Entretiens sur la messe de Mgr Michel Aupetit

En ces temps douloureux où les messes sont suspendues, Mgr Michel Aupetit propose de réfléchir sur ce que signifie l’eucharistie pour les chrétiens, comment et en quoi elle est “source et sommet de la vie chrétienne”.

 Dossier “Épidémie du coronavirus”.

1re partie – vendredi 20 mars 2020

En ces temps douloureux où une pandémie met en danger nos concitoyens, nous avons été obligés de suspendre les messes dominicales pour un temps, en réponse à l’appel du gouvernement et en raison de notre participation motivée au bien commun.

Je vous propose de réfléchir ensemble sur ce que signifie l’eucharistie pour les chrétiens, comment et en quoi elle est « source et sommet de la vie chrétienne » (Concile Vatican II, Lumen Gentium n° 11). Il ne s’agit pas de combler une frustration légitime mais d’augmenter notre soif de la vie divine et de ce Corps du Christ qui se livre à nous et qu’il convient de recevoir avec amour et respect. Puisse ce temps de désert nous introduire dans la fidélité à ce rendez-vous d’amour hebdomadaire, tellement oublié par les chrétiens, hélas.

« Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6, 21). Cette parole de Jésus nous invite à chercher la priorité de nos vies. Chacun possède une motivation première qui est le moteur de ses actes. Chacun agit aussi en vue d’une fin considérée comme la valeur suprême à laquelle tout est ordonné, ce que le Christ appelle notre « trésor ». Pour un chrétien, ce trésor c’est le Christ lui-même, Verbe de Dieu, expression parfaite de l’Amour du Père. Le Christ nous élève jusqu’à la communion divine et nous donne la Vie même de Dieu dans le baptême. Nous sommes un écrin destiné à recevoir le plus beau des bijoux : le Fils de Dieu.

Ce trésor se reçoit chaque jour dans l’eucharistie. À la messe, le « Verbe se fait chair » pour habiter de sa Vie nos vies sans sève et sans avenir. Pour nous, le « Verbe se fait chair » comme en Marie, la Vierge qui a offert sa liberté à l’Amour pour que, comme elle, nous le partagions au monde. Oui, la messe est le « trésor » de la vie chrétienne, parce que le Christ est le « trésor » du chrétien. Puissions-nous y placer notre cœur et retrouver le trésor laissé par le Seigneur. Comprendre la signification profonde de la messe nous aidera à répondre à l’appel de son Amour : « Faites ceci en mémoire de moi ».

2e partie – samedi 21 mars 2020

Il est utile d’explorer le vocabulaire employé pour désigner ce que nous faisons à la suite du Seigneur.

La Messe : Ce nom n’est pas employé dans l’Eglise primitive. Il apparaît aux Ve-VIe siècles. Il vient du latin missa tiré du verbe mittere qui veut dire envoyer. En effet, à la fin de la messe, le prêtre dit en latin : « ite missa est », qui a donné en italien : « la messa è finita » qui peut avoir deux significations : « la prière est envoyée à Dieu » ou bien « vous pouvez vous retirer ». À cette époque, il passe de son sens originel de renvoi à celui de célébration liturgique propre à l’eucharistie. Ce mot de messe est celui retenu pour désigner cette célébration particulière propre aux chrétiens qui se réunissent autour du Corps et du Sang de Jésus donné en partage.

La Fraction du pain : Dans les premiers temps, on trouve pour désigner la messe l’expression “fraction du pain”. Dans les actes des Apôtres l’eucharistie est désignée sous ce terme : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42). Il semble bien qu’au départ, la liturgie de l’eucharistie célébrée le jour du Seigneur, c’est-à-dire le dimanche, s’accompagne d’un repas fraternel. L’expression « fraction du pain » a pu désigner aussi bien la liturgie que ce repas fraternel ou encore l’ensemble des deux.

L’Eucharistie : Ce mot vient du grec eucharistein qui veut dire « action de grâces » ou « rendre grâce ». On a longtemps voulu le dissocier du verbe grec eulogein, qui veut dire « bénir » ou « prononcer une bénédiction », pour distinguer la liturgie chrétienne de la liturgie de la synagogue. Dans le traité d’Hippolyte « contre les hérésies » (chapitre 14), l’auteur oppose la bénédiction juive à l’eucharistie chrétienne : « Les Juifs ont rendu gloire au Père, mais ils ne lui ont pas rendu grâce, parce qu’ils n’ont pas reconnu le Fils ». Cette distinction entre la louange et l’action de grâces semble artificielle car, dans la Bible, les psaumes le montrent déjà : quand le croyant chante la louange de Dieu et le bénit, dans le même temps, il élève vers lui son action de grâce. La bénédiction monte vers Dieu, parce qu’il se révèle digne de louange dans les merveilles de sa Création. La bienveillance prodiguée à son peuple entraîne en retour l’action de grâce pour le remercier de ses bienfaits.

3e partie – dimanche 22 mars 2020

Comment comprendre l’origine ?

Si, dès les commencements du christianisme, l’eucharistie a constitué le coeur de la vie chrétienne, c’est un rite absolument nouveau qui s’insère dans une tradition juive très ancienne.

Quatre récits font mention de l’institution de l’eucharistie par Jésus de Nazareth : Trois viennent des évangiles, un d’une lettre de Saint Paul aux Corinthiens : Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 15-20 ; 1 Co 11, 23 s. Pour comprendre la messe il faut se rappeler que Jésus a célébré la sainte Cène au cours d’un repas. Il a donc prononcé toutes les bénédictions qui accompagnaient ce repas.

Le repas commence par un lavement des mains rituel auquel, d’ailleurs, le Christ fait allusion auprès des pharisiens. Ensuite, quand s’il s’agit d’un repas de fête, chaque arrivant boit à son tour une première coupe de vin. Il prononce la bénédiction suivante : « Bénis sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, qui nous donnes ce fruit de la vigne ». Le repas commence officiellement quand le père de famille ou le président de la communauté rompt le pain. Il le distribue entre les convives avec cette nouvelle bénédiction : « Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, qui fait produire le pain à la terre ». Les plats et les coupes sont ensuite servis et chacun prononce les bénédictions appropriées. S’il s’agit d’un repas de Pâques, la différence vient des plats servis : les herbes amères et l’agneau. En outre, on y ajoute la récitation dialoguée de la « haggadah » qui explique l’origine et le sens de la fête de Pâques.

Enfin, le rite essentiel est la grande bénédiction de la fin du repas.

À ce moment, une lampe est introduite, souvent par la mère de famille. Elle est bénie en évoquant la création des luminaires (on retrouve ce rite dans l’usage chrétien du lucernaire et du cierge pascal lors de la Vigile). L’encens est brûlé, accompagné lui aussi d’une bénédiction.

4e partie – lundi 23 mars 2020

C’est alors qu’il y avait le second lavement des mains général.

Celui qui préside reçoit l’eau des mains du plus jeune des convives.

Ensuite, il prend la coupe mêlée de vin et d’eau, et invite les assistants à s’associer à son action de grâce : « Rendons grâce à notre Dieu, qui nous a nourri de son abondance »

Les convives répondent : « Béni soit celui dont l’abondance nous a nourri et dont la bonté nous fait vivre ». Le président dit ensuite trois bénédictions. La première est une bénédiction pour la nourriture et pour la Création. La deuxième bénédiction porte sur la terre promise et sur le don de la loi. La troisième est une supplication pour que se renouvelle l’action créatrice par la venue du Messie et l’établissement du règne de Dieu.

Il y a une forme festive très intéressante pour nous :

« Notre Dieu et le Dieu de nos pères, que le mémorial de nous-mêmes, et de nos pères, le mémorial de Jérusalem, ta cité, le mémorial du Messie, le fils de David, ton serviteur, et le mémorial de ton peuple, de toute la maison d’Israël, se lève et vienne ».

L’emploi du terme de mémorial, en hébreu « zikkaron », est capital. Pour le juif le mémorial n’est pas un simple souvenir qu’il faut faire surgir dans la mémoire. Ce n’est pas non plus une cérémonie officielle pour ne pas oublier un événement qui marque notre histoire, comme lorsque nous réanimons la flamme du soldat inconnu tous les ans à l’Arc de Triomphe. Le mémorial, que Jésus évoque quand il dit : « Faites ceci en mémoire de moi », est un acte sacré qui rend présent, devant Dieu et pour Dieu, quelqu’un ou quelque chose. Faire mémoire des œuvres de Dieu c’est se mettre en sa Présence. La mémoire de Dieu ne se vit jamais au passé. L’agir du Dieu éternel et vivant est toujours d’actualité. L’alliance de Dieu avec son peuple s’actualise dans le mémorial. Lorsque Jésus fait mémoire de la Pâque juive, il manifeste que le passage vers la libération se vit désormais à travers son corps et son sang, à travers le don qu’il fait de sa vie. A travers cet accomplissement dans la chair c’est tout l’homme et tout homme qui est concerné.

