« L’idéologie du gender met en place une culture de dissociation »

Entretien avec Elizabeth Montfort, diocèse de Fréjus Toulon, avril 2013
Auteur avec Aude Mirkovic et Béatrice Bourges de De la théorie du genre au mariage de même sexe… L’effet dominos, Peuple Libre, 2013

Vous parlez de « confusion des genres » : de quoi s’agit-il ?

Comme il est écrit dans le projet de loi « ouvrant le mariage aux personnes de même sexe » : « Nous n’avons jamais eu besoin de préciser que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, tant cela relève de l’évidence. Si bien qu’un grand nombre de français se demande comment cette question se pose en France aujourd’hui. Une révolution anthropologique a marqué nos sociétés occidentales à partir de l’interchangeabilité des rôles et des fonctions et de l’indifférenciation des sexes, au nom de l’égalité.

Plus qu’un mot, le concept de genre est l’instrument de cette révolution dans nos sociétés en quête d’identité. Sociétés où la raison et la liberté ne s’appuient pas sur la réalité des êtres et des choses, mais sur les désirs. Le concept de genre, dans son sens subversif, est le révélateur d’une société qui refuse le réel comme limite à ses désirs.

C’est l’américaine Judith Butler qui introduit ce sens subversif au mot gender  : le gender est la perception subjective que l’individu a de lui-même, sans lien avec son sexe biologique. Ce genre suffirait à définir l’identité sexuelle, non plus comme homme ou femme mais en termes d’homosexuel ou d’hétérosexuel.

« Les genres dépendraient de la diversité des conduites sexuelles sans rapport avec la distinction homme et femme [1] ».

Dans son livre « Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion [2] » Judith Butler tente d’élaborer une politique féministe qui ne soit pas fondée sur l’identité féminine. Son objectif est de sortir du schéma homme/femme et de rejeter « l’hétérosexualité obligatoire », comme survivance de ce schéma. Elle propose de déconstruire toutes les normes symboliques et fonctionnelles renvoyant à la complémentarité des sexes et ainsi repenser l’organisation sociale, non plus sur le mode de l’altérité homme/femme, mais selon les modèles homosexuel et hétérosexuel. Ainsi, sera respectée l’égalité des individus, quelque soit leur choix de vie, et indépendamment de toute la réalité de l’être humain, homme ou femme.

C’est précisément le point de rupture idéologique : les nouveaux sujets de droits, hétérosexuel et homosexuel remplacent l’homme et la femme. Or nous dit la philosophe Sylviane Acacinski : « On ne semble pas remarquer que la revendication du « mariage homosexuel » ou de « l’homoparentalité » n’a pu se formuler qu’à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droits qui n’ont jamais existé : les « hétérosexuels ». C’est en posant comme une donnée réelle cette classe illusoire de sujets que la question de l’égalité des droits entre « homosexuels et hétérosexuels » a pu se poser. Il s’agit cependant d’une fiction, car ce n’est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage, ni la parenté, mais d’abord le sexe, c’est-à-dire, la distinction anthropologique des hommes et des femmes [3]. »

Maintenir le schéma homme/femme, revient à les enfermer dans leur identité d’homme et de femme que les féministes du gender qualifient de stéréotype. C’est refuser leur égalité

Quelles conséquences à cette « théorie du genre » pour notre société ?

L’idéologie du genre est une idéologie de déconstruction : déconstruction par rapport à la nature, reconstruction selon la seule volonté de l’individu. On ne choisit pas son corps, mais on choisit son genre. Ce changement de paradigme donne l’illusion d’une liberté. Mais celle-ci est déconnectée du réel.
Les trois lieux de déconstruction : le genre lié au sexe biologique, la famille fondée sur le mariage et la procréation comme engendrement par un homme et une femme ont pour but de créer de nouveaux droits. La loi doit adopter le droit au mariage pour tous, le droit au désir d’enfant, le droit à l’enfant…indépendamment des circonstances qui les rendent possibles.

L’égalité devient une notion abstraite qui ne prend pas en compte l’histoire singulière de chaque personne et son enracinement dans un monde réel.

L’idéologie du gender met en place une culture de dissociation : dissociation entre union et procréation, entre procréation et éducation, entre parenté et parentalité, entre nature et culture. D’où une conception positiviste ou utilitariste de la nature qui empêche de voir la personne dans tout son être, dans sa totalité unifiée : les individus sont réduits à des fonctions ou à un rôle social. On ne regarde plus le sens des êtres et des choses, mais le "faire" ou l’"agir".

Par exemple, la fonction de parents est considérée du point de vue de la fonction éducative et non dans son sens réel et symbolique de l’engendrement, comme père et mère. Or être parent c’est un état avant d’être une fonction. Et seul l’homme et la femme peuvent engendrer ensemble comme père ET mère. Les féministes du gender rejettent cette conception de la parenté comme survivance de l’altérité.

Pour atteindre l’égalité entre les individus, l’objectif est l’indifférenciation des fonctions d’une part : les féministes du genre admettent l’interchangeabilité des rôles de la mère et du père et l’indifférenciation des fonctions maternelles et paternelles, notamment dans l’éducation des enfants ; et l’indifférenciation des sexes : plus besoin de désigner les parents comme père et mère, mais comme « parent » indifférencié et neutre. Plus besoin d’appeler les conjoints mari et femme, mais « époux » indifférencié et neutre.

Cette double indifférenciation permet aux individus de s’autodéterminer comme "époux" et comme "parent" alors que la réalité les en empêche. La fonction sociale serait retenue pour « faire parents » car elle donne l’illusion d’un choix hors des contraintes du corps et de l‘altérité sexuelle. Mais elle ne peut être satisfaite qu’à condition de contourner la nature : d’où la revendication pour les couples de personnes de même sexe d’avoir accès à la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour les femmes et à la GPA (Gestation Pour Autrui) pour les hommes.

La volonté déconnectée de la réalité du corps sexué permet aux individus d’affranchir leurs désirs des limites du réel. La filiation ne serait plus fondée sur l’engendrement par un homme ET une femme, mais sur le projet parental quelque soit les circonstances et les choix de vie.

Quels problèmes pose « l’homoparentalité » ?

L’homoparentalité est un mot inventé qui ne correspond pas à la réalité : la double indifférenciation des fonctions et des sexes permet aux individus de s’autodéterminer comme « époux » et comme « parent » alors que la réalité les en empêche. La fonction sociale serait retenue pour « faire parents » car elle donne l’illusion d’un choix hors des contraintes du corps et de l‘altérité sexuelle. Mais elle ne peut être satisfaite qu’à condition de contourner la nature : d’où la revendication pour les couples de personnes de même sexe de pouvoir adopter et d’avoir accès à la PMA pour les femmes et à la GPA pour les hommes.

La filiation ne serait plus fondée sur l’engendrement par un homme ET une femme, mais sur le projet parental quelque soit les circonstances et les choix de vie.
La volonté déconnectée de la réalité du corps sexué permet aux individus d’affranchir leurs désirs des limites du réel.

Le projet de loi de « mariage pour tous » bouleverse-t-il le Code civil ?

La loi pourrait reconnaître qu’un enfant puisse avoir deux parents de même sexe, alors que c’est objectivement et biologiquement impossible. Il s’agirait d’une filiation fictive ou invraisemblable. Un enfant peut être élevé et éduqué par deux adultes de même sexe, mais la loi ne peut pas les désigner comme ses deux mères ou ses deux pères ou ses « père et mère » de même sexe.

Le projet de loi prévoit de supprimer les mots femme et mari pour les remplacer par « époux », terme asexué et neutre et les mots père et mère par « parents », terme asexué et neutre. Quand ces mots sont maintenus, le rapporteur de l’Assemblée nationale nous informe qu’ils n’auraient plus de lien femme et homme. Ces mots deviendraient des concepts vagues et abstraits en lien avec une fonction et non avec la réalité de l’engendrement.

Vous parlez d’ « effet domino » : comment renverser la tendance ?

L’effet domino consiste en une série de cause à effet qui s’enchaine. Si le projet de loi sur le mariage pour des personnes de même sexe était voté, l’adoption pour ces personnes serait automatique, puisqu’elle découle du mariage.

Enfin, la France est membre de l’Union européenne ce qui nous oblige au respect de sa législation et de sa jurisprudence. Or au nom de la lutte contre les discriminations, la Cour Européenne des Droits de l’Homme obligerait la France à autoriser deux femmes mariées à avoir recours à la PMA. Au nom de l’égalité et par voie de conséquence, deux hommes mariés se verraient autorisés à avoir recours à la GPA, technique aujourd’hui interdite en France, mais tolérée dans d’autres pays membres de l’Union.

Nous voyons bien qu’à partir de la seule modification du mariage, c’est toute la filiation qui change de sens, parce que le mariage est le point de rencontre de deux aspects complémentaires : l’union de l’homme et de la femme et la potentialité de fonder une famille, donc d’avoir des enfants. Les français se prononcent dans leur majorité en faveur du mariage pour des personnes de même sexe, mais sont opposés à l’adoption et au recours à la PMA ou à la GPA pour des personnes de même sexe. Ils n’ont pas réalisé que la filiation est la conséquence directe du mariage.

Le projet de loi n’est pas un texte minimaliste ou une actualisation du Code civil en matière de mariage et de filiation. Pour la première fois, des critères subjectifs seraient retenus comme fondements de la réforme du droit de la famille : reconnaissance d’un sentiment amoureux pour le mariage et volonté d’être parent, indépendamment des possibilités de l’être, pour la filiation.

Si ce projet était adopté, il entérinerait une révolution anthropologique sans précédent. Plus qu’un débat démocratique ou politique, il s’agit bien d’un enjeu de civilisation.

Propos recueillis par Falk Van Gaver
Source : www.diocese-frejus-toulon.com

[1« Femme entre sexe et genre » de Sylviane Agacinski, le Seuil, juillet 2012

[2« Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion » (Edition La Découverte, Paris, 2005).

[3Le Monde 22 juin 2007

La théorie du genre

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