Entretien de Mgr Michel Aupetit dans Libération

Libération – 19 avril 2019

Propos recueillis par Bernadette Sauvaget le 18 avril 2019.

Vous êtes un archevêque sans cathédrale ?

Ma cathédrale, c’est le peuple de Dieu qui, lui, est toujours debout. Nous avons célébré mercredi soir la messe chrismale à Saint-Sulpice avec des milliers de personnes à l’intérieur et à l’extérieur.

Comment allez-vous vous organiser ?

A priori, l’église Saint-Sulpice, la plus vaste du diocèse, est la plus appropriée pour prendre le relais. Cependant, nous allons envisager les choses paisiblement. Beaucoup de cérémonies et d’événements étaient programmés à la cathédrale. Je ne veux pas effrayer le curé de Saint-Sulpice qui voit une montagne lui tomber sur la tête.

Comment réagissez-vous à la polémique sur les dons des grandes entreprises ?

Les grands donateurs ne sont pas les seuls à se mobiliser. Je vois des gens modestes qui veulent, eux aussi, contribuer. Il est possible, je n’en sais rien, que ces grands donateurs aient des fondations pour s’occuper des pauvres. Pour ce qui concerne le diocèse, c’est la Fondation Notre Dame qui est chargée ponctuellement de recueillir les dons en vue des travaux de restauration. A l’origine, je veux le rappeler, elle a été créée pour venir en aide aux plus démunis et elle s’en occupe toujours. Elle nous permet de mener des actions de solidarité : colocations entre des jeunes et des personnes qui vivaient dans la rue, l’opération annuelle Hiver solidaire, pendant laquelle des SDF sont accueillis dans des paroisses de Paris. Il faut le dire : les plus démunis sont chez eux à la cathédrale. Ce n’est pas un édifice de riches. Lorsque je m’y rends, ce sont des personnes modestes qui viennent me saluer. C’est leur maison !

Cette polémique n’a donc pas lieu d’être ?

Je ne crois pas. Il n’y a pas d’antinomie. Nous ne prenons pas aux pauvres pour reconstruire la cathédrale. Nous allons la rebâtir et nous allons continuer de donner aux pauvres.

A l’occasion de cet incendie, le débat a été relancé sur la question des racines chrétiennes de la France. Est-ce nécessaire ?

Cette cathédrale est une expression du génie humain et en même temps celle de la foi. Là aussi, ce n’est pas antinomique. Les bâtisseurs de Notre-Dame ont été mus, je crois, par un élan spirituel. Comme nous le disons à la messe, elle est le « fruit de la terre et du travail des hommes », de la ferveur présente dans le cœur humain.

Comment allez-vous participer aux choix pour la reconstruction ?

Mercredi, j’étais chez le président de la République. Il y avait là tous les acteurs concernés. Qui va prendre les décisions ? Je ne sais pas. Ce n’est pas moi, bien entendu. C’est un lieu de culte qui doit être rendu au culte, voilà ce que je dis. Notre-Dame n’est pas un musée. L’émotion prouve bien que ce n’est pas un lieu vide. C’est un lieu vivant. Ce sont les chrétiens qui le font vivre, des prêtres polyglottes qui reçoivent les visiteurs, bien plus nombreux qu’au Louvre. En association avec la ville de Paris, très investie sur la question, je demande que l’on puisse installer transitoirement un lieu d’accueil. Si les touristes viennent sur l’île de la Cité, c’est pour voir Notre-Dame. Ce lieu transitoire nous permettrait de recevoir les visiteurs. Nous sommes en train de réfléchir à ce qui pourrait être le plus adapté.

Cette catastrophe arrive à un moment particulier pour le catholicisme français, très ébranlé par la crise des abus sexuels.

On va reconstruire la cathédrale de pierres. Mais on va aussi restaurer l’Eglise. Les chrétiens sont des pierres vivantes. Avec eux, avec tous les fidèles, nous avons déjà entamé la refondation sur les valeurs évangéliques. Il faut que nous revenions à la source. Nous avons souffert, les affaires [d’abus sexuels, ndlr] sont venues au grand jour. Et c’est tant mieux ! Il ne peut y avoir de purification sans vérité. Nous devons regarder cela en face. On ne construit rien sur le silence. La semaine dernière, samedi soir exactement, j’étais à une rencontre avec des victimes jusqu’à 1 heure du matin. L’affaire concernait un prêtre qui est mort depuis longtemps. Ces personnes avaient besoin de m’entendre leur dire : « Je vous crois. » J’ai vu leur souffrance, leur détresse. Du travail reste à faire, sûrement, mais nous allons continuer sur cette lancée.

Certains questionnent l’entretien du patrimoine religieux, qui aurait été délaissé, notamment à Paris.

Nous travaillons main dans la main avec la municipalité pour voir comment s’associer afin de rénover ce patrimoine, commun à tous les Parisiens. L’Eglise est seulement l’affectataire. Un nombre important de personnes entre dans ces églises, sans forcément y prier. Ces lieux sont des lieux de gratuité. Il y en a peu dans notre société…

Source : https://www.liberation.fr/amphtml/france/2019/04/19/cette-cathedrale-n-est-pas-un-edifice-de-riches_1722474

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