Texte de la Conférence de carême de Notre-Dame de Paris du 20 mars 2022

Le dimanche 20 mars 2022, Mgr Jean-Louis Bruguès a donné sa troisième conférence de carême de Notre-Dame de Paris intitulée “Par l’œil de la colombe” du cycle 2022 “… voici la lourde nef”.

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Texte de la conférence
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Les conférences seront publiées dans un livre aux éditions du Cerf.

Par l’œil de la colombe

Il existe une diplomatie du livre, car les livres voyagent et parlent à ceux qui savent les écouter. En mars 2012, le pape Benoît XVI me fit appeler. Avant de me nommer Archiviste et Bibliothécaire de la Sainte Église Romaine, comme pour vaincre mes réticences, il me laissa deux confidences. « J’aurais souhaité occuper ce poste moi-même, commença-t-il par me dire, si mes frères cardinaux n’en avaient décidé autrement » ; puis, il ajouta : « Je vous confie les trésors de l’Église » (il avait dit joyaux, comme on parle des joyaux de la couronne). Le terme peut étonner : les vrais trésors de l’Église ne sont-ils pas les saints et les sacrements, à quoi Vincent de Paul aurait ajouté les pauvres ? Il est pourtant justifié, car le livre construit des ponts entre les personnes, entre les cultures et les peuples, là où tant de considérations politiques, philosophiques et parfois religieuses, édifieraient plutôt des barrières de suspicion ou de haine…

Les livres dont nous recevions ainsi la garde m’obligèrent ainsi à parcourir le monde, à organiser des expositions ou à préparer des accords internationaux, même avec des pays qui n’entretenaient pas des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, comme la Chine communiste. Je dus me rendre souvent en Europe de l’Est : Russie, Bulgarie, Roumanie. En 2013, j’avais été invité par le gouvernement serbe, pour signer à Belgrade un accord entre la Bibliothèque Apostolique et la Bibliothèque Nationale de Serbie. Mes interlocuteurs racontèrent avec émotion comment les bombes allemandes de 1941 provoquèrent un feu long de sept jours et sept nuits qui réduisit en cendres le bâtiment et son contenu : qui s’en prend à une bibliothèque vise en réalité l’âme du peuple. Ils me demandèrent de rechercher chez nous ce qui leur aurait permis de reconstituer quelque chose du puzzle de leur mémoire disparue. La Vaticane est devenue ainsi, sans l’avoir recherché, une sorte de bibliothèque-mère pour de nombreux établissements martyrisés par l’Histoire, lui conférant même une mission œcuménique inattendue, lorsqu’il s’agit de nations orthodoxes.

Reçu par les patriarches, négociant avec les élites de ces Églises-sœurs, je constatais que nos conversations finissaient toujours par évoquer l’Histoire : hier, le sac de Constantinople par les croisés occidentaux, en 1204, resté aussi douloureusement présent dans la mémoire russe que le souvenir de la révolution de 1917 ; aujourd’hui, le défi lancé par la mondialisation, la sécularisation de nos sociétés libérales, la déchristianisation des masses… Nous parlions enfin de théologie.

