Texte de la conférence de carême du 17 mars 2019

Le dimanche 17 mars 2019, le père Guillaume de Menthière a donné sa deuxième conférence de carême sur le thème “La Résurrection, improbable ?”.

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Texte de la conférence
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Les conférences ont été publiées, avec les références et les notes, dans un livre aux éditions Parole et Silence.

La Résurrection, improbable ?
Ce que femme dit…

Nous avons suivi, dimanche dernier, le chemin dépité vers l’inéluctable. Nous avons marché, compagnons d’humanité, avec ceux qui ne voient pas d’issue et qui descendent, lamentables, sur les sentiers de la désillusion.

Sait-on seulement où l’on va ? Comment notre société en marche peut-elle échapper aux ronds-points, ces non-lieux où l’on tourne en rond dans une épouvantable carence de sens ?

La crise des gilets jaunes est l’effet et l’illustration d’une nouvelle fracture de notre société qu’on a pu décrire comme le clivage entre les gens de n’importe où et les gens de quelque part. Les gens de n’importe où sont les promoteurs et les bénéficiaires de la mondialisation. Ils méprisent « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part », pour parler comme Georges Brassens. Ils toisent avec dédain ceux qui sont attachés à un terroir, à une tradition, à une culture. Ils les jugent sectaires, intolérants, repliés sur eux-mêmes. Inversement les gens de quelque part haïssent les gens de n’importe où. Ils voient en eux des élites technocratiques et fortunées, des traîtres à leur pays, des fossoyeurs d’identité, prêts à noyer tous les repères stables sous les flux conjoints de la finance, de la technologie et de l’immigration. Laissez-moi ne partager ni ce mépris, ni cette haine. Laissez-moi constater simplement que ni les gens de n’importe où, ni les gens de quelque part ne savent où ils vont. Les uns comme les autres, à vrai dire, ne vont nulle part. Qu’on soit blockhaus ou qu’on soit girouette, on n’a pas de destination précise. Engoncé dans son pré-carré ou virevoltant au gré des opportunités, on vit sans but. A vau-l’eau, dirait Huysmans. Il est temps de proposer un dessein, de retrouver un cap, de définir une finalité pour notre société et pour chacun. Il est temps que nos disciples d’Emmaüs sortent de leur errance nocturne et découvrent que la mort elle-même n’est pas le terme inéluctable de tous projets, que la route se poursuit vers notre destinée heureuse.

Des voies vers l’au-delà

Mais comment sait-on au juste qu’il existe quelque chose de l’autre côté de la mort, un après, un autrement ? Comme saint Thomas d’Aquin propose cinq voies vers l’existence de Dieu, nous pourrions suggérer trois voies pour établir l’existence d’un au-delà : l’intuition commune, l’expérience de la naissance, l’exigence de la justice.

L’intuition commune

L’intuition commune tout d’abord. Avant toute réflexion argumentée, les hommes semblent doués d’une certaine intuition d’une vie outre-tombe. On ne parvient pas à admettre jusqu’au bout que la mort soit un mur sur lequel vient inéluctablement se fracasser toute velléité de poursuivre la route. A son fils Ivan qui nie farouchement toute immortalité possible, le vieux Karamazov ne peut s’empêcher de répliquer avec bon sens : « n’y en a-t-il pas un peu tout de même ? une parcelle ? »

L’expérience prouve que l’amour continue au-delà des frontières de la mort. « Aimer un être, c’est lui dire : toi, tu ne mourras pas » affirmait Gabriel Marcel. Intuitivement nous sentons que nos défunts n’ont pas sombré dans l’inexistence et que l’amour entre eux et nous peut continuer. La très laïque France Info a rapporté cette histoire bien touchante d’un petit garçon écossais, âgé de 7 ans, qui avait envoyé par la poste une lettre à son père défunt. Il avait écrit sur l’enveloppe : « Monsieur le postier, pouvez-vous porter ceci dans le paradis pour l’anniversaire de mon papa. Merci ». Bouleversé, le facteur a répondu à cet enfant : « Nous avons réussi à livrer votre lettre à votre père dans le ciel, ce fut un défi d’éviter les étoiles et les autres objets galactiques sur la route du paradis » Qui osera dire que le facteur est un menteur ? Par intuition, cet enfant et cet homme savent tous deux qu’il est bien vrai que le papa défunt n’est pas retourné au néant et qu’il a lu, on ne sait comment, la lettre touchante de son fils.