5e partie – mardi 24 mars 2020

Nous pouvons raisonnablement connaître le déroulement de la Sainte Cène. Dans le récit de Saint Luc, Jésus bénit deux coupes. Une bonne connaissance des bénédictions des repas juifs permet de le comprendre. En effet Jésus prend une première coupe en rendant grâce et en disant : « Prenez ceci et partagez entre vous ; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu » (Lc 22, 17-18).

Quand Jésus bénit le pain et que les disciples répondent amen, il le rompt et, en le faisant circuler, il dit : « Prenez ceci est ma chair » et même probablement en araméen : « Ceci mon corps ». C’est bien ce que nous retrouvons dans les quatre descriptions de l’institution de l’eucharistie. Au cours de la sainte Cène, c’est probablement Jean qui a porté l’eau à Jésus pour le second lavement des mains. Le Christ remplace le lavement des mains par le lavement des pieds qu’il effectue lui-même, comme nous le rapporte l’évangile de St Jean, pour signifier l’amour humble de celui qui est « venu non pour être servi, mais pour servir » (Mt 20, 28). De même, à la a fin du repas, prenant la coupe préparée, Jésus prononce les trois bénédictions usuelles. En faisant circuler la coupe, Jésus a dû prononcer cette expression hébraïque : « dam beriti », ou araméenne « adam keyami » (sang de mon alliance) que l’évangile grec a rendu exactement quant au sens : « Ceci est mon sang, de l’alliance, répandu pour vous ». Les paroles de Jésus qui suivent la bénédiction pourraient être traduites exactement par : « Faites ceci comme mon mémorial ». Il nous est apparu très important de revisiter les gestes de Jésus pour comprendre sur quoi se fonde la structuration de la messe. Cela permet d’entrer véritablement dans l’intelligence de l’acte posé par le Christ aujourd’hui encore et de dépasser les vaines querelles liturgiques un peu stériles qui divisent aujourd’hui encore les chrétiens et font tant de mal. Il est toujours important de retrouver la source afin d’être plus fidèle à notre Seigneur.

6e partie – mercredi 25 mars 2020

Au tout commencement du christianisme, les disciples de Jésus sont des juifs qui continuent à pratiquer leur religion. Ils participent donc à la liturgie de la synagogue avec les grandes bénédictions : la première conduit à la prière des anges décrite dans le prophète Isaïe : la Qeduschah (notre « Saint, saint, saint le Seigneur »...), la deuxième qui précède le Schemah (« Ecoute Israël le Seigneur notre Dieu est l’Unique »...), et enfin la troisième qui constitue l’ensemble de la Tefillah (la prière des dix-huit bénédictions). Le lendemain du sabbat, le chrétien célèbre le repas eucharistique avec ses trois bénédictions qui incluent la récitation liturgique de l’institution par Jésus (la consécration). Nous avons de bonnes raisons de croire que la liturgie eucharistique s’accompagnait d’un repas fraternel nommé « agapes ». Quand la liturgie se sépare du repas fraternel et que les chrétiens prennent leur autonomie par rapport au culte juif de la synagogue, il se produit une fusion entre les bénédictions synagogales et les bénédictions du repas eucharistique. Mais la grande prière du Schemah centrale dans le culte juif est remplacée par le récit de l’institution de l’eucharistie.

Nous comprenons alors la structure de la messe :

La Préface (« Vraiment il est juste et bon…… » qui correspond à l’action de grâce-bénédiction qui introduit la Queduschah (« Saint, saint, saint le Seigneur… ») et qui vient de la liturgie de la synagogue.

La Prière Eucharistique reprend les bénédictions des repas juifs habitées par les paroles du Christ.

7e partie – jeudi 26 mars 2020

Nous avons quelques textes précieux, qui nous permettent de connaître la façon dont les premiers chrétiens célébraient la messe. Un des textes les plus fameux se trouve dans les apologies de saint Justin, philosophe Syrien établi à Rome, qui vivait au milieu du IIe siècle. Voici ce texte :

« Le jour appelé jour du soleil, tous, qu’ils habitent la ville où la campagne, ont leurs réunions dans un même lieu, (C’est bien le jour du soleil, devenu « Jour du Seigneur » en raison de la Résurrection, que les chrétiens se réunissaient)

Et on lit les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes aussi longtemps qu’il est possible. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour nous avertir et pour nous exhorter à mettre en pratique ces beaux enseignements. Il s’agit des lectures qui comprennent l’Ancien et le Nouveau Testament et même l’homélie)

Ensuite, nous nous levons tous et nous faisons ensemble des prières. (Ce que nous appelons aujourd’hui la prière universelle)

Puis, lorsque nous avons fini de prier, ainsi que je l’ai déjà dit, on apporte le pain avec le vin et l’eau. (Offertoire). Celui qui préside fait monter au ciel des prières et des actions de grâce, autant qu’il en est capable, et le peuple acclame en disant « Amen ». (Prière eucharistique)

Puis, on distribue et on partage à chacun les dons sur lesquels a été prononcée l’action de grâce ; ces dons sont envoyés aux absents par le ministère des diacres. (Communion)

Les fidèles qui sont dans l’aisance et qui veulent donner, donnent librement, chacun ce qu’il veut ; ce qu’on recueille est remis à celui qui préside et c’est lui qui vient en aide aux orphelins et aux veuves, à ceux qui sont dans le besoin par suite de maladies ou pour tout autre cause, aux prisonniers, aux voyageurs étrangers ; bref, il vient en aide à tous les malheureux. (La quête)

C’est le jour du soleil que nous faisons tous notre réunion, d’abord parce que c’est le premier jour, celui où Dieu, à partir des ténèbres et de la matière, créa le monde ; et c’est parce que ce jour-là est encore celui où Jésus-Christ, notre Sauveur, ressuscita d’entre les morts. (Première apologie 65-66) (Notre dimanche)

Ce beau texte, très émouvant, nous montre la façon de célébrer des premières communautés chrétiennes.

Saint Justin, d’origine syrienne, a créé une école de philosophie à Rome. Le terme « jour du soleil » pour désigner le dimanche montre que nous sommes dans un contexte romain.

8e partie – vendredi 27 mars 2020

En scrutant ce récit, nous retrouvons la structure permanente de la messe :

Les deux tables : celle de la parole et celle de la table eucharistique. Le jour de la résurrection, dans le récit des pèlerins d’Emmaüs, on retrouve cette structure. Tout d’abord le Christ ressuscité explique les Écritures. Cela donne à ses auditeurs un « cœur tout brûlant ». Puis, s’arrêtant avec eux à l’auberge, c’est à la « fraction du pain » qu’ils le reconnaissent. La table de la parole prépare nos cœurs. La table eucharistique nous fait voir et recevoir Dieu dans le Corps du Seigneur. Les écrits des prophètes correspondent à l’Ancien Testament de nos premières lectures. Les mémoires des Apôtres sont, bien sûr, les évangiles. L’apport des offrandes, avec le pain, le vin et l’eau, constitue notre offertoire.

Le président est en général l’episcopos, c’est-à-dire l’évêque. Les prières et les actions de grâces qui correspondent à toutes les bénédictions primitives que nous avons vues, semblent récitées par cœur (en tout cas le récit de l’institution) et, peut-être, pour une part, improvisées à partir d’un canevas connu. La liturgie de la parole est donc ancienne. Il est probable qu’elle ait pris la suite du culte synagogal. À cause probablement d’une transmission orale, la fixation écrite des prières liturgiques est assez tardive. C’est au moment du développement des hérésies qu’il est apparu nécessaire de fixer les formes liturgiques dans leurs moindres détails. Il existe entre le IVe siècle et le VIe siècle un grand développement des formules eucharistiques avec cinq grands centres principaux. Louis Bouyer en distingue cinq types : syrien oriental, syrien occidental, alexandrin, romain, gallican et mozarabe.

Ces prières eucharistiques latines et grecques comportent trois points semblables : une place centrale est réservée au récit de l’institution. Immédiatement après ce récit, on fait mémoire du mystère Pascal, c’est-à-dire de la mort et de la résurrection du Christ, ce que nous appelons l’anamnèse. Enfin, on fait mention d’une offrande.

9e partie – samedi 28 mars 2020

Nous devons parler d’une prière très important dans la messe qui s’appelle l’épiclèse. L’épiclèse est une invocation qui, dans la tradition chrétienne, est une adresse à Dieu le Père afin qu’il envoie l’Esprit Saint.

