Fin de vie. Analyse du P. Brice de Malherbe

Zenit.org - 9 mars 2015

Une vraie politique de soins palliatifs est nécessaire, ainsi que de la vigilance sur les questions liées aux directives anticipées et à la sédation profonde et continue, estiment les évêques de France à la veille de la discussion du projet de loi à l’Assemblée nationale française.

Un thème qui a fait l’objet d’une conférence de presse ce lundi 9 mars à Paris, à la Maison médicale Jeanne Garnier, avec Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, entouré du Père Bruno Saintôt, responsable du département Éthique biomédicale du Centre Sèvres et du Père Brice de Malherbe.

Le Père Brice de Malherbe, professeur à la Faculté Notre-Dame (Paris), co-directeur du département d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins(Paris), membre du groupe de travail de la Conférence des Évêques de France (CEF) sur la fin de vie, analyse les enjeux du débat à l’Assemblée nationale. Un décryptage affiné, pour éviter "une dangereuse ambiguïté", etau moment où la CEF publie aux éditions Salvator le livre intitulé : « Fin de vie, un enjeu de fraternité ».

Zenit - Nos lecteurs francophones se demandent : “qu’est ce qui se passe en France ?” Qu’est-ce qui est en jeu dans la discussion du Projet de Loi français “Claeys-Leonetti” à l’Assemblée Nationale cette semaine ?

Père Brice de Malherbe - Le candidat François Hollande, lors de la campagne présidentielle de 2012, avait déclaré : "Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité" (engagement 21). Une fois élu Président de la République, Monsieur Hollande a confié au Professeur Sicard une mission qui a donné lieu à un rapport sur "la fin de vie en France" remis en décembre 2012. Il a également saisi le Conseil Consultatif National d’Ethique, qui a émis un avis sur la question en juillet 2013. Le même Conseil a organisé une conférence de citoyens, qui a produit un document en décembre 2013.

A la fois le rapport Sicard et l’avis du CCNE ont exprimé de très fortes réserves, voire le rejet de toute forme de légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie. Ils ont insisté sur le nécessaire développement des soins palliatifs. Ils ont également proposé un renforcement du dispositif des directives anticipées, c’est-à-dire la possibilité pour une personne d’exprimer des souhaits sur l’accompagnement médicalisé d’une maladie grave ou de la fin de vie. Ils ont enfin proposé sous une forme ou une autre un droit à la sédation continue jusqu’au décès. La sédation est, selon la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs : "la recherche par des moyens médicamenteux d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience".

Enfin, le 24 juin 2014, le Premier Ministre Manuel Valls donnait mission aux députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) de proposer une modification de la législation en vigueur, datant de 2005 ("Loi Leonetti"). Le Premier Ministre demandait de poursuivre un triple objectif : "assurer le développement de la médecine palliative, y compris dès la formation initiale des professionnels de santé ; mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées dont le caractère engageant doit être pleinement reconnu ; définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne".

Alain Claeys et Jean Leonetti ont donc remis au Président de la République en décembre dernier un rapport assorti d’une proposition de loi. Celle-ci est présentée comme répondant à deux demandes des citoyens français : "être entendu et vivre la fin de leur existence de manière apaisée et sans souffrance". En conséquence, la proposition de loi instaure un "droit à la sédation profonde en phase terminale et continue jusqu’au décès", soit lorsque la souffrance est réfractaire au traitement, soit lorsque les traitements de survie sont interrompus. La proposition donne également un caractère contraignant aux directives anticipées, c’est-à-dire que le médecin devrait en principe suivre ce qui a été souhaité en avance par un patient désormais incapable d’exprimer sa volonté. Par ailleurs, Leonetti et Claeys, dans leur rapport, insistent de nouveau sur le développement des soins palliatifs et la formation des médecins et du personnel soignant en ce sens.