La personnalité de Benoît XVI suscitait là-bas beaucoup de sympathie et de curiosité. Il ne serait guère difficile d’expliquer que l’un des fils conducteurs de ce pontificat trop bref était la recherche d’une « via pulchritudinis », une spiritualité animée par la quête du beau. Cette perspective intéressait fort mes interlocuteurs ; ils la jugeaient profondément traditionnelle, familière même. « Pourquoi, me demandaient-ils, ne pas commencer par le commencement ? Pourquoi ne pas s’appuyer sur l’unique fondement, le principe des origines, la troisième personne de la Trinité révélée comme étant l’Esprit de Beauté ? ». Et de me rappeler comment Maxime le Confesseur voyait dans le Royaume de Dieu la Beauté parfaite qui achevait et menait à sa perfection la beauté première de la création ; comment Evagre le Pontique, un grand spirituel du IVe siècle, identifiait le Royaume avec l’Esprit Saint ; comment, par conséquent, personne d’autre que lui ne pouvait représenter l’image du Seigneur. Dostoïesvsky avait lancé cette définition foudroyante : « L’Esprit Saint est la saisie directe de la beauté ». Il est l’Iconographe divin. C’est lui le doigt de Dieu qui écrit l’Icône de l’Être avec de la lumière incréée. Lui-même reste caché, silencieux, mystérieux, puisqu’il ne parle pas de lui-même, selon l’évangile de Jean (Jn 16, 13) ; on dira que sa personne se dissimule dans son épiphanie même ; mais celui qui cherche à emprunter la voie étroite de la quête de la Beauté, et qui gravit un à un les degrés du mont de la Transfiguration, à l’instar des disciples de la semaine dernière, trouvera en ce pédagogue infaillible le sens de la création et le don de la joie éternelle.

Or, ce même dimanche, un évêque qui se préparait au passage final confessait que cet Esprit avait été le grand discret de sa vie. Il était tout autant le Grand Discret de notre Église latine, comme était devenu terriblement discret, hélas, le sacrement à lui étroitement lié. La confirmation a souvent été confondue avec le baptême, alors qu’elle en représente l’achèvement, la conclusion, la source d’une efficacité plénière.

On m’a souvent demandé quels étaient les meilleurs souvenirs que je gardais de mon ministère épiscopal à Angers. Ils ont été nombreux, bien sûr, mais l’un d’entre eux l’emporte sur les autres : la célébration de la confirmation. Il fallait réagir comme une sorte de déclin qui plaçait ce sacrement, avec celui de la pénitence et réconciliation, sur la voie de la raréfaction, de l’extinction peut-être. Le droit canonique explique pourtant que ce sacrement imprime un caractère particulier : poursuivant leur initiation chrétienne, y est-il dit, les baptisés sont enrichis du don de l’Esprit Saint ; plus étroitement associés à la mission de l’Église, ils sont ainsi tenus plus strictement de témoigner de leur foi, en parole et en acte, et de la défendre (can. 879). C’est donc tout naturellement que le code demande que les chrétiens reçoivent la confirmation avant la célébration du mariage ; mais il ajoute cette réserve inexplicable et pourtant significative : « si c’est possible sans grand inconvénient » (can. 1065 §1). Un grand inconvénient ? Un inconvénient à recevoir la plénitude des dons de l’Esprit ? De quelle espèce serait-il, cet inconvénient, pour justifier un tel évitement ? Parce que le contenu de la foi s’est dramatiquement aminci chez les plus jeunes, il a été sagement prévu que la célébration des épousailles soit précédée d’une préparation s’échelonnant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Pourquoi ne pas en profiter pour conférer la confirmation dans ce laps de temps ou, du moins, préparer ces couples à la recevoir ? En rétablissant l’obligation, il serait à craindre, bien sûr, que ne fléchisse le nombre de mariages ; mais ceux qui se refuseraient à la confirmation, on peut en faire le pari, seraient aussi les mêmes qui peineront à souscrire aux conditions du mariage chrétien…

Redonner à la confirmation tout son éclat : le diocèse d’Angers s’y employait avec force. Me reviennent alors en mémoire de grands moments, comme cette fête de la Pentecôte où, tandis que le synode local parvenait à son terme, se présentèrent à l’évêque, sous un soleil printanier, en un même lieu, la vaste prairie d’une école catholique, dans une célébration unique pour le diocèse entier, le millier de confirmands qui s’y étaient préparés une année durant. Comme il était aisé de s’adresser à cette majorité de jeunes ! Transmettre, passer le relais, découvrir aux nouvelles générations les chemins de la foi… Parler du bonheur d’être chrétien ! L’Église de France a bien raison d’administrer ce sacrement aux garçons et aux filles qui prennent leur avenir en charge ; il marque pour eux le seuil des grandes responsabilités. Certes, d’une manière ou d’une autre, tous les sacrements ouvrent une voie à la grâce divine, mais la confirmation reste le sacrement propre de celui auquel est confiée l’Église. « Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu », dit l’évêque qui fait sur le front du confirmand l’onction du saint chrême, cette huile parfumée conférant à celui qui en est imprégné le rayonnement de la force, de la santé, de l’éternité devenue proche… autant d’approches de la beauté.