Dans la tradition romaine dite de saint Hippolyte (IIIe siècle), on demande l’Esprit Saint pour obtenir l’unité de l’Eglise. Les prières eucharistiques antiochienne et de Jérusalem (IVe et Ve siècle) intègrent une épiclèse qui demande l’Esprit pour la conversion du pain et du vin en Corps et Sang du Christ. La prière eucharistique de saint Jean Chrysostome (patriarche de Constantinople au IVe siècle) dit dans son épiclèse que le pain et le vin sont changés en Corps et Sang du Christ. Cependant, à Milan, au temps de saint Ambroise (IVe siècle), ce sont les paroles du Christ prononcées par le prêtre qui ont un rôle consécratoire. Il est même dit que c’est le Christ lui-même qui les prononce (« ipse clamat »), donnant ainsi le fondement théologique de la célébration sacerdotale « in persona christi ». Cette formule signifie que lorsque le prêtre prononce les paroles du Christ « ceci est mon Corps » et « ceci est mon Sang », c’est le Christ qui les dit par sa voix. Nous avons là, malgré cette incertitude du moment de la transformation, la trace de la foi ancienne de la réalité du Corps et du Sang du Christ à la messe, prenant la place du pain et du vin. Nous ne sommes pas dans le domaine purement symbolique de la présence du Seigneur. Ceci fait comprendre comment les anciennes bénédictions juives s’accomplissent parfaitement par la consécration, c’est-à-dire par le récit de l’institution et des paroles que le Christ prononce lui-même dans la bouche du prêtre à chaque eucharistie. Ce n’est plus seulement la bonté de Dieu que l’on implore ou que l’on évoque, c’est le Seigneur lui-même qui se rend présent au cœur de la création "pour que le monde ait la vie et qu’il l’ait en abondance". Toutes les bénédictions se trouvent ainsi transfigurées par la Présence Réelle. Cela veut dire qu’elles sont porteuses de cet accomplissement vers lequel elles nous cessent de nous référer encore. Aujourd’hui, depuis Vatican II, les prières eucharistiques II, III et IV comportent deux épiclèses. Une avant la consécration pour demander la transformation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ et la seconde après l’anamnèse pour l’unité et la sanctification des fidèles recevant les saintes espèces.

10e partie – dimanche 29 mars 2020

Histoire et développement

Au Moyen Âge, il n’y a pas de changement dans la structure de la célébration eucharistique qui s’appelle « messe » chez les latins et « divine liturgie » chez les grecs.

Si la forme ne change pas, en revanche, certaines pratiques se modifient. A partir de l’époque carolingienne, on utilise le pain azyme et on communie dans la bouche.

La communion des fidèles devient moins fréquente. Aussi développe-t-on davantage le culte de la présence réelle : élévation de l’hostie et du calice pour que les fidèles situés derrière le prêtre puissent voir et adorer le Corps et le Sang du Seigneur (à la demande d’ailleurs de ces mêmes fidèles au XIIIè siècle à Paris). L’instauration de la fête du Corps du Christ (la Fête-Dieu) et l’adoration du Saint-Sacrement en dehors de la messe datent de cette époque ainsi que les messes privées dont la célébration est affectée à une intention particulière, pour un vivant ou un défunt. Elles se déroulent devant une assistance réduite. Le dimanche, en effet, la messe est offerte par et pour toute l’assemblée. Ceci demeure encore puisque le droit canon oblige le curé de la paroisse à célébrer le dimanche la messe « pro populo », c’est-à-dire pour tous les paroissiens. Les messes de semaine, à l’assemblée plus réduite, ont conservé la pratique des intentions particulières, même si chaque messe est toujours offerte pour le salut du monde.

Au concile de Trente (1562) la messe est définie comme un sacrifice non sanglant, offert pour les vivants et pour les morts, dans lequel est rendu présent le sacrifice de la croix. « Comme sa mort ne devait pas mettre fin à son sacerdoce, à la dernière Cène, « la nuit » où il fut livré, il voulut laisser à l’Église, son épouse bien-aimée, un sacrifice visible, comme le réclame la nature humaine, où serait représenté le sacrifice sanglant qui allait s’accomplir une unique fois sur la croix, dont le souvenir se perpétuerait jusqu’à la fin des siècles ». (Hébreux 7, 24)

Le concile écarte la possibilité que la messe soit célébrée en langue vulgaire, mais recommande son explication au peuple (XXIIe session, chapitre 8). C’est en 1570 que parut le missel romain réformé par saint Pie V. Il n’apporte pas de changement majeur puisqu’il reprend la liturgie de la messe telle qu’elle se trouvait dans la tradition romaine vers les Xe et XIe siècles. Il adopte la pratique de la messe lue par le prêtre en présence d’une petite assemblée.

La tradition s’origine dans le don que le Seigneur fait de sa vie. Nous n’aurons jamais épuisé le sens de cette action de grâce au Père à laquelle nous sommes associés. Le développement liturgique exprime la façon dont l’Eglise témoigne de cette grâce Eucharistique selon les besoins du peuple et de chaque époque.

11e partie – lundi 30 mars 2020

Le concile Vatican II

Il n’y a pas de texte spécifique sur l’eucharistie. Néanmoins celle-ci est présente dans de nombreux textes. L’eucharistie nous y est présentée comme « source et sommet de la vie chrétienne » (Lumen Gentium n° 11). Les modifications liturgiques expriment la dynamique missionnaire qui caractérise Vatican II. Elles expriment la nécessaire démarche de conversion du peuple de Dieu, son enracinement dans la Parole, sa participation active à l’action de grâce pour que celle-ci devienne missionnaire. Elles portent sur la possibilité d’utiliser la langue vernaculaire (utilisée localement), la réintroduction du rite pénitentiel (acte de réconciliation avec Dieu et avec ses frères : « Je confesse à Dieu »), un cycle de lectures bibliques beaucoup plus élargi, l’homélie, la remise en place de la prière universelle, la concélébration des prêtres, la récitation à voix haute de la prière eucharistique, l’ajout de plusieurs prières eucharistiques comportant une épiclèse, la possibilité de communier au calice en même temps qu’au Corps du Christ. Tout ceci est mis en place pour répondre à une prescription du concile « Les textes et les rites doivent être organisés de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient » (Vatican II, Sacrosanctum concilium n°21) ;

La constitution apostolique « Missale romanum » promulguant le missel romain et signée du pape Paul VI rappelle ce que nous avons écrit plus haut : « L’innovation majeure porte sur ce qu’on appelle la prière eucharistique. Si le rite romain a toujours admis que la première partie de cette prière, la préface, conserve diverses formulations au cours des siècles, la seconde partie, au contraire, appelée « la règle de l’action sacrée », le « Canon actionis », a reçu une forme invariable entre le IVe et le Ve siècle ; par contre, les liturgies orientales admettaient cette même variété dans les anaphores elles-mêmes. Nous avons décidé d’ajouter trois nouveaux canons à cette prière. Toutefois, pour des raisons d’ordre pastorales et afin de faciliter la concélébration, nous avons voulu que les paroles du Seigneur soient identiques dans chaque formulaire du canon » (in La Documentation Catholique, 1er Juin 1969, n° 1541). La prière eucharistique a comme finalité de nous associer aux Paroles du Seigneur car elles expriment le don total qu’il fait de Lui-même. Cette offrande fonde et oriente la vie chrétienne. Lorsque le prêtre prononce ces Paroles, il s’unit toujours davantage et les fidèles avec lui à l’Eucharistie de Jésus qui nous met toujours à nouveau face à l’amour infini de Dieu pour nous.

12e partie – mardi 31 mars 2020

STRUCTURE DE LA MESSE

Ouverture de la célébration

Signe de croix

C’est le signe qui nous relie par la croix du Christ à la Sainte Trinité

Salutation du prêtre (tiré de Saint Paul ou de l’évangile)

Préparation pénitentielle : « Je confesse à Dieu » ou autre (trois formulations). Il s’agit de reconnaître que la grâce immense qui nous est faite à l’eucharistie ne vient pas de nos mérites personnels mais de la miséricordieuse bonté de Dieu.

Invocation et litanie adressée au Christ : Kyrie eleison. Le fait qu’elle ait été gardée dans sa forme grecque montre l’ancienneté de cette formule qui affirme que le Christ est Seigneur. Qu’il est Dieu

Gloria : très ancienne hymne au Christ

Prière d’ouverture appelée aussi « collecte » : Elle s’adresse à Dieu le Père, par son Fils Jésus Christ.

Liturgie de la parole

Première lecture (Ancien Testament)

Psaume

Deuxième lecture (tirée des épîtres des Apôtres)

Évangile

Homélie (vient du grec « conversation »)

Profession de Foi : le Credo (deux formes classiques : Symbole des Apôtres ou Nicée)

Prière universelle (préparée habituellement par les fidèles : oratio fideles)

Liturgie eucharistique

Préparation de l’autel et présentation des dons (le pain et le vin) : Offertoire

Prière sur les offrandes
Grande prière d’action de grâce : dialogue : « Le Seigneur soit avec vous… »

Préface : « Vraiment, il est juste et bon… »
Elle introduit le Sanctus récité par les fidèles qui s’associent à la prière des anges.

La prière eucharistique proprement dite introduit à l’épiclèse par laquelle l’Eglise implore la venue de l’Esprit Saint pour que les dons offerts (le pain et le vin) deviennent le Corps et le Sang du Christ.