L’expérience de la naissance

On peut se demander si cette intuition commune n’est pas la simple extension d’une expérience tout à fait universelle : celle de la naissance. L’embryon vit heureux dans le sein maternel. Il redoute d’en être arraché. Il serait pourtant insensé s’il pensait devoir toujours vivre dans ces conditions de confort intra-utérin. Il doit envisager, par-delà la douleur de l’accouchement, une vie dont il n’a pas la moindre idée, mais qui sera le prolongement de cette vie inchoative qui est présentement la sienne. Il verra enfin face à face celle qu’il ne connaît pas mais dont il pressent qu’il lui doit tout : sa mère. Il la verra telle qu’elle est et il lui ressemblera. Analogiquement, l’homme serait bien insensé de penser que cette vie terrestre ne débouche pas par-delà la douleur de la mort sur une autre vie dont il ne sait rien mais qu’il prépare ici-bas. Dans cette vie nouvelle il verra enfin celui dont il pressent déjà qu’il lui doit tout et qu’il lui ressemble : Dieu. « Nous le verrons tel qu’il est et nous lui serons semblables » écrit émerveillé saint Jean (1 Jn 3,2). Aussi vrai qu’il y a pour l’embryon une vie après la naissance, il y a pour l’homme une vie après la mort.

L’exigence de justice

D’ailleurs qui peut prendre son parti de l’injustice ? Depuis des millénaires qu’il trotte sur cette planète, on peut dire que l’homme s’est habitué à tout, s’est adapté à tout, s’est immunisé contre tout. Il n’y a qu’une chose à laquelle il ne puisse se faire : l’injustice. Quelque chose en nous atteste que le juste se verra récompenser et que le méchant sera puni. Or force est de constater qu’ici-bas ce n’est pas toujours le cas : la vertu n’est pas toujours heureuse et le vice est souvent prospère. On doit donc postuler que, par-delà la mort, l’équilibre et la justice seront rétablis. C’est ce que le philosophe Kant appelle le postulat de la raison pratique qui inclut à la fois l’existence d’une vie après la mort et celle d’un Dieu rétributeur. Tel est le minimum pour ne pas déserter la raison : croire que Dieu existe et qu’il est rémunérateur (Hébreux 6,6). Seul l’insensé dit dans son cœur, il n’y a pas de Dieu (Psaume 14,1). Chez les gens raisonnables demeure irrépressiblement « cette angoisse du compte à rendre » si caractéristique de notre humanité. Encore aujourd’hui, on sent, même chez les personnes les plus éloignées de toute foi religieuse une obsession de se justifier, jusqu’à la dernière minute, qui est sans doute le pressentiment d’un Jugement auquel, inconsciemment, elles ne croient pas tout à fait pouvoir se soustraire.

Le Shéol

D’accord, d’accord, me direz-vous : l’intuition universelle, l’expérience, elle-aussi universelle, de la vie intra-utérine, la forte et comminatoire exigence de justice, voilà trois voies qui conduisent à penser à une vie après la mort. Mais tout cela n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Le ciel n’est-il pas simplement une projection sublimée de ce désir de l’homme de vivre toujours ? un des ces arrières-mondes où se réfugient des consciences frileuses ? Tel est un des arguments majeurs que le XXe siècle teinté de freudisme a voulu opposer à la religion. Les hommes s’inventeraient un Dieu parce qu’ils ont peur de la mort. Pour se rassurer devant la perspective angoissante de leur fin, ils se forgeraient l’idée d’un Père protecteur qui les accueillerait dans son paradis.

Or, l’hypothèse d’une invention d’un Dieu rassurant pour se prémunir contre l’angoisse de la mort ne tient pas devant les faits. Des générations de juifs pieux ont adoré et servi Dieu sans rien escompter de positif pour l’au-delà, sans rien attendre d’enviable après la mort. Pendant des siècles les juifs les plus religieux faisaient coïncider leur foi au vrai Dieu d’Israël et une absence de perspective heureuse pour les défunts.