On comprendra que la plénitude des dons ne transforme pas les confirmés en esthètes, au sens moderne de ce terme ; il n’y a ni magie, ni d’automatismes dans la pratique chrétienne. Toutefois, celui qui abrite l’Esprit au plus intime de lui-même et en fait son compagnon de route, avec ce que cela implique de réflexion, puisqu’il s’agit de l’Esprit de science, de prière et de ferveur sacramentelle, puisque l’Esprit confère une inclination à la piété et à l’adoration, celui-ci donc acquiert avec lui une familiarité qui donnera sens à son existence. Voir avec l’Esprit de beauté, voir comme Lui, confondre son propre regard avec le sien, et Grégoire de Nysse d’inciter à « regarder par l’œil de la Colombe ». Une phrase de Maître Eckhart ne laisse pas de nous interroger, comme elle intrigua Hegel : « L’œil par lequel je vois Dieu est l’œil par lequel Dieu me voit ». Elle illustre cette tradition spirituelle, née aux premiers siècles, qui invite l’homme à hisser son regard jusqu’à celui de Dieu pour voir le monde tel qu’il le voit. Dans sa lettre aux artistes, datant du 4 avril 1999, Jean-Paul II citait Macaire d’Égypte, un disciple de S. Antoine, au IVe siècle : « L’âme qui a été pleinement illuminée par la beauté indicible de la gloire lumineuse du visage du Christ, est remplie de l’Esprit Saint (…), elle n’est qu’œil, que lumière, que visage ».

Or, le premier regard que porte la Colombe est celui de l’émerveillement. Lorsque l’Église s’apprête à célébrer un évènement d’importance, lorsqu’une communauté religieuse se réunit pour élire ses supérieurs ou bien, plus prosaïquement, lorsque le fidèle ouvre sa journée par une oraison, c’est toujours le Veni Creator qui vole sur les lèvres pour éveiller l’action de grâces : « Viens, Esprit Créateur / visite l’âme de tes fidèles / emplis de la grâce d’En-Haut / les cœurs que tu as créés ». L’hymne du commencement renvoie ainsi au début absolu, à l’aurore des temps. L’esprit ou le souffle de Dieu planait sur l’univers informe, dit la Genèse (Gn 1, 2), et tournoyait sur les eaux matricielles. Le premier regard de la Colombe portait donc sur la création, tandis que suscitait son admiration chaque élément apparaissant sur la scène du monde. La langue grecque, en son génie, avait forgé un terme unique, kalokagathia, « bel et bon », qui faisait du beau et du bien, deux termes issus d’une même racine indoeuropéenne, les deux versants d’une même réalité : c’est cette expression que choisit la Septante. « Dieu vit que cela était bon », retiennent malheureusement les traductions du moment qui amputent ainsi de sa moitié la portée du texte sacré. La lumière était belle et pas seulement bonne aux yeux de Dieu, le ciel était beau, la terre, les arbres et les plantes, les animaux de toute espèce éblouissaient l’Esprit créateur, son enthousiasme culminant avec le dernier acte. Les anges eux-mêmes n’en revenaient pas quand ils considérèrent l’ultime créature, la plus inattendue peut-être, en tout cas la plus sophistiquée, la plus proche de son modèle, l’homme : à peine moindre qu’un dieu, chantaient les psaumes, « couronné de gloire et de splendeur » (Ps. 8, 6), appelé à commander à l’univers entier en soumettant tout à son ingéniosité et à sa maîtrise.