Le récit de l’institution où le prêtre (et lui seul) dit, in persona Christi, les paroles mêmes de Jésus lorsqu’il donna à ses apôtres sa Chair et son Sang en nourriture éternelle et qui réalise le changement du pain et du vin en Corps et Sang du Christ.

L’anamnèse au l’Église fait mémoire du Christ, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension dans le Ciel.

Les intercessions dite par un ou plusieurs prêtres s’il y a concélébration qui signifie que l’eucharistie est célébrée dans l’Église rassemblée, en communion avec l’Église du Ciel. Les prières sont donc pour les vivants et pour les morts.

La doxologie finale : « Par Lui, avec Lui et en Lui » est dite par le prêtre pour glorifier Dieu : Père, Fils et Saint Esprit. Elle est ratifiée par l’assemblée qui, par son amen, s’unit à l’offrande du Christ pour le monde.

Notre Père, fraction du pain (pendant l’Agnus Dei),

Communion des célébrants et des fidèles

Prière commune après la communion : « Prions ensemble »

Bénédiction et renvoi : « Allez dans la paix du Christ »

13e partie – jeudi 2 avril 2020

Une question importante pour nous est de comprendre ce que nous appelons la « présence réelle », la manière dont Jésus est vraiment présent dans ce morceau de pain consacré.

Sur quoi repose la foi en la présence réelle ?

Sur la parole de Jésus qui a affirmé après avoir multiplié les pains : « Je suis le Pain de Vie. Celui qui mange ce Pain vivra éternellement. Le Pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. Mon corps est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson » (Jn 6, 51, 55). Au cours du dernier repas avant sa mort, Jésus prit du pain et dit : « Ceci est mon Corps, prenez et mangez ». De la même manière il prit le vin et dit : « Ceci est mon Sang, prenez et buvez » (Mt 26, 26). Il est impossible pour un chrétien de mettre en doute cette parole si claire de Jésus qui dit lui-même : « Je suis la vérité ». Le pain et le vin consacrés sont donc bien le Corps et le Sang du Christ. Saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle ne disait pas autre chose : « À ce sujet la vue, le toucher, le goût se trompent ; c’est par la voix de la seule ouïe qu’on croit en toute sécurité ; je crois tout ce qu’a dit le Fils de Dieu : rien de plus vrai que cette parole de vérité ». La difficulté est de comprendre comment ce pain et ce vin sont devenus le Corps et le Sang de Jésus tout en gardant la même apparence et la même consistance chimique. Il ne s’agit pas du tout d’un langage symbolique. Il ne s’agit pas de croire en effet, que le pain « représente » le Corps du Christ et que le vin « représente » son Sang. L’Église a toujours cru à la réalité de cette présence. Au IVe siècle, Saint Cyrille de Jérusalem affirmait dans ses enseignements aux nouveaux baptisés : « Ce qui paraît du pain n’est pas du pain, bien qu’il soit tel pour le goût : c’est le Corps du Christ ; ce qui paraît du vin n’est pas du vin, bien que le goût en juge ainsi : c’est le Sang du Christ ».

14e partie – vendredi 3 avril 2020

Il nous faut expliquer maintenant comment le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Seigneur, même si nous touchons au « grand mystère » de la Foi. Pour cela nous sommes obligés de recourir aux catégories de la métaphysique. Si nous regardons un homme aux yeux bleus qui mesure 1 mètre 80, nous constatons qu’il y a plusieurs formes de réalité d’existence. L’homme existe par soi-même. La couleur bleue des yeux et la taille d’un mètre quatre-vingt ne peuvent exister que dans un autre. La couleur bleue n’existe pas par soi-même. Il y a nécessairement une fleur bleue, une chemise bleue, un ciel bleu. Ce qui peut exister par soi-même s’appelle la « substance ». Ce qui ne peut exister que dans un autre s’appelle l’ « accident ». En toutes choses existantes il convient de distinguer ce qu’est la chose (substance) de ses propriétés contingentes (accidents). Au moment de la consécration les apparences du pain et du vin demeurent (accidents) alors que les substances du pain et du vin ont été changées en celles du Corps et du Sang du Christ. Le pain et le vin ont gardé leurs propriétés physiques et chimiques alors que la réalité substantielle, c’est-à-dire l’être profond, a été radicalement changée. C’est ce que rappelle la lettre encyclique Mysterium fidei du saint pape Paul VI qui reprend le Concile de Trente : « Le Christ ne se rend présent dans ce sacrement que par la conversion de toute la substance du pain au Corps du Christ et de toute la substance du vin au sang du Christ… que l’Église catholique dénomme en toute justesse et propriété de terme transsubstantiation ». Cette compréhension n’est accessible à notre intelligence que par la foi en la parole de Jésus. C’est ce qu’affirme saint Jean Paul II dans sa lettre encyclique l’Eglise vit de l’eucharistie : « L’eucharistie est vraiment « mysterium fidei », mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans la foi ».

15e partie – dimanche 5 avril 2020

Après avoir cherché à comprendre comment cette transformation du pain et du vin a pu s’opérer, il nous faut saisir le sens de ce que Jésus a voulu faire pour nous communiquer sa vie par l’instauration de l’eucharistie. Le Seigneur a choisi ces réalités simples et quotidiennes que sont le pain et le vin pour nous rejoindre de façon la plus concrète possible. Il se donne à manger, comme pour nous sauver de ce premier péché qui a consisté à manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Du désir de posséder la connaissance du bien et du mal pour devenir comme des dieux, l’homme est appelé à recevoir le don même que le Seigneur nous fait de sa vie pour entrer dans la véritable connaissance de l’amour. Celle-ci est source de vie et oriente vers tout bien. Le pain et le vin sont des éléments qui traversent l’histoire et les générations. Fruits de la création et du travail de l’homme, ils signifient aussi la mort et la résurrection. Le blé et le raisin sont écrasés pour devenir par le travail de l’homme une nourriture consistante qui rassemble autour de la table. Le vin réjouit le cœur de l’homme et évoque la dimension festive. En se rendant présent sous les apparences du pain et du vin le Seigneur nous donne de participer réellement à sa mort et à sa résurrection à travers toutes les dimensions de notre humanité puisqu’on meurt à ce que l’on voit, à ce que l’on touche, à ce que l’on sent, à ce que l’on goûte. La foi en la Parole de Dieu que l’on écoute ouvre l’accès à la Présence réelle et à la communion. Les sens corporels se convertissent spirituellement lorsque l’on s’associe par la foi et l’amour à l’offrande du Seigneur et que l’on accueille sa Présence au plus profond de notre être. C’est par amour que le Seigneur se fait eucharistie afin que notre vie devienne une vie eucharistique pour nos frères.

16e partie – mardi 14 avril 2020

Le pain du ciel

Après avoir étudié la réalité substantielle de l’eucharistie, nous allons maintenant réfléchir sur les paroles de Jésus : « Ma chair est une vraie nourriture et mon sang une vraie boisson » (Jean 6, 55). Nous allons essayer de comprendre maintenant ce que peut bien signifier cette nourriture céleste. À Noël nous fêtons la venue dans la chair du Fils de Dieu. Nous appelons cela l’incarnation. Cela veut dire que le fils de Dieu, qui est l’expression parfaite de son Père, est venu habiter l’humanité en prenant un corps. Ce Fils exprime parfaitement Dieu, c’est pourquoi on l’appelle le Verbe. Au soir de Noël ce sont les bras de Marie qui lui servent de berceau. Dans l’évangile de saint Luc, il nous est révélé que Marie après l’avoir enveloppé de langes déposa l’enfant dans une mangeoire (Luc 2, 7). Ce qui est ordinairement déposé dans une mangeoire, c’est de la nourriture. Sans le savoir Marie accomplit déjà ce que le Christ dira et fera à propos de son Corps donné en nourriture. Il y a donc un lien entre la naissance de Jésus et son dernier repas. À Bethléem son Corps est donné au monde comme présence visible de Dieu offerte au regard de l’homme. À la Cène, son corps est donné au monde comme présence visible de Dieu qui vient en l’homme pour le nourrir. Si on recherche une analogie on peut regarder ce que fait une maman juste après avoir donné la vie à son enfant. Elle prend dans ses bras, l’embrasse, lui manifeste son amour. Puis très vite elle lui donne sein, c’est-à-dire qu’elle nourrit de sa propre substance. Au fond, c’est ce que Dieu fait quand il nous donne la vie éternelle, sa vie par le baptême. Le Père nous communique d’abord son amour par le don du Saint Esprit qui en est la manifestation. Puis le Verbe fait chair, son Fils incarné, nous donne sa propre chair en nourriture.