Le Shéol où les âmes des morts descendaient selon la croyance juive ancienne n’avait certes rien de réconfortant…. Les âmes des défunts y erraient dans les bas-fonds, comme des ombres dépourvues de toute consistance, comme des larves privées du bonheur de louer Dieu. Un morne état de sous-vie végétative, voilà tout ce qu’on escomptait en Israël pour les défunts, avant que n’apparût dans certains courants du judaïsme tardif l’espoir d’une Résurrection.

Le Dieu fidèle

Comment donc en vint-on à croire que les morts pouvaient encore espérer un état meilleur, une sortie des gouffres de l’Hadès, une réjouissante reviviscence ? Par la considération toujours plus émerveillée de la fidélité de Dieu. Le Dieu fidèle ne peut donner un terme à l’alliance qu’il conclut avec chacun. « Tu ne peux laisser ton ami voir la fosse » dit le psalmiste (Ps 16,10)

La révélation progressive en Israël d’une destinée enviable après la mort est corrélée avec la découverte, elle aussi progressive, de la paternité de Dieu. Comment reconnaître que Dieu est véritablement Père, si on lui prête une souveraine indifférence au sujet du bonheur de ses enfants ? Puisque Dieu a le pouvoir de réjouir ceux qu’il chérit, comment s’abstiendrait-il de le faire, le jour venu ?

A l’époque de Jésus, les juifs les plus pieux entrevoyaient la Résurrection générale par laquelle Dieu rendrait, à la fin des temps, vie aux morts. « Je sais dit Marthe, sœur de Lazare, que mon frère ressuscitera, à la fin des jours »(Jn 11,24) Le Christ lui-même a annoncé par trois fois aux siens qu’il fallait que le Fils de l’homme mourût et ressuscitât le troisième jour. Mais cela apparemment n’a servi de rien. Aucun des disciples du Christ n’a escompté et attendu son retour prochain à la vie. D’abord parce qu’il était impensable que le Messie mourût, et que toutes les prétentions messianiques de Jésus avaient donc été discréditées par sa mort sur le gibet comme un maudit de Dieu. Ensuite par ce que la Résurrection, de toutes façons, n’était envisageable qu’à la fin des temps.

C’est ainsi que les compagnons d’Emmaüs gisent dans leur marasme. Ils ressassent leur déception. Certes, les propos des saintes femmes les laissent pantois : « Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés, disent-ils ». Par une part d’eux-mêmes ils voudraient croire qu’elles n’ont pas déliré. Mais comment croire à des choses pareilles ? Car voici ce dont les femmes ont témoigné : « S’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé le corps du Seigneur, elles sont revenues nous dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le disent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu !  » (Luc 24,23-24)

Nous voici convoqués par les femmes au saint sépulcre. Que s’est-il passé ce matin-là ? Comment les évangélistes décrivent-ils l’évènement de Pâques ?

Ce que femme dit

Saint Marc nous fournit un des plus anciens récits de cette visite matutinale : trois femmes sont entrées dans le tombeau toutes surprises que l’immense pierre qui en obstruait l’entrée ait été roulée. Elles virent un ange qui leur annonça que le Crucifié était ressuscité et leur ordonna d’aller aussitôt dire aux disciples et à Simon-Pierre de se rendre en Galilée où ils verraient le Seigneur. Quelle stupeur, quelle annonce, quel choc ! Que croyez-vous que firent ces saintes femmes ? obéirent-elles ivres de joie ? Proclamèrent-elles à tous vents la Bonne Nouvelle dont elles étaient établies messagères ? Entonnèrent-elles la louange d’un Dieu aussi puissant qu’imprévisible ? Que nenni ! Ecoutons saint Marc : « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur... »