« C’est beau ! » : la parole de Dieu s’est faite humaine. Un essayiste contemporain fait justement remarquer que, lorsque nous disons « C’est bien ! », nous faisons appel à un critère moral ; quand nous disons « C’est bon ! », nous utilisons un critère sensuel ; quand nous disons « C’est vrai ! », le critère devient rationnel ; mais avec « C’est beau ! », il n’y a plus de critère du tout. Alors que les critères de toutes sortes sont frappés de suspicion et risquent de disparaître, laissant nos sociétés victimes de ce que Benoît XVI nommait la « dictature du relativisme », la beauté représente l’ultime refuge, à moins qu’elle ne soit, dit-il, « l’arme de résistance massive » à l’indifférentisme ambiant. « Fréquentez la beauté le plus possible, conseille le même jeune philosophe, multipliez les expériences esthétiques, les occasions d’éprouver la morsure délicieuse de ce pur élan vers les autres, vers tous les autres, vers l’universel ». Ainsi, la beauté n’est pas une explication, mais une exclamation. Elle désigne une émotion qui ne dure pas, mais nous comble parfaitement et ressemble à quelque chose d’éternel. Elle apaise et dynamise, rend l’existence plus intense et plus ouverte. Elle est ce « moment où la raison se met à voir » (Charles Pépin). Elle porte en elle, sous forme de nostalgie, la trace d’un paradis perdu, mais elle aiguise l’espérance et la pousse à aspirer après l’infini, dans l’attente d’une mystérieuse plénitude. « Il est des beautés pleines d’une lumineuse douceur, écrit François Cheng, qui, soudain, par-dessus ténèbres et souffrance, nous remuent les entrailles… ». C’est pourquoi nous avons tant besoin de la beauté.

« Il y a le ciel, il y a la terre », disions-nous la semaine dernière. Au ciel se livrent de terribles batailles : « … dans le ciel, Michel et ses anges, est-il écrit dans le livre de l’Apocalypse, combattirent contre le dragon. Et le dragon, lui aussi, combattait avec ses anges, mais il n’eut pas le dessus (…). Le grand Dragon, celui qu’on nomme Diable ou Satan, le séducteur du monde entier, fut précipité sur la terre… » (Ap 7-9). Dieu n’est pas le seul à s’habiller de beauté, le mal l’imite et rend la beauté ambiguë, sinon fatale. Le prophète Isaïe s’en étonnait : “Et toi, Lucifer, comment es-tu tombé du ciel ? Toi qui t’élevais à chaque aurore plein de beauté, tu as été précipité à terre, alors que tu étais le vainqueur des nations” (Is 14, 12, trad. Vulgate). Ézéchiel avançait cette explication : “Ton cœur s’est enorgueilli à cause de ta beauté. Tu as corrompu ta sagesse à cause de ton éclat. Tu as été jeté à terre” (Ez 28, 17). Pourquoi lui ? Le fait est là : Lucifer, le porte-lumière était le plus beau des anges ; il se rebella pourtant contre Dieu et entraîna dans sa chute une foule d’autres anges… La beauté est ainsi devenue l’objet d’une lutte qui dépasse les seules forces humaines ; elle s’est faite séduction. Si la vérité est toujours belle, la beauté, elle, n’est pas toujours vraie. Le mal est pris dans les liens de la beauté, comme un captif couvert de chaînes d’or : ces liens le cachent et rendent sa réalité invisible aux yeux des hommes (Plotin).

L’éternel combat contre le mal n’altère en rien la jubilation divine, parce que l’Esprit finit toujours par l’emporter, et cette jubilation ouvre deux voies à notre existence. Nommons la première contemplation poétique. L’homme n’en revient pas de la splendeur de l’univers et se prend à la chanter sur tous les modes. Il ne serait guère difficile de montrer comment la tradition chrétienne s’est magnifiquement acquittée de cette action de grâces, avec Lactance, François d’Assise, Dante, Jean de la Croix, Hopkins ou encore les tapisseries de Jean Lurçat et de Dom Robert. Toutefois, une religion de l’Incarnation se devait de faire du « paysage » un cadre, une mise en valeur pour la seule créature faite à l’image de Dieu, voulue pour elle-même ; l’univers n’est que le jardin de l’âme. « Votre âme est un paysage choisi… », chantera Verlaine. Ce n’est qu’avec le romantisme de la fin du XVIIIe siècle, alors que la patine chrétienne commence à se craqueler, que la nature devient le sujet principal, sinon exclusif, de la création artistique. On passera ainsi du portrait d’un Titien ou d’un Van Dyck au coucher du soleil sur la montagne Sainte-Victoire, de Cézanne…