17e partie – mercredi 15 avril 2020

La nourriture des baptisés : le lien entre le baptême et la messe

Il faut considérer le Christ en croix. Saint Jean dit dans son évangile que Jésus eût le cœur transpercé par une lance. De cette blessure jaillissent du sang et de l’eau (Jean 19, 34-35). Les pères de l’église ont toujours vu dans ces signes le symbole de l’eucharistie et du baptême. Le cœur transpercé de Jésus est la source de l’Église. L’eau du baptême et le sang de l’eucharistie fondent l’église. Le lien est très important entre ces deux sacrements, nous allons voir de quelle manière. Le baptême chrétien est un passage par la mort qui conduit à la Résurrection. Dans l’épître aux Romains, saint Paul affirme : « Baptisés dans le Christ de Jésus, c’est dans sa mort de tous nous avons été baptisés. Nous avons donc été enseveli avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Romains 6, 3-4). En effet, le baptême de Jésus signifie le passage de la mort à la Résurrection. Quand il s’avance dans le Jourdain, Jean le Baptiste s’étonne : « c’est moi qui ait besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi » (Matthieu 3, 14). Jean prêche un baptême de conversion, et Jésus est sans péché. Pourtant, il va baptiser Jésus. Dans l’Ancien Testament, quand les eaux s’ouvrent devant Moïse, le peuple est sauvé de la mort. De même lorsque Josué (forme antique de Jésus) passe le Jourdain avec le peuple pour entrer en terre promise les eaux s’ouvrent aussi devant lui. Jésus entre dans les eaux et il y est plongé (Baptisein en grec signifie plonger). Les eaux d’en bas ne s’ouvrent pas. C’est donc qu’il va passer par la mort. En revanche l’évangile nous dit que ce sont les cieux qui s’ouvrent. Or, en hébreu, les cieux (shamayim) signifient les eaux d’en haut. Il existe une grande prière adressée à Dieu qui traverse de toute la première alliance. C’est le cri d’Isaïe : « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais » (Isaïe 69,19).

18e partie – vendredi 17 avril 2020

Au baptême de Jésus, les cieux s’ouvrent, la voix du Père se fait entendre, et l’Esprit Saint descend. Le Christ meurt, signe qu’il assume notre humanité mortelle. L’Incarnation du fils de Dieu est réelle et va jusqu’au bout de la vulnérabilité humaine. C’est pourquoi, le Christ passe par la mort. Mais sa Résurrection ouvre les portes du Ciel à cette humanité qu’il a revêtue pleinement. Morts et ressuscités avec le Christ par notre baptême, nous recevons la vie de Dieu, la vie éternelle. Puisque le Christ à son baptême est désigné Fils de Dieu, quand nous sommes baptisés, nous devenons aussi fils de Dieu dans le Christ. Comme dit l’apôtre Saint Jean : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! » (1 Jean 3, 1). Comme le Christ, nous recevons au baptême le don de l’Esprit. Mais ce qui est important, pour comprendre le lien entre le baptême et l’eucharistie, c’est la parole du Christ à Nicodème : « en vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3, 5). Il s’agit donc d’une nouvelle naissance. La vie humaine est la première naissance ; la Vie divine est une renaissance. La première naissance c’est la venue au monde comme homme. La renaissance baptismale c’est la venue à la Vie divine et éternelle. S’il faut nourrir la vie humaine, il convient aussi de nourrir la Vie divine en elle. Cette dernière nourriture, Dieu seul peut la donner. Nourrir la vie humaine, c’est le travail de l’homme et le don de Dieu. Ce que rappellent les bénédictions juives que nous avons étudiées. En effet, dans la Création, Dieu donne au travail de l’homme la matière de sa fécondité. Nourrir la Vie divine est propre à Dieu fait homme qui à travers son humanité nous donne la vie divine. Nous comprenons mieux désormais les paroles du Christ : « Je suis le pain de vie. Vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et sont morts. Ce pain est celui qui descend du ciel pour qu’on le mange et ne meure pas. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jean 6, 48-51) ; « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean 6, 54) ; « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson » (Jean 6, 55).

19e partie – lundi 20 avril 2020

Les juifs appelaient la manne « le pain du Ciel ». Le Corps de Jésus est le pain véritable qui mène au Ciel. Dans le premier cas c’est la bienveillance de Dieu qui nourrit l’homme, dans le second c’est l’amour de Dieu qui donne la Vie. On comprend que des phrases aussi fortes aient choqué les contemporains de Jésus. Dans l’évangile, il est dit que la majorité des auditeurs de ces paroles de Jésus partirent scandalisés. Voyant cela, Jésus demande à ses apôtres s’ils veulent partir aussi. Pierre répond par un acte de foi : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean 6, 68). Cet acte de foi des apôtres correspond à celui des fidèles chrétiens réunis à l’eucharistie : Il est grand le mystère de la foi. Après la multiplication des pains, le discours de Jésus n’est pas accessible à ses auditeurs. « Ma chair est la vraie nourriture » renvoie à des pratiques abominables aux yeux des juifs. Cela vaudra aux chrétiens des accusations sordides de cannibalisme. A la Cène, lorsque Jésus institue l’eucharistie les disciples vont être rendus participants de son offrande. C’est à la lumière de sa mort et de sa résurrection que leur confiance et leur acte de foi prennent du sens. Dans l’évangile de Matthieu, le pain qu’il faut demander dans le Notre Père est super substantiel (epiousion). Ce que reprend l’encyclique du pape Paul VI : « ils croient et vénèrent les saints mystères de son Corps et de son Sang avec une foi constante et ferme, avec une ferveur de cœur, avec une piété et un respect qui leur permettent de recevoir fréquemment ce pain super substantiel » (encyclique : mysterium fidei). Nous voyons qu’il s’agit bien de nourriture et cette nourriture s’adresse à la Vie divine reçue au baptême et par là même à la vie humaine puisque le Seigneur se donne à travers toute son humanité. La nourriture est de substance divine et humaine car elle est la personne du Christ qui rejoint pleinement notre substance humaine pour faire grandir en nous la vie divine. Pour bien comprendre la chair et le sang du Christ, il faut se référer à l’hébreu. Dans cette langue le corps signifie la personne tout entière. Le sang est le symbole de la vie. Quand Jésus affirme « ceci est mon corps, ceci est mon sang », il faut comprendre « c’est ma vie, c’est moi tout entier ».

20e partie – mardi 21 avril 2020

Une nourriture substantielle : la présence de Dieu

Depuis le commencement de la Bible, Dieu est présent à l’homme. Dans le jardin d’Eden, Dieu converse familièrement avec l’homme et la femme. C’est le péché qui entraîne l’homme à fuir cette présence. Il se cache. Cependant la parole divine demeure et cherche l’homme : « Adam, où es-tu ? » (Genèse 3, 8-9). Cette présence de Dieu est constante dans toute l’histoire du peuple élu. Mais si la présence de Dieu se révèle par des signes visibles dans de nombreuses théophanies, elle n’est pas matérielle. Dieu demeure un être spirituel dont la présence se manifeste surtout par son amour envers sa créature. Il est inaccessible à la vision de l’homme : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Exode 33, 20). De même, Dieu ne peut pas être enfermé dans un lieu : « Mais Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur la terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent le contenir, moins encore cette maison que j’ai construite ! » (1 Rois 8, 27). Pour trouver Dieu dans le Temple, il faut invoquer son Nom en vérité (1 Rois 8, 29 ; Psaume 145 (144), 18).C’est la disposition du cœur qui valide la présence de Dieu (Jérémie 12, 2 - 3). Dieu peut abandonner son Temple et même prédire sa destruction, si les hommes en font une caverne de voleurs (Jérémie 7, 1-15).

C’est l’expérience de l’Exil à Babylone, au VIe siècle avant J-C., qui permet au peuple juif de savoir que Dieu est présent partout où on l’adore : « Ainsi parle le Seigneur Dieu. Oui, je les ai éloignés parmi les nations, je les ai dispersés dans les pays étrangers et j’ai été pour eux un sanctuaire, quelque temps, dans le pays où ils sont venus » (Ezéchiel 11,16). Ce qui est pressenti par le prophète Ezéchiel, est confirmé et accompli par Jésus Christ. Dans l’évangile de saint Jean au chapitre quatrième, le dialogue avec la Samaritaine est éclairant : « crois-moi, l’heure vient, où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Mais, l’heure vient et nous y sommes, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jean 4, 21- 23). Cette réponse de Jésus fait suite à une question de la Samaritaine qui demande le lieu adéquat de la prière vers Dieu. Les Samaritains le situent au mont Garizim, et les juifs au mont Sion à Jérusalem. La présence de Dieu n’est donc pas attachée à un lieu mais à toute personne croyante qui demeure à l’écoute de sa volonté. Dans la spiritualité juive la présence de Dieu est attachée à son peuple. Si Jérusalem est le lieu de sa présence, c’est pour rassembler en ce lieu toutes les nations auxquelles il manifestera sa présence (Isaïe 45, 20 - 25).