Elles avaient peur, elles s’enfuirent, elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Voilà tout l’effet que ça leur fait, aux saintes femmes, l’annonce de la résurrection ! C’est quand même un monde : on leur annonce la victoire de la vie et elles sont mortes de peur. Elles voient la pierre roulée et elles sont pétrifiées. Elles entendent la voix de l’ange et elles sont muettes de stupeur. Inutile de le cacher, c’est pour moi un grand signe de crédibilité. L’évangile ne fait pas mystère que les disciples de Jésus ont eu un mal fou à croire à sa résurrection. Jésus n’est pas un gourou qui a fanatisé ses troupes et qui leur fait gober n’importe quoi. Nous n’avons pas affaire à trois follettes euphoriques prêtes à cautionner n’importe quelle rumeur qui irait dans le sens de leur désir. Ce ne sont pas des rêveuses qui projettent leurs phantasmes sur la réalité des choses. J’aime mieux ça. Je sais que ces femmes sont des femmes à qui on ne la fait pas : Magdeleine la prostituée, Marie et Salomé nos deux mères de familles. Elles savent que Jésus est mort et bien mort au point qu’elles ont acheté des aromates pour oindre son cadavre. Evidemment leur projet est déjoué mais elles n’inventent pas la légende de la résurrection pour se faire rembourser les saintes huiles chez le marchand ! Quelle imagination chez les mécréants professionnels ! A aucun moment elles ne se sont attendues à l’improbable : la pierre roulée, le tombeau béant, le cadavre, provisoire… Elles constatent que le sépulcre est vide et leurs mains inutilement pleines de ce parfum pour l’onction. Elles sont effrayées, muettes de stupeur « elles ne disent rien à personne », vraiment la bonne nouvelle était mal partie ! Et dire que selon les exégètes l’évangile de Marc s’arrêtait initialement ici ! Quelle sobriété, quelle économie de moyens pour l’annonce de la résurrection !

La Mère des vivants

Il n’est pas neutre que ce soient des femmes, de saintes femmes qui aient reçu les premières la bonne nouvelle de Pâques. Tous les évangélistes s’accordent pour donner à Marie-Madeleine la primeur de cette annonce. En guise de témoin principal, pouvait-on choisir moins qualifiée et moins crédible ? quand on songe que les femmes n’étaient pas dans le monde juif d’alors habilitées à porter témoignage, quelle extravagance de confier sa cause à une femme fréquentée par sept démons, une pécheresse publique !

Par qui était venue la parole de mort devait venir aussi l’annonce de la vie. Du jardin d’Eden au jardin de la résurrection, des pleurs de l’antique Ève aux pleurs de Madeleine, comme il fut long le temps de notre deuil ! Le poète Charles Péguy salue par des mots bien touchants Ève, la première des femmes, notre mère commune, la mère de Notre Dame :

Et je vous aime tant mère de notre mère
Vous avez tant pleuré les larmes de vos yeux.
Vous avez tant levé vers de plus pauvres cieux
Un regard inventé pour une autre lumière.
 [1]

Au matin de Pâques, enfin, Madeleine console Ève, les sanglots cessent et les yeux s’entrouvrent à nouveau sur cette lumière qui ne s’éteint pas et pour laquelle ils furent faits. Elle a bien mérité le titre d’apôtre des apôtres, celle qui fut missionnée pour annoncer aux Onze la Bonne Nouvelle du Christ Ressuscité.

Mais qui parle de résurrection ? Voyons où nous en sommes à cet instant : Le tombeau est vide, et les femmes déconcertées. Si l’on en croit saint Matthieu, c’est tremblantes et toutes joyeuses comme la flamme de nos cierges vacillante et lumineuse, qu’elles viennent dire aux apôtres ce qu’elles ont vu (Mt 28,8) !

Le tombeau vide

Incrédules face à ce qui leur paraît du radotage (Luc 24,11), les disciples ont toutefois voulu vérifier par eux-mêmes les dires des femmes : « ils ont trouvé tout comme les femmes l’avaient dit, mais lui, le Crucifié, ils ne l’ont pas vu ! » Qu’ont-ils donc vu ? saint Jean nous en fait le récit. Avertis par Marie-Madeleine, Pierre et l’autre disciple courent au tombeau dans le petit matin de Pâques. Comme j’aime cette course apostolique si bien rendue par le tableau d’Eugène Burnand exposé au Musée d’Orsay. On voit ces deux compères, presque horizontaux, tant ils sont tendus par le secret espoir que quelque chose va advenir, que tout ne s’arrêtera pas là, que ces femmes ne sont pas si menteuses ou si sottes. Ils courent à "corps perdu". Comme l’expression est appropriée, à corps perdu ! Ils sont heureux, inquiets, bouleversés, pressés, espérant déjà, espérant peut-être car on ne sait pas, on ne sait jamais, qui sait ? Tout a été si vite, ces heures interminables ont défilé si vite. On ne sait plus très bien où on en est, tout est affolé et dérangé de sa place, la mémoire se brouille et les yeux ont tant pleuré que les larmes mouillent !

Jean, plus jeune et plus prompt, arrive le premier sur les lieux et cependant il attend que Pierre le rejoigne et pénètre dans le tombeau. J’ai entendu une catéchiste expliquer ici aux enfants qu’il fallait toujours faire comme saint Jean et laisser les personnes âgées passer les premières. Ce sens moral n’est sans doute pas faux, mais un peu réducteur, n’est-ce pas ? Les Pères de l’Eglise avec plus de perspicacité spirituelle voient en Pierre et Jean la figure de l’Eglise et de la Synagogue ou encore la figure de l’Eglise institutionnelle et de l’Eglise charismatique, de l’Eglise pétrinienne et de l’Eglise mariale, si l’on veut. Le charisme plus rapide doit respecter le mouvement plus lent de l’institution. L’institution moins leste doit accueillir et rejoindre les élans du charisme. Priorité au charisme, primauté à l’institution ! Chacun à son rythme, le charisme et l’institution témoignent.

Corps perdu

Pierre et Jean attestent que le tombeau est vide. Voilà une donnée claire et solidement acquise : le corps de Jésus était dans le sépulcre et manifestement il n’y est plus. Tout gravite autour de cette irréfutable absence. Il faut en revenir, dans ce chaos, aux choses élémentaires et bien établies : le corps de Jésus a disparu. Bienheureuse absence réelle ! Vous qui doutez des apparitions du Ressuscité, comment réfuterez-vous la disparition du Crucifié ? Même les chefs des prêtres et les incrédules fouilleurs de tombes durent se rendre à cette évidence. Il leur eût été si simple pourtant d’aller au tombeau et de dire au peuple : "le cadavre de votre Christ, le voici !" Ils retrouvaient le corps de Jésus et ils enterraient définitivement le christianisme avec le Christ.

Or la puissance coalisée des Juifs et des Romains s’est montrée incapable de retrouver le cadavre du Seigneur. Les disciples l’auront fait disparaître ? Comment auraient-ils si longtemps dissimulé le cadavre, si peureux et persécutés qu’ils étaient ? Ils l’auront brûlé ? Imaginez-vous sérieusement les disciples attenter ainsi au corps du Seigneur ? Qui a pu voler la dépouille du Maître ? Le tombeau n’était-il pas gardé ? D’après l’évangile de Matthieu (28,11-15) les grand-prêtres soudoyèrent des soldats qui soutinrent que pendant leur sommeil des disciples étaient venus dérober le corps de Jésus. La ficelle est un peu grosse : s’ils dormaient comment savent-ils que ce sont des disciples qui sont les voleurs ? et s’ils ne dormaient pas pourquoi les gardes, dont c’était pourtant la mission, n’ont pas empêché le larcin ? Tertullien raillait déjà les incrédules bien en peine d’expliquer la mystérieuse disparition du corps de Jésus. Sans doute est-ce le jardinier qui l’a enlevé de peur que le pèlerinage des chrétiens à la tombe de leur maître ne piétine ses laitues… Risible.

Les Linges

Dans le récit de saint Jean, la vue des linges semble déterminante. Nous lisons en effet qu’en entrant le premier dans le tombeau Simon-Pierre aperçut « les linges gisant à terre ainsi que le suaire qui avait recouvert la tête, non pas avec les linges mais roulé à part dans un endroit. Alors entra aussi l’autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. En effet, ils ne savaient pas encore que, d’après l’Ecriture, il devait ressusciter d’entre les morts  » (Jean 20, 6-9).

Respecter les faits

Que vit Jean, en effet, et que crut-il ? D’après saint Augustin le disciple bien-aimé crut simplement que Madeleine avait dit vrai, à savoir que le corps n’était plus là. Qu’a-t-il donc vu ? Qu’a-t-il cru ? Il a vu que le sépulcre était vide, et il a cru ce que lui avait dit la femme, c’est-à-dire qu’on avait enlevé le corps du sépulcre »

Voilà une interprétation aussi déconcertante qu’autorisée. Et combien révélatrice ! Les apôtres ont d’abord dû croire ce qu’avaient dit les saintes femmes et ce fut certainement là une étape obligée, parfaitement nécessaire et difficile. Ils ne grimpent pas tout de suite aux cocotiers, ils ne s’emballent pas. Ils sont à mille lieues d’imaginer que la résurrection du Christ soit possible, ils n’envisagent à aucun moment cette éventualité. D’ailleurs ils ne spéculent pas, ils n’inventent pas, ils ne brodent pas, ils n’échafaudent pas : ils constatent. Or il faut bien se rendre à l’évidence, les femmes n’ont pas menti. Le corps du Seigneur n’est plus là. Ce qui est là en revanche devant leurs yeux ce sont ces étranges linges et ce suaire roulé à part. Ici encore, il me souvient d’une leçon de catéchisme où l’on expliquait aux enfants qu’il fallait toujours ranger sa chambre et faire son lit selon l’exemple, très éminent, du Ressuscité. Je ne suis pas sûr que ce sens moral adventice soit tout à fait à la hauteur de ce que ces linges nous enseignent… Pourquoi ces tissus doivent-ils retenir toute notre attention ? Comment sont-ils à ce point un signe de la résurrection ? Des voleurs auraient-ils laissé le linceul et le suaire bien pliés à sa place (Jean 20,6-8) ? Si on avait volé le cadavre, on aurait eu bien du mal à dissocier la peau des tissus qui l’entouraient, collés par le sang et la sueur coagulés.

  • On n’aurait pas pu le faire
  • Pourquoi aurait-on pris le risque de le faire ?
  • Comment l’aurait-on fait au nez et à la barbe des soldats qui gardaient le tombeau ?

Contrairement à Lazare sorti du sépulcre emmailloté de bandelettes, le Christ est libéré à tout jamais des liens de la mort c’est pourquoi les linges ont été laissés là sur place dans le tombeau. Dégagé des oripeaux de la mort le Christ est libre et vainqueur, vivant, sans entraves. Comme Adam était nu au paradis terrestre, ainsi le Nouvel Adam, entre nu au paradis céleste.

Les apparitions aux disciples

Le tombeau vide d’accord, les linges pliés, soit, tout cela est bien troublant et mystérieux, reste, comme le disent avec réalisme nos pèlerins d’Emmaüs, que « Lui, Jésus, on ne l’a pas vu ». Que son corps ne soit plus dans la tombe, c’est un fait, mais cela ne nous dit pas ce qu’il est devenu, ce qui est advenu pour lui. Il faudra bien sûr les apparitions du Ressuscité pour que les Apôtres- qui n’y étaient aucunement disposés- commencent à proclamer la Bonne Nouvelle du Christ relevé d’entre les morts. Saint Paul, dernier bénéficiaire d’une apparition du Seigneur, témoigne que le Ressuscité est apparu non seulement à Pierre et aux apôtres mais aussi à plus de 500 frères à la fois dont la plupart sont encore vivants au moment où Paul écrit.

La Résurrection, preuves à l’appui ?

La résurrection du Christ est à la fois un événement historique et transcendant. Elle a une face tournée vers l’éternité divine qui échappe à nos prises. Mais elle a aussi une face tournée vers notre temporalité, elle a eu lieu un jour repérable de l’histoire humaine, elle est un événement réel qui a donné lieu à des manifestations historiquement constatées. On ne peut ni rayer d’un trait dédaigneux les fondements historiques de la Résurrection ni céder à l’ambition prétentieuse de vouloir la démontrer.

La Résurrection du Seigneur restera toujours un mystère de foi, or on ne croit que si l’on veut croire. Pour le dire avec Blaise Pascal : « Il y a assez de lumière pour qu’on puisse croire et assez d’obscurité pour qu’il faille croire ». A nous de rassembler toutes les lueurs qui rendent la foi possible et le mystère crédible. Si nous n’avons pas de preuves de la résurrection nous avons bien des signes qui attestent de sa véracité : les dires des femmes, le tombeau vide, les linges pliés, le témoignage des apôtres dans l’Esprit Saint. Durant quarante heures le Christ était resté dans le tombeau, afin que nul ne pût douter de sa mort, durant quarante jours il s’est montré vivant aux siens, afin qu’on crût en sa résurrection.