Les enjeux de la discussion de cette proposition de loi cette semaine sont d’une part la portée réelle de la proposition de loi. D’autre part la légalisation éventuelle du suicide assisté ou de l’euthanasie, 85 membres de la majorité ayant déposé des amendements en ce sens. Je ne reviens pas sur ce point, qui constituerait évidemment une faille dramatique dans la nécessaire solidarité sociale. Pour ce qui est de la portée réelle de la proposition de loi, c’est-à-dire est elle au service d’un "mieux mourir" en France ou est-elle une porte ouverte à certaines pratiques euthanasiques, cela dépend essentiellement de trois points : le cadre et les pratiques d’application d’un droit à une sédation continue jusqu’au décès, la qualité du dialogue entre le médecin et le malade sur les directives anticipées, la qualification de "l’obstination déraisonnable" concernant des personnes gravement handicapées ou malades sans être nécessairement en fin de vie.

La Conférence épiscopale française et son groupe de travail sur la « fin de vie », présidée par Mgr Pierre d’Ornellas (cf. http://findevie.catholique.fr), exprime ses inquiétudes, mais propose aussi des solutions ?

De fait, dans la déclaration rendue publique le 20 janvier dernier, à la veille d’un premier débat parlementaire sans vote, notre groupe de travail a exprimé des inquiétudes. Reprenons les trois points névralgiques à peine cités.

Concernant le droit à la sédation nous craignons que la proposition de loi ne prenne pas assez en compte la singularité des situations et la fluctuation des souhaits des patients. Il ne faudrait pas enfermer le patient dans une décision irréversible ni déresponsabiliser le médecin, voire lui ôter son rôle, en le soumettant trop vite à une volonté exprimée du patient de vouloir être sédaté en continu : une situation qui peut se prolonger un certain temps avant que le décès n’advienne. N’oublions pas que la sédation coupe la communication entre la personne malade et son entourage affectif ou médical au moment où il en a sans doute le plus besoin. Pour nous, éviter ces risques passe par une meilleure prise en compte de la compétence du médecin au service des malades. Il est juste que la personne malade puisse exprimer son désir d’un apaisement de sa douleur et de son angoisse et pose la question de la sédation. Pour le bien même de cette personne, il est nécessaire de laisser au médecin la possibilité d’ajuster, en dialogue avec le malade, la demande à la situation à la fois telle que la ressent le malade et telle qu’il l’analyse dans son évolution. Voire par exemple si un meilleur dosage des antalgiques suffit à répondre à la demande du malade, ou une sédation ponctuelle, ou s’il faut effectivement se résoudre à une sédation continue qui n’est jamais une solution aisée du fait qu’elle coupe la communication avec le patient.

Concernant les directives anticipées, notre inquiétude est que le renforcement de leur statut soit bien au service du dialogue entre le patient et son médecin. Comme nous l’avons écrit : « la fin de vie et la mort engagent le sens d’une existence ; elles ne sont pas qu’un problème technique à maîtriser ; il est vital de pouvoir s’en entretenir avec confiance ». Il ne s’agit pas d’écrire un document formel qui s’imposera ensuite au médecin. Après passage en commission des affaires sociales de l’Assemblée, il a été ajouté à la proposition de loi la demande que le médecin traitant parle à ses patients des directives anticipées. Ce dialogue doit pouvoir exister aussi dans une prise en charge hospitalière plus lourde. En particulier, le médecin doit pouvoir garder l’option de ne pas appliquer les directives anticipées, bien sûr de manière motivée. Dans ces cas, la consultation collégiale de l’équipe soignante, prévue à juste titre par la proposition de loi, ne devrait pas se substituer à la décision du médecin responsable.