21e partie – mercredi 22 avril 2020

C’est avec le prophète Isaïe qu’une nouvelle espérance se fait jour. Celui-ci annonce la naissance d’un enfant dont dépend le salut du peuple : Emmanuel, dont le nom signifie justement : « Dieu avec nous ». Nous connaissons bien cette prophétie : « Voici, la vierge est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Isaïe 7, 14).

À Noël, la prophétie est accomplie. Par l’enfant de la crèche, Dieu est avec nous. L’Incarnation, qui est un des grands mystères chrétiens, réalise parfaitement la présence visible de Dieu. Le Christ le confirme : quand Philippe son disciple lui demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit », Jésus lui répond : « voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14, 8 - 9). Ainsi en Jésus-Christ la présence de Dieu est visible. Il est avec nous. Mais cela ne suffit pas. Si le Verbe de Dieu est venu dans la chair habiter parmi nous (Jean 1, 14) c’est que son corps humain est le vrai Temple de Dieu

(Jean 2, 21). Si Jésus s’est incarné c’est pour que la présence de Dieu en son corps humain puisse demeurer en tout homme qui l’accueille. S’il demeure avec ses disciples après sa mission terrestre c’est pour demeurer et établir sa présence en eux. « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28, 20). « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jean 14, 23). « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je prendrai un repas avec lui et lui avec moi » (Apocalypse 3, 20). Jésus vit en ceux qui reçoivent sa chair et son sang : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jean 6, 56). C’est bien à l’eucharistie que l’on trouve la présence de Dieu. La messe est désormais le lieu de la présence réelle, effective de Dieu. C’est bien ce que confirme la phrase de Jésus : « faites ceci en mémoire de moi ». Nous l’avons déjà vu, le mémorial est un acte par lequel celui dont on fait mémoire est présent. Jésus est vraiment présent. Il est là, à la messe : c’est la présence réelle. Le pain devient substantiellement le Corps du Christ. C’est tout l’enjeu de la notion de transsubstantiation que nous avons définie précédemment.

22e partie – jeudi 23 avril 2020

Jusqu’au Christ la présence de Dieu se manifeste par des signes sensibles : la nuée, la brise légère, l’orage et les éclairs. Ces signes visibles font connaître la présence de Dieu qui, elle, est invisible. Avec l’Incarnation du Christ, Dieu se rend visible en son Verbe qui est la parfaite expression de son être. Cette présence visible et accessible se continue à l’eucharistie. C’est pourquoi le Corps du Christ est proposé à l’adoration des fidèles pendant la messe avec l’élévation, et en dehors d’elle avec l’adoration du Saint-Sacrement. C’est bien ce que nous devons comprendre quand nous lisons le récit, déjà cité, des pèlerins d’Emmaüs en saint Luc (Luc 24, 13 - 35). Jésus ressuscité chemine avec les deux hommes qui ne le reconnaissent pas. Quand il leur explique l’Ecriture, ils ont le cœur tout brûlant. Mais c’est à la fraction du pain qu’ils le reconnaissent. Ce récit nous montre bien ce qui se passe à la messe où la lecture de la Bible prépare nos cœurs à la venue de Dieu. Mais, c’est bien au moment des paroles consécratoires que le Christ vient dans la réalité effective de son Corps, présence réelle et visible de Dieu. Désormais, l’homme peut contempler Dieu sans mourir. Il peut même le recevoir en lui, par le corps du Christ donné en nourriture. C’est par le don de l’Esprit Saint que Jésus vit en ceux qui mangent sa chair et boivent son sang : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie » (Jean 6, 63).

C’est le sens même du mot sacrement. En effet, un sacrement est le signe efficace de la grâce. Non pas seulement un symbole, ou un signe matériel de la présence de Dieu. Le sacrement est la manifestation effective de la présence du Christ en son Corps et en son Sang rendus présents à la messe. Écoutons Maurice Zundel : « Jésus va inventer cette chose incomparable et merveilleuse : il va perpétuer Sa Présence sous cette miette de pain et sous cette goutte de vin, pour qu’il n’y ait pas de piège, que les apparences ne nous induisent pas dans l’erreur, que la Foi atteigne ici sa suprême réalité, la Foi qui est l’élan de l’amour, la Foi qui nous intériorise à la pensée de Dieu, la Foi qui nous rend aptes à entendre les secrets de son cœur » [1]

23e partie – vendredi 24 avril 2020

Une nourriture sacrée : le sacrifice parfait

Qu’est-ce qu’un sacrifice ? Son étymologie latine nous le révèle : sacrum facere veut dire « faire du sacré », c’est-à-dire poser un acte sacré. C’est un don fait à Dieu. Mais on ne peut rien donner à Dieu. Dieu est plénitude. Avec lui il n’existe pas de réciprocité, Dieu donne gratuitement et ne peut rien recevoir en échange puisque déjà il possède tout. Dans le rapport que nous entretenons avec lui, l’attitude adéquate c’est d’ouvrir les mains pour recevoir et recueillir gratuitement. Notre attitude en face de lui, c’est de rendre grâce, rendre la grâce reçue, c’est-à-dire remercier. Dieu seul peut donner à Dieu. En Dieu, il existe une relation d’amour éternel. En Jésus, l’humanité donne à Dieu ce que Dieu seul peut donner : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15, 13). Tous les sacrifices sont inutiles : « Car tu ne prends aucun plaisir au sacrifice : un holocauste, tu n’en veux pas. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; d’un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n’as point de mépris » (psaume 51 (50), 18 - 19). « Car c’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes » (Osée 6, 6). « Les sacrifices qu’ils m’offrent, ils les sacrifient, ils en mangent la viande, mais le Seigneur ne les agrée pas » (Osée 8, 13). « Je hais, je méprise vos fêtes et je ne puis sentir vos réunions solennelles. Quand vous m’offrez des holocaustes, vos oblations, je ne les agrée pas, le sacrifice de vos bêtes grasses, je ne les regarde pas » (Amos 5, 21 - 22). Les sacrifices que font les hommes à Dieu sont toujours dérisoires. Ils sont toujours en deçà de l’amour de Dieu qui a donné en premier.

24e partie – jeudi 7 mai 2020

Il n’existe donc qu’un unique sacrifice : celui de Jésus à la croix.

C’est le don d’amour total et absolu qui correspond à l’amour de Dieu. Seul Dieu peut aimer comme lui-même. Par son offrande qu’il fait par amour, le Christ, Fils de Dieu, réalise le sacrifice parfait. Comme il s’est incarné, c’est dans son humanité qu’il s’offre à Dieu. En lui, l’humanité peut offrir à Dieu un sacrifice parfaitement juste. À la messe, c’est ce sacrifice qui est rendu présent devant Dieu et qui lui est offert. La mort et la Résurrection de Jésus sont rendues présentes à l’eucharistie. Le sacrifice d’amour offert par Jésus dans le temps de l’histoire des hommes il y a 2000 ans, est éternellement présent devant Dieu. Chaque fois que nous célébrons la messe, cette offrande éternelle se réalise dans le temps et le lieu où nous sommes. C’est comme si nous étions nous-mêmes au pied de la croix. Cet unique sacrifice que nous présentons à Dieu à la messe, nous nous y associons par la propre offrande de nous-mêmes.

Le pape Jean Paul II le rappelle :

« L’eucharistie est un sacrifice au sens propre….. Le don de son amour et de son obéissance jusqu’au terme de sa vie est en premier lieu un don à son Père » (encyclique Ecclesia de eucharistia : l’Eglise vit de l’eucharistie nº 13).

C’est un sacrifice continué : « Ce sacrifice est tellement décisif pour le salut du genre humain que Jésus Christ ne l’a accompli et n’est retourné vers le Père qu’après nous avoir laissé le moyen d’y participer comme si nous y avions été présents » (E.E. nº 11).

« Le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’eucharistie sont un unique sacrifice » (E.E. nº 12).

« La messe rend présent le sacrifice de la croix » (E.E. nº 12).

Et ce n’est pas seulement la mort de Jésus qui est célébrée, c’est aussi sa Résurrection. Car l’offrande qu’il fait n’est pas seulement l’offrande de sa mort mais aussi celle de cette Vie divine qu’il possède en lui et qu’il offre à l’humanité :

« Le sacrifice eucharistique rend présent non seulement le mystère de la passion et de la mort du Sauveur, mais aussi le mystère de sa Résurrection » (E.E. nº 14).

Juste avant la communion, quand le prêtre rompt le pain, il signifie la mort de Jésus. Quand il prend un morceau du Corps du Christ pour le mélanger au Sang du Christ, il signifie sa Résurrection. Le Sang, signe de la vie, est dans le Corps, signe de la personne du Christ.