Un romantique pourtant, Alfred de Musset, annonce la seconde voie : « Or, la beauté, c’est tout, écrit-il. Platon l’a dit lui-même : / La beauté sur la terre est la chose suprême / C’est pour nous la montrer qu’est faite la clarté ». L’idée est forte : si l’Esprit divin regarde d’en-haut la création croître et se développer, ne serait-il pas possible d’imaginer une démarche inverse ? Les philosophes et les mystiques ont ainsi conçu la voie de la beauté comme une ascension. On hésite à citer ces textes les plus célèbres de la littérature occidentale, les plus rabâchés aussi ; mais comment faire, puisqu’ils représentent le socle, le point de départ obligé de toute méditation – je devrais dire de toute théologie chrétienne – sur la beauté. Dans Le Banquet, Platon conseille de partir des réalités de « partir des beautés de ce monde (…), de s’élever continuellement, en usant d’échelons, passant d’un seul beau corps (…) aux belles occupations, ensuite des occupations aux belles sciences, jusqu’à ce (…) qu’on parvienne (…) à la beauté finale, la beauté belle en soi » (211c). Son lointain disciple, Plotin, donnera à la voie ascendante une forme quasiment parfaite qui passera, telle quelle, dans la tradition chrétienne. La beauté est liée à l’amour, assure-t-il. Dans son Traité, il distingue trois étapes de la montée de l’âme vers le Bien : l’âme commence par reconnaître la beauté des choses sensibles ; elle s’élève vers le monde des formes-esprit et cherche l’origine de leur beauté ; enfin, elle atteint le Bien qui est Beauté Sans-Forme au-dessus de la beauté formelle. Des siècles plus tard, Proust écrira : « La beauté ne doit pas être aimée pour elle-même, car elle est le fruit de la collaboration entre l’amour des choses et la pensée religieuse ».

Sur le panneau de bois où Memling évoque Les Sept joies de Marie, la Colombe est représentée à deux reprises, a-t-il été déjà dit : sur la partie supérieure, à gauche, lorsque l’ange annonce à la toute jeune fille que l’Esprit la couvrira de son ombre et qu’elle enfantera le Fils du Très-Haut ; puis, en bas et à droite, comme nous l’évoquions dimanche dernier, pour la Pentecôte. Or, en ces deux occasions, que voit-elle ? Un temple : le temple du corps de la Vierge qui va porter celui que l’univers ne saurait contenir, et le temple de l’Église appelée à devenir le témoin du salut apporté à tous. La confirmation s’inscrit dans cette même perspective qui s’ouvre par la même prière que celle de la Pentecôte, déjà citée : « Dieu de puissance et de miséricorde, envoie vers nous ton Esprit Saint : qu’il trouve en chacun de nous sa demeure et nous transforme en temples de sa gloire ». Dans son épître aux Éphésiens, S. Paul avait rappelé déjà que les chrétiens n’étaient plus des étrangers, ni des gens de passage. Devenus les concitoyens des saints, ils appartenaient désormais à la famille de Dieu et participaient, à ce titre, à l’harmonieuse construction du temple saint dans le Seigneur (Ep. 2, 19-22).

Temples ! Temple des communautés, l’Église, et temple de chaque croyant, appelé à rayonner par sa parole, ses actes et dans son corps même, la gloire de Dieu. Temples de chair et temples de pierres. Temples placés sous le patronage de Notre-Dame. Tous animés du même Esprit de beauté !

