconnu par les orthodoxes comme héritage du péché d’Adam, mais comme incapacité et échec de l’être humain dans sa tentative d’atteindre ce qu’il est par essence, c’est-à-dire d’être à l’image de Dieu. Mais la différence la plus importante réside dans le recours à des concepts de nature différente pour exprimer la voie du salut : la justification par la foi pour le christianisme occidental, la déification par la synergie entre la grâce divine et la volonté de l’homme pour le christianisme oriental. Toutefois, les dialogues entre luthériens et orthodoxes, notamment à partir de la réinterprétation de Luther par l’école de Mannermaa (université d’Helsinki), ont permis de rapprocher les points de vue en considérant, là encore, que ceux-ci sont complémentaires et ne s’excluent pas : justification et déification indiquent, in fine, une participation au Christ de la personne qui a la foi, au sens où par la foi le Christ habite en elle ; celle-ci ne peut donc agir que de manière juste en vertu de la grâce et de la justice du Christ qui lui sont données ; dans cette interprétation, la justification n’est donc pas seulement déclarative (forensique), elle devient effective.
(À suivre)
Jean-Claude Cochéry

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