Prière eucharistique III : « Regarde le sacrifice de ton église et daigne y reconnaître celui de ton Fils »

25e partie – samedi 9 mai 2020

Une nourriture offerte : le prêtre unique

Qu’est-ce qu’un prêtre ? Cette question est essentielle pour comprendre un aspect fondamental de la messe : le salut du monde. Le prêtre est choisi parmi les hommes pour se concilier les bonnes grâces de Dieu. Cependant, un prêtre véritable doit réaliser un lien entre le Ciel et la terre. La prière des psaumes, l’action de grâce témoignent du fait que l’homme est appelé à établir un lien entre le Ciel et la terre. Le sacerdoce de juifs était marqué par la généalogie. Fils de Lévi, ils descendent du prêtre Aaron, le frère de Moïse. La Bible nous parle aussi d’un sacerdoce païen à travers la figure du grand prêtre Melchisédek qui apparaît en face d’Abraham dans le Livre de la Genèse. Son nom signifie « roi de justice », il est prêtre-roi de Shalem. Ce qui est intéressant c’est qu’on ne connaît pas son origine. Il ne tient pas son sacerdoce des hommes. C’est parce qu’il donne sa bénédiction à Abraham qu’il est désigné dans le psaume 110 (109) comme étant le grand prêtre par excellence. Il apporte du pain et du vin, préfiguration évidente de l’eucharistie. Quand le psaume 110 parle du Messie, il dit : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melchisédek » (psaume 109-110, 4). Jésus, fils d’Abraham hérite de la bénédiction de Melchisédek. Descendant de Levi par Marie, Jésus assume le sacerdoce d’Aaron et à travers la figure de Melchisédek, il assume aussi le sacerdoce païen. Le Messie du Seigneur est donc le véritable grand prêtre. Il est le Fils de Dieu, il vient donc du Ciel. En outre, il est vraiment né de la Vierge Marie. Il est donc aussi de la Terre. Vrai Dieu et vrai homme, il est le seul à pouvoir faire parfaitement le lien entre Dieu et les hommes, entre le Transcendant et l’immanent, entre la Terre et le Ciel.

C’est pourquoi l’épître aux hébreux le qualifie d’unique grand prêtre : « oui, tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint, innocent, immaculé » (Hébreux 7, 26).

26e partie – mardi 12 mai 2020

Le prêtre ordonné (ou ministériel)

C’est par rapport à Jésus-Christ que l’on donne l’ordination presbytérale à des hommes. Ceux-ci deviennent prêtres pour exercer ici et maintenant l’unique sacerdoce du Christ. Ils donnent tout leur être, corps et âme, pour que le Christ s’en empare pour venir célébrer la messe. Écoutons Jean-Paul II : « l’ordination sacerdotale effectue la consécration. C’est lui (le prêtre) qui prononce, avec la puissance qui lui vient du Christ du Cénacle, les paroles : « Ceci est mon corps, livré pour vous….. Ceci est la coupe de mon sang versé pour vous… ». Le prêtre prononce ces paroles, ou plutôt il met sa bouche et sa voix à la disposition de Celui qui a prononcé ces paroles au Cénacle et qui a voulu qu’elles soient répétées de génération en génération par tous ceux qui, dans l’Eglise, participent ministériellement à son sacerdoce » (encyclique L’Église vit de l’eucharistie n° 5).

Le pape précise plus loin ce qu’il faut entendre lorsque le prêtre célèbre « in persona Christi » au moment de la consécration : « Comme j’ai eu l’occasion de le préciser, in persona Christi veut dire davantage que « au nom » ou « à la place » du Christ. « In persona » : c’est-à-dire dans l’identification spécifique, sacramentelle, au « grand prêtre de l’Alliance éternelle » qui est l’auteur et le sujet principal de son propre sacrifice, dans lequel il ne peut vraiment être remplacé par personne » (E.E. n° 29).

Cet enseignement, nous l’avons vu, n’est pas nouveau. Dans le premier chapitre, Saint Ambroise, au IVe siècle, en parlait déjà. Dans le grand livre de spiritualité du Moyen Âge, l’imitation de Jésus Christ, il est écrit : « Le prêtre revêtu des ornements sacrés représente Jésus-Christ en personne et c’est en son nom personnel et au nom de tous les fidèles qu’il élève ses prières vers Dieu ». (L’imitation de Jésus Christ, quatrième partie, chapitre 5).

27e partie – jeudi 14 mai 2020

Le peuple prêtre (ou sacerdotal)

Si le concile Vatican II affirme bien que : « c’est le prêtre ordonné qui célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l’offre à Dieu au nom de tout le peuple » (Lumen Gentium n°10), il précise aussi : « les fidèles, pour leur part, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l’offrande de l’eucharistie » (Ibid.). Le pape Jean-Paul II reprend cet enseignement dans son encyclique sur le Jour du Seigneur : « il n’appartient qu’à ceux qui exercent le sacerdoce ministériel au service de leurs frères, d’accomplir le sacrifice eucharistique et de l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier.... Toutefois, les fidèles doivent être conscients que, en vertu du sacerdoce commun reçu au baptême, ils concourent à l’offrande de l’eucharistie » (Dies Domini nº 51).

L’apôtre Saint Pierre dans sa première lettre parlait déjà de ce sacerdoce des baptisés : « vous de-même, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ » (1 Pierre 2, 4).

Le concile explicite comment la vocation sacerdotale est le déploiement de la grâce baptismale tout entière ordonnée à l’eucharistie (LG 10). C’est la vie des baptisés et plus largement la vie de tous les hommes qui constitue la matière du sacrement. En célébrant l’eucharistie in persona Christi, le ministre ordonné est le signe que l’Église ne se donne pas à elle-même le sacerdoce qu’il sert. Elle le reçoit du Christ. L’unité de l’Église et en particulier l’articulation sacerdoce baptismal et sacerdoce ministériel ne se vit et ne se comprend qu’à la lumière de l’unique sacerdoce du Christ.

Nous comprenons que c’est bien Jésus-Christ lui-même qui s’offre à son Père dans l’unique offrande de lui-même réalisée à la croix. « La messe est en effet la représentation vivante du sacrifice de la croix » (Dies Domini nº 43). Cette réponse unique de l’humanité à l’amour de Dieu ne peut être réalisée que par le Christ. En tout point de la Terre, à l’instant historique où nous sommes, c’est bien le Christ qui vient s’offrir dans le prêtre. Celui-ci a donné sa vie, corps et âme, pour que le Christ vienne célébrer en lui à la messe, au moment de la consécration.

Le peuple des baptisés offre à Dieu le Père ce don d’amour de son Fils, rendu présent à l’eucharistie. Le chrétien ne vient pas seulement communier au Corps du Christ, mais il offre, au nom de son sacerdoce baptismal, le seul don que l’humanité peut présenter à Dieu pour le salut du monde. La présence des chrétiens à la messe est donc indispensable, puisque c’est la mission propre du baptisé que de participer au salut du monde par l’offrande de l’eucharistie. Toute absence voulue pour elle-même est préjudiciable à ce salut de nos frères les hommes, au milieu desquels nous vivons.

Le peuple et le prêtre ordonné, ne peuvent pas être par eux-mêmes le lien entre le Ciel et la Terre. C’est bien, comme nous l’avons dit, le Fils de Dieu qui, seul, réalise totalement à cette Alliance. S’ils sont prêtres, c’est uniquement par participation à l’unique sacerdoce du Christ.

28e partie – samedi 16 mai 2020

Le Jour du Seigneur ou pourquoi le dimanche est tellement important

Rappelons-nous ce que disait saint Justin : « C’est le jour du soleil que nous faisons tous notre réunion, d’abord parce que c’est le premier jour, celui ou Dieu, à partir des ténèbres et de la matière, créa le monde ; et c’est parce que ce jour-là est encore celui où Jésus-Christ, notre Sauveur, ressuscita d’entre les morts ».

Le dimanche appelé « jour du soleil » chez les romains, demeuré tel chez les anglo-saxons, est devenu le « jour du Seigneur » (domingo, dimanche, Dies Domini).

Ce jour, d’après la Bible, est le premier jour de la Création. Le septième jour, nous le savons, est le jour du sabbat qui est le repos joyeux du Créateur qui contemple amoureusement sa Création. La tradition biblique espère le huitième jour, celui de la nouvelle Création. Celle-ci correspond à l’entrée dans l’éternité. Les sept jours de la Création correspondent au temps chronologique. Le huitième jour correspond à l’entrée dans l’éternité. Voilà pourquoi les baptistères ont huit côtés, car le baptême donne la vie de Dieu, qui est éternelle.

Nous voyons comment nous passons du Dies Domini, Jour du Seigneur réalisé par le sabbat (samedi), au Dies Christi, Jour du Christ-Seigneur, correspondant à la Résurrection de Jésus qui fait entrer l’humanité dans l’éternité divine. Saint Paul l’écrit aux Corinthiens : « En effet, le Dieu qui a dit : « Que des ténèbres resplendisse la lumière », est Celui qui a resplendi dans nos cœurs, pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2 Co 4, 6).