Des témoins autorisés

Certes, nous aimerions bien parfois que la résurrection du Christ soit un peu plus attestée, qu’il y ait des signes tangibles, palpables. Quelque chose de plus ronflant, de plus irréfutable. Pourtant je vous l’avoue, la retenue évangélique me touche et me persuade.
Tenez, moi, avec mon cœur mauvais, je suis sûr que dans l’hypothèse où je ressusciterais d’entre les morts, j’irais séance tenante trouver tous les athées du monde, tous les incrédules et je leur dirais : « Vous voyez bien, je suis vivant ! » Ah ! qu’on me fasse revenir d’entre les morts, et ça se saura, croyez-moi !
Pouvons-nous imaginer Jésus Ressuscité allant trouver Pilate, Hérode, Caïphe et leur disant « Nananère !... Je vous l’avais bien dit ». Pourquoi le Seigneur se serait-il plié à nos caprices scientistes, en allant se montrer à ses ennemis ? Ceux-ci prenaient ses miracles les plus éclatants pour l’œuvre de Belzébul, à quel diable auraient-ils attribué sa résurrection ? Par quelle supercherie, quelle illusion ou quel tour de passe-passe l’auraient-ils expliquée ? Lazare revenu à la vie, loin d’emporter leur conviction, excita leur fureur. De quelle rage auraient-ils poursuivi Jésus Ressuscité ! Les disciples eux-mêmes se montrèrent si réticents à croire, qu’en eût-il été des ennemis du Seigneur ? Non, il était inutile et vain que le Seigneur se manifestât à eux.

Jésus modeste…

La suprême victoire, le triomphe du Christ ne se recommande d’aucune autorité de ce monde, ne s’accompagne d’aucune gloriole. Pas d’esbroufe ni de tape à l’œil. Pas de fanfaronnades ou de rodomontades. Ce n’est pas un happy-end comme les inventeurs de héros religieux auraient pu l’imaginer. Que de simplicité dans les récits de Pâques ! que de pudeur, que de discrétion ! Que les petites choses sont grandes quand Jésus s’en mêle ! Que la gloire est humble quand Jésus est là ! Que le dessein est assuré quand Jésus le conduit ! Dis-nous Marie, qu’as-tu vu en chemin ? J’ai vu la lumière frissonner humble, dans le matin. Rien qui tranche. Jésus ne se pavane pas comme une vedette, il se propose simplement à ses amis. Sa résurrection n’est pas revancharde pour en mettre plein la vue à ses détracteurs. On ne le voit pas apparaître dans une mandorle de gloire avec escorte angélique. Non ! En déambulant sur une route, en partageant un repas, en donnant à voir ses plaies, il n’en fait pas des tonnes. Il manifeste simplement qu’il demeure, même après sa résurrection, pleinement homme. Et voilà, paradoxalement, un des signes qu’il est véritablement Dieu, car un simple humain, lui, aurait tout fait pour qu’on le croit dieu !
Je me souviens du petit Brieuc baptisé au cours de la nuit pascale. Il est venu au micro, revêtu de sa splendeur toute neuve et baptismale, et il a dit : « Je voudrais remercier Jésus parce que ce que j’aime bien en Jésus, c’est qu’il est modeste et il ne parle pas beaucoup de lui. Et pourtant, il est le Fils de Dieu ! » Comme tu as raison, Brieuc, petit frère de Jésus ! Oui Jésus est modeste, il ne parle pas beaucoup de lui, il vient simplement à nous, il présente son côté transpercé, ses plaies de crucifié, il est vivant désormais et il dit : « Mes amis, voulez-vous me reconnaître ? C’est moi, je vous ai tellement aimés ». Alors il y a ceux qui sont sourcilleux, qui prennent une loupe, qui veulent des preuves, qui tergiversent, qui pinaillent, et puis il y a ceux qui fondent en larmes, qui se précipitent dans les bras du Sauveur et entonnent, ivres de joie, sa louange.

Être ou ne pas être ?

