Congrès « missionnaire » ?

Entretien du cardinal Jean-Marie Lustiger accordé à Dimanche Bruxelles le 9 septembre 2004.

Lorsqu’on parle du Congrès international pour une Nouvelle Evangélisation, on parle aussi de congrès « missionnaire » ; quelle est précisément l’ambition d’un tel rendez-vous ?

Missionnaire ? Pour les plus âgés, cela évoque un prêtre barbu en soutane blanche, avec un casque colonial entouré d’africains ou d’asiatiques ; c’était il y a plus d’un demi-siècle. Depuis, les jeunes Eglises sont déjà des Eglises adultes et ont leur propre hiérarchie et leur clergé. Ces jeunes Eglises envoient déjà de leurs prêtres au service des pays d’Europe.

Que vient donc faire le mot « missionnaire » pour désigner ces congrès internationaux dont le prochain aura lieu à Paris dans la semaine qui précède la Toussaint ? Le premier s’est tenu à Vienne en 2003, le suivant en 2005 se tiendra à Lisbonne, puis en 2006 ce sera le tour de Bruxelles et en 2007 de Budapest.

Certains penseront au titre d’un livre très célèbre paru en 1943 à Paris : « La France, pays de mission ? ». Ce livre voulait montrer avec force qu’il y avait en France, vieille terre chrétienne, disait-on, des populations françaises aussi ignorantes de la foi chrétienne que l’étaient des populations d’Afrique ou d’Asie jusque-là non-évangélisées.

Quelle est à cet égard la situation de l’Europe occidentale, sans parler des pays de l’Est de l’Europe qui subirent pendant soixante-dix ans le rouleau-compresseur d’un régime dictatorial athée ?

Le brassage et la confrontation des cultures mettent en évidence l’originalité religieuse de l’Europe occidentale. Certes, les soutiens familiaux, ecclésiaux, éducatifs de la vie chrétienne ont été bouleversés par les changements de la vie sociale pendant les cinquante dernières années. Il reste que le patrimoine de notre civilisation est entièrement façonné par des siècles de culture chrétienne, même si cette culture est traversée par le péché, la négation, voire l’autodestruction. Les langues européennes elles-mêmes tout comme leur littérature sont à jamais marquées par cette empreinte où se lit le travail de plusieurs siècles d’humanité chrétienne.

Il faut même aller plus loin. L’athéisme des pays européens est un athéisme chrétien ; ce qu’il nie, c’est précisément ce qui fait l’originalité de l’Europe, à savoir la révélation qu’elle a reçue, de la Transcendance et de la Rédemption dans la figure du Christ-Messie qui a fait naître l’aspiration à un idéal d’humanité original : la sainteté. De cet humanisme idéal viennent toutes les idées modernes qui aujourd’hui se mondialisent depuis celle de la fraternité universelle jusqu’à la conviction de la puissance de la raison. L’Europe est à jamais marquée par la révélation que l’homme est "créé à l’image et à la ressemblance de Dieu". Même prométhéenne, l’ambition de la civilisation européenne dépasse de loin celle de l’antique Prométhée.

Alors, pourquoi parler de « mission » et de « missionnaire » pour l’Europe d’aujourd’hui ? « Missionnaire » vient du latin missus qui veut dire « être envoyé ». Qui est envoyé ? Par qui et pour qui ?

 Qui est envoyé ? Les européens qui vivent aujourd’hui de la foi au Christ et qui y trouvent leur force et leur joie.
 Qui les envoie ? Ce qui les envoie et qui les pousse, c’est l’amour qu’ils portent pour leurs frères ; c’est le goût impossible à détruire de la vie et l’espérance du Bonheur qu’on ne peut garder pour soi-même. C’est l’amour de ceux qu’ils reconnaissent comme leurs frères, non seulement leurs compatriotes mais tous ceux qui partagent cette même histoire.
C’est l’amour qui sait aller jusqu’à l’ennemi. Et pourtant nous, européens, nous nous sommes entre-déchirés pendant des siècles, nous avons fait de la diversité des nations et des langues des causes de division et d’exclusion. Mais nous n’avons pas cessé de nous réconcilier et de nous accepter mutuellement comme des frères, d’abord ennemis, parfois à nouveau ennemis. L’expérience récente de l’Europe, notamment entre l’Allemagne et la France, puis l’Allemagne et la Pologne en est un exemple éclatant. Ce qui nous envoie c’est l’Amour qui nous vient de Dieu : « Dieu est Amour » nous dit saint Jean.

Ces congrès missionnaires sont donc destinés à nous entraider entre différents pays d’Europe pour savoir comment nous pouvons nous-mêmes vivre du trésor de la foi dont nous sommes les dépositaires et comment nous pouvons et devons le partager avec tous ceux qui, le possédant encore, l’ont oublié, avec tous ceux qui, l’ayant reçu, l’ont enfoui, avec tous ceux qui, faisant leur notre culture, peinent à la comprendre en vérité, faute d’en connaître la source. Il s’agit d’un partage dont nous prenons l’initiative ; et non de violence idéologique, de propagande ou d’entreprise-marketing. Nous voulons annoncer la Bonne Nouvelle du salut selon la logique même de l’Evangile par un échange fondé sur le respect de l’autre. Nous désirons que chacun s’épanouisse selon la lumière qu’il a reçue de Dieu, et qu’il découvre librement le chemin de la vraie liberté.

Nous croyons donc que les hommes peuvent se parler entre eux sans s’agresser et que la parole que nous avons à dire est notre parole et en même temps celle par laquelle Dieu nous parle.

+ Jean-Marie cardinal Lustiger
Archevêque de Paris

 Voir le document sur le site de l’Institut Lustiger

Paris Toussaint 2004