C’est aussi ce qu’affirme le pape saint Jean-Paul II : « Le lien entre la Résurrection et la Création invite à comprendre la Résurrection comme le commencement d’une nouvelle Création dont le Christ glorieux constitue les prémices, étant lui-même « premier-né de toute créature » (Colossiens 1,15) et aussi « premier-né d’entre les morts » (Col 1,18) » (Dies Domini n°24). Plus loin il ajoute : « le dimanche est le premier jour et aussi le « huitième jour », c’est-à-dire placé, par rapport à la succession septénaire des jours, dans une position unique et transcendante, qui évoque non seulement le commencement du temps, mais encore son terme, dans le « siècle à venir ». (D.D. n°25).

29e partie – mardi 19 mai 2020

La communion et l’unité

L’Église célèbre l’eucharistie, et pourtant c’est l’eucharistie qui fait l’Église. L’Église est née, nous l’avons vu, du Christ en croix. À la messe, c’est cet unique sacrifice d’amour qui est rendu présent. C’est donc à la messe que l’Église existe en vérité. Le mot ecclesia (église) signifie assemblée. C’est bien à l’eucharistie que cette assemblée réalise l’Église. Voilà pourquoi les chrétiens les plus fervents souffrent profondément en ce temps où la pandémie mondiale nous a confinés et nous a empêchés de nous réunir autour de cette eucharistie. Dans le livre de la Didaché, il est rappelé au sujet de l’Eglise qu’elle est « groupée dans l’unité, comme les grains le sont dans le pain » (Didaché 9,4). C’est donc l’eucharistie qui fait l’unité de l’Eglise. Cette unité se réalise par la communion à l’unique corps de Jésus. Nous sommes tous différents quant à l’origine, la culture, la race, les opinions, et pourtant chacun de nous reçoit le même Jésus présent à la messe. En effet, l’unité n’est pas l’uniformité. Le pape saint Jean-Paul II dans sa lettre aux évêques du 24 février 1980 rappelle que l’eucharistie « Est un bien commun de toute l’Eglise, comme sacrement de son unité » (Dominae Cenae).

Le Symbole des Apôtres par lequel nous affirmons notre foi, parle de la communion des saints. Symbole en grec veut dire : qui unit. La communion des saints est en réalité, à l’origine, la communion aux choses saintes (sancta), c’est-à-dire à l’eucharistie. Comme une évidence, cette communion aux choses saintes réalise la « communion-unité » des personnes qui les reçoivent. Cela nous a donné la foi dans la « communion des saints (sancti) » que réalise la communion aux choses saintes (sancta). En effet, la réalité contenue dans l’eucharistie, étant sainte, sanctifie en les unifiant au Christ, ceux qui la reçoivent.

Ainsi, malgré nos différences, le Christ nous unit en lui : « Oui, j’en ai l’assurance, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Romains 8, 38-39).

Alors nous ressemblons à Dieu, qui est une communion d’amour entre les personnes distinctes du Père, du Fils et du Saint Esprit. En Dieu Unique, chaque Personne divine est distincte de par sa relation d’amour, en même temps que cette communion dans l’amour réalise l’unité divine. Puisque Dieu est Amour, il ne peut pas être solitaire. Puisqu’il est Unique, il faut une communion parfaite dans l’Amour qui accomplisse cette unité.

À la messe, nous sommes à l’image de Dieu.

30e partie – vendredi 22 mai 2020

Une nourriture céleste : Dieu nous unit à sa Vie

Lorsque nous nous alimentons, la nourriture que nous prenons est transformée par le tube digestif pour nourrir chacune de nos cellules. Le radis que je mange ou le poulet que je déguste va devenir ma propre substance, il va être transformé en moi-même.

Dans l’eucharistie, c’est l’inverse qui se produit. Le Corps du Christ ne va pas se transformer en moi, c’est moi qui vais être transformé en Lui. C’est bien ce que dit saint Augustin dans ses « Confessions » : « Je suis la nourriture des grandes âmes : croîs et mange, car tu ne me changeras pas en toi comme l’aliment de ton corps ; c’est toi qui sera changé en moi ». C’est

aussi la prière du Cardinal Newman « Seigneur, je vous demande vous-même ; je ne demande rien d’autre chose que vous, ô mon Dieu, qui vous êtes donné entièrement à nous. Entrez dans mon cœur personnellement et substantiellement, et remplissez le de ferveur en le remplissant de vous ». L’eucharistie est la continuation de Noël. À Noël, Dieu s’est fait homme. Par l’eucharistie, il nous fait « Dieu ».

L’abbé Rosso (Notre Foi, ouvrage pro manuscripto, Jouy, 1995) rappelle que lorsque Jésus vient en nous, sous l’apparence du pain consacré, il nous apporte trois choses :

  1. Sa propre vie, donc « une graine éternité ». Il a dit : « celui qui mange de ce pain vivra éternellement » (Jean 6, 52).
  2. Sa lumière et sa force pour que le communiant vive en faisant le plus de bien, le moins de mal possible.
  3. Le pardon des péchés. Là où est le Christ, nul mal ne peut subsister.

Ce prêtre répond à une réfutation éventuelle : « cela ne se voit guère ! ». « C’est parce que nous communion mal, sans désir, sans attention. La source la plus abondante ne remplit pas un flacon bouché ».

Pour que la grâce soit opérante, il faut, en effet, une disposition adéquate. Le don de Dieu est toujours donné, la question est de savoir s’il est toujours reçu. On ne vient pas chercher d’une manière superficielle le Corps du Seigneur qui peut nous transformer. Saint Paul nous le rappelle quand il écrit aux Corinthiens : « quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe » (1 Co 11, 27-28).

C’est pour cela que l’Église recommande à celui qui a conscience d’être en état de péché grave de recourir à la confession sacramentelle pour être ajusté au Seigneur qui vient.

31e partie – lundi 25 mai 2020

C’est la merveille du don de Dieu qui se propose à notre liberté. L’homme ne peut pas accéder au divin par ses propres forces. De la tour de Babel à Prométhée, les récits bibliques ou mythologiques nous montrent la vanité prétentieuse de l’accès au divin par soi-même. Mais Dieu nous a révélé notre vocation : aimer comme il aime lui-même. Pour cela, il nous fait devenir ses fils. Il nous donne le Corps du Christ pour nous faire vivre de sa Vie divine. Il nous envoie l’Esprit Saint pour que son Amour habite en nous. Ainsi, nous sommes bien faits pour vivre en Dieu et notre soif divine de bonheur éternel se réalise dès ici-bas dans les sacrements qui nous ouvrent les portes du Ciel.

La communion eucharistique nous unit au Christ et nous donne de participer en lui à la communion trinitaire. Comme saint Jean nous le rappelle il s’agit de demeurer dans cet amour du Père pour le Fils, pour qu’il vienne habiter en nous (Jn 13-15). La communion trinitaire se vit dans l’Eglise à travers la diversité des vocations et des charismes. Le baptême nous ouvre à la dimension sacerdotale, royale et prophétique de toute vocation. Chacune de ces dimensions est signifiée à travers une vocation spécifique : celle du prêtre, celle du fidèle laïc et celle des consacrés. L’eucharistie nous donne de découvrir comment chaque vocation est donné aux autres. Le sacerdoce ministériel est au service de la vocation royale des fidèles laïcs et de la vocation prophétique des consacrés. L’Eucharistie In Persona Christi fait de l’offrande royale des laïcs, c’est à dire de leur engagement dans le monde, une action de grâce pour qu’ils deviennent de plus en plus missionnaires par la révélation du Christ en eux. L’eucharistie

intègre la vie des consacrées en l’ouvrant toujours davantage au Royaume des cieux qu’ils sont appelés à signifier de façon prophétique au cœur de leur existence et à travers chaque engagement ou acte. La vocation royale signifiée par les laïcs nous associe directement à la matière du sacrement, car c’est le monde qui est offert dans la célébration. La vocation prophétique des consacrés rappelle la destinée de cet offrande qu’est le Royaume des cieux. Les fidèles laïcs et consacrés vivent leur sacerdoce à la manière de la Vierge Marie au moment de l’incarnation. Le Verbe a pris chair car Marie a dit « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta Parole ». On pourrait voir dans ces paroles le "ceci est mon corps" de la Vierge et à sa suite de tous les fidèles qui participent à l’eucharistie. Le fiat de la Vierge et de l’assemblée mettent au monde le Fils de Dieu. Il est la condition originelle pour que le Prêtre célèbre in Persona Christi. Il est cette dimension gratuite, vitale, hors hiérarchie, il est le lieu de la demeure dans l’amour. Sans elle il n’y pas d’ordination, ni de hiérarchie, ni de célébration possible.

Puissent les chrétiens redécouvrir ce magnifique mystère afin que ce temps de confinement et de manque ne soit pas seulement la souffrance d’un isolement subi, mais celui du désir d’une communion qui donne pleinement sens à notre existence et nous fait entrer dans la Vie.


 Dossier “Épidémie du coronavirus”.

[1M. Zundel, Ta parole comme une source, Anne Sigier, Quebec, 1994 p.298

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