Manifestement, il s’est passé quelque chose au matin de Pâques. Le nier paraît bien difficile au regard de la suite des événements.
Il n’y a pas d’accommodement possible, aucune échappatoire : soit Jésus est ressuscité, soit il ne l’est pas. Mais s’il ne l’est pas, alors il me faut croire que les fables de quelques femmes coalisées avec onze apôtres pusillanimes ont pu berner le monde jusqu’à ce jour. Comme il est difficile de croire qu’ils aient pu donner leur vie pour défendre ce qu’ils savaient pertinemment être faux ! Comment imaginer que des nuées de témoins se soient levées pour accréditer leurs sornettes ? L’Évangile ne fut-il qu’un amas d’impostures plongées dans le sang ? La supercherie des saintes femmes aurait alors soulevé une chape bien plus lourde que la pierre d’un tombeau : celle des siècles amassés pour l’oubli. Qu’y a-t-il à tout prendre frères chrétiens de plus difficile à croire ? Que Jésus soit ressuscité d’entre les morts ou que ce ragot se soit colporté jusqu’à nous et ait changé la face du monde ? Dira-t-on que quelqu’un a inventé cette belle légende ? « L’Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables que l’inventeur en serait plus étonnant que le Héros » répond superbement Rousseau.

Faites-en autant !

Un rabbin me disait un jour que Jésus n’avait rien fait d’extraordinaire. Il a fait des miracles, certes, mais Moïse et Elie en ont fait aussi. Il a prononcé des maximes admirables de sagesse mais la plupart sont puisées au creuset de l’Ancien Testament. On peut donc tenir que Jésus est un excellent Rabbi juif, mais pas plus. Cette argumentation donne a contrario me semble-t-il un crédit extraordinaire à la Résurrection de Jésus. Si Jésus ne tranche guère par rapport à n’importe quel juif, un peu supérieur, comment se fait-il que depuis des siècles des gens aient mis leur foi en Lui ? La grande différence entre Jésus et les multiples prophètes prestigieux qui émaillent l’histoire, c’est que Jésus était mort et qu’il est maintenant vivant. Lui seul peut dire en vérité « je fus mort et maintenant je vis » (Ap 1,18).

En 1797, la Révolution a voulu implanter un culte nouveau à la place du culte de Jésus-Christ. M. de La Révellière Lépaux, au nom du Directoire, fit en ce sens une communication savante sur la Théophilanthropie comme religion nouvelle. Noble idée, la théophilanthropie, mais une idée seulement. Alors Talleyrand – qui ne passe pas cependant pour un chrétien exemplaire – prit la parole et dit : « M. La Révellière, je n’ai qu’une observation à vous faire. Jésus Christ pour prêcher sa religion a été crucifié est mort et a ressuscité le troisième jour, vous devriez tâcher d’en faire autant  ». Sous les rires de l’assemblée on enterra la théophilanthropie car l’ancien évêque d’Autun avait fait comprendre que la force de la religion chrétienne était d’être le culte non d’un mort ni d’une idée ni d’une philosophie, mais le culte d’un Vivant ! C’est ce Vivant qui expliquera pour nous les Écritures dimanche prochain.

Introduction par le père Guillaume de Menthière

Quelques femmes sont allées de grand matin au tombeau

Comment le nier ? nous sommes taraudés par l’intuition que la mort n’est pas un terme définitif. La sagesse séculaire des civilisations, l’expérience de la vie intra-utérine, la forte et comminatoire exigence de justice, voilà trois voies qui conduisent à envisager un au-delà. Certes, mais que sera-t-il ? Le Schéol de l’antique croyance biblique n’a rien de très affriolant…Il fallut des siècles pour que les Juifs pieux entrevoient une perspective plus enviable : la Résurrection. Les disciples d’Emmaüs rapportent le témoignage des saintes femmes au matin de Pâques. Ah ! depuis Eve jusqu’à Madeleine, ce que femme dit ! Le tombeau vide, le corps disparu, les linges pliées : autant de signes de crédibilité. Mais il faudra les apparitions pour emporter la conviction de disciples tellement réticents à croire. Les récits de Pâques sont d’une bouleversante sobriété. Ils ne prétendent rien prouver, mais ils invitent à la foi. On ne peut ni rayer d’un trait dédaigneux les fondements historiques de la Résurrection ni céder à l’ambition prétentieuse de vouloir la démontrer.

Chaque dimanche, conférence à 16h30, adoration à 17h15, vêpres à 17h45, messe à 18h30.

Rediffusions en direct à 16h30 sur KTO télévision et France Culture ; en différé à 19h45 sur Radio Notre Dame et à 21h sur RCF.

[1Charles Péguy, Les Tapisseries, Ève, in Œuvres poétiques complètes, La Pléiade, 1957, p.944

Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2019 : “Allons-nous quelque part ?”

Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2019 : “Allons-nous quelque part ?”