C’est que, depuis les temps les plus anciens, le temple est associé à la beauté. Après des refus successifs, le Seigneur avait fini par se rendre aux raisons de son serviteur, le roi David : il avait consenti à se laisser construire un temple et à l’habiter de sa sainteté. Tout Israël rivalisa de splendeur. On convoqua les meilleurs architectes qui imaginèrent les proportions les plus harmonieuses. On embaucha les artisans les plus habiles et fit venir les matériaux les plus nobles. « Salomon, dit le texte, en revêtit l’intérieur d’or pur. Quant à la grande salle, il la plaqua en bois de genévrier qu’il recouvrit d’un bel or, en y dessinant des palmes et des guirlandes. Il la sertit de pierres précieuses éclatantes ; l’or était de l’or de Parvayim, il en recouvrit la salle, les poutres, les seuils, les parois et les portes, et grava ensuite des chérubins sur les murs » (2 Ch 3, 4-6). En écoutant ces descriptions lyriques, on comprend que la beauté est un hommage rendu par l’homme à la sainteté de Dieu. Celui-ci en rappelle d’ailleurs la signification : « J’habiterai au milieu de vous si vous marchez selon mes lois, si vous accomplissez mes ordonnances et si vous suivez fidèlement mes commandements » (1 R 6, 12). Dieu lui-même lie la beauté des formes au bien de la vie morale, et il ne servirait à rien de bâtir le plus magnifique des temples si les fidèles n’y observaient pas la loi divine. La beauté devient ainsi une sorte d’aide-mémoire : elle nous rappelle la perfection de Dieu, mais encore cette perfection vers laquelle nous devons tendre de toutes nos forces : que la splendeur divine se reflète en chacun de nos actes, que sa « gloire », pour reprendre un terme habituel de la Bible, éclate en chaque créature façonnée à son image.

Le Seigneur condescend à ce soit érigé un temple pour l’honorer, mais lui-même refuse de se laisser représenter. La loi de l’Ancient Testament l’interdit de manière explicite : « Maudit soit l’homme qui fait une idole sculptée ou fondue, 12 une œuvre faite de mains d’artisan. C’est une abomination pour le Seigneur » (Dt 27, 15). Et encore : « Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre » (Ex 20, 4). Les lectures proposées pour ce troisième dimanche de carême rapportent la stupeur d’un Moïse devant un buisson qui brûlait sans se consumer. L’espace devient sacré, comme sera sacré celui de tous les temples à venir : « N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte… » (Ex 3, 5). Et lorsque Moïse cherche à s’abriter derrière un nom, afin de justifier la mission qui lui est confiée, il s’attire cette réponse en forme de mystère : « Je suis celui qui est » (Ex 3, 14).

Il faudra attendre l’incarnation du Verbe pour que soit levé l’interdit, et la transfiguration, pour que l’Esprit révèle dans le corps du Fils la beauté absolue qu’aucun art ne saurait rendre de manière significative, où se joignent le charnel et le spirituel, l’humain et le divin, le plus sensible et l’inaccessible transcendance.

Introduction par Mgr Jean-Louis Bruguès

Celui qui reçoit la confirmation accepte que l’Esprit devienne son compagnon de route. Or, « L’Esprit Saint est la saisie directe de la beauté » (Dostoïevski). Le chrétien est donc invité à fréquenter la beauté le plus possible, à voir par l’œil de la Colombe, à partager la jubilation de l’Esprit créateur. « C’est beau ! » : l’exclamation précède l’explication. Que la splendeur divine se reflète en chacun de nos actes, en chacun de nos temples !

Chaque dimanche, conférence à 16h30, prière à 17h15, vêpres à 17h45, messe à 18h30 à Saint-Germain l’Auxerrois.

Diffusion en direct à 16h30 sur France Culture ; en différé, à 17h30 sur KTO télévision et à 19h45 sur Radio Notre Dame.

Carême 2022 – “... Voici la lourde nef !”