Concernant enfin la qualification de l’obstination déraisonnable, notre inquiétude est que celle-ci soit comprise de manière trop large. La constatation d’un état irréversible de la personne, c’est-à-dire d’un état grave qui ne peut que se dégrader, ne peut suffire pour déclarer qu’il est inutile de poursuivre les soins. En particulier, la proposition de loi veut qualifier l’alimentation et l’hydratation artificielle de « traitements ». C’est une question disputée. Personnellement, je suis plutôt convaincu que c’est un soin, car alimenter ou hydrater quelqu’un, même par voie artificielle, ce n’est pas chercher à enrayer une maladie mais à répondre à un besoin élémentaire. La notion clé à garder en mémoire est ici la proportionnalité : est-ce que pour cette personne tel traitement ou même tel soin répond à un besoin d’amélioration de la santé ou de confort de vie. Si le traitement ou même le soin est disproportionné, il faudra alors le diminuer ou même le suspendre. Mais tant que la disproportion n’est pas manifeste, les soins voire les traitements sont dus à la personne. En particulier, nous l’avons écrit, « l’alimentation et l’hydratation artificielles sont dues aux patients en état de conscience minimale ou en « état d’éveil sans réponse » jusqu’à preuve de leur caractère disproportionné.

La prise en compte de ces nuances est nécessaire pour éviter que la proposition de loi sorte d’une dangereuse ambiguïté.

L’Eglise a depuis des décennies favorisée la mise en place des soins palliatifs pour accompagner la fin de vie : en quoi consistent ces soins ? Parfois, on craint que la sédation ne soit en fait une euthanasie déguisée…

Selon la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP), dans une démarche palliative vis-à-vis de personnes de tous âges atteintes d’une maladie grave et évolutive, « les soins prodigués visent à améliorer le confort et la qualité de vie et à soulager les symptômes ; ce sont tous les traitements et soins d’accompagnement physiques psychologiques, spirituels et sociaux envers ces personnes et leur entourage ». Il ne s’agit donc pas seulement de poser des actes médicaux mais d’accompagner la personne dans l’épreuve de sa maladie, que ce soit à l’hôpital, dans une unité spécialisée ou à domicile. La démarche palliative inclut un temps conséquent consacré à la réflexion collégiale de l’équipe soignante, incluant selon les cas les bénévoles, les membres d’aumônerie, le personnel non médical. Aujourd’hui, et cela est inscrit dans le rapport Claeys-Leonetti, beaucoup plaident pour une extension de la démarche palliative, avec les adaptations requises, dans l’ensemble du parcours de soin, donc même si la personne est en phase de traitements curatifs.

Dans certains cas, la sédation peut s’avérer nécessaire. Là encore, il est utile de se référer aux recommandations de la SFAP, validées par la Haute Autorité de Santé. Selon elles, le but de la sédation « est de diminuer ou de faire disparaitre la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et mis en œuvre, sans permettre d’obtenir le soulagement escompté. La sédation peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue en phase palliative ou terminale de la maladie ».

Comme il est indiqué dans le livre Fin de vie, un enjeu de fraternité, qui sort ces jours-ci aux éditions Salvator, la prise de décision d’une sédation fait suite à une procédure collégiale multidisciplinaire qui intègre le consentement du patient chaque fois qu’il est possible de le recueillir, directement ou par le biais de directives anticipées. Les indications sont bien codifiées : lors de situation de détresse à risque vital immédiat, (très forte hémorragie interne, détresse respiratoire grave), ou en cas de douleurs ne pouvant être soulagées en dépit d’efforts obstinés. Enfin, en cas de détresse psychologique existentielle, une sédation transitoire peut être proposée à la personne malade après évaluation pluridisciplinaire. La sédation est alors intermittente, laissant au malade des plages de communication avec ses proches à sa demande.

Bien appliquée, pour ces cas précis, avec une attention aux doses de sédatifs utilisés, la sédation même continue ne constitue pas une euthanasie déguisée. Plusieurs études ont montré que la sédation en cas de détresse ou de symptômes rebelles n’accélérait pas la survenue de la mort. Quand bien même ce serait le cas, nous serions dans le cadre du double effet, où le soulagement du patient situé dans un état de détresse ou de douleur aigüe et inapaisable justifie le risque proportionné et non directement voulu d’un abrègement de la vie. Pie XII le disait déjà. En revanche, une généralisation de l’utilisation de la sédation continue, sans suivre les critères de bonnes pratiques, pourrait entraîner des pratiques euthanasiques plus ou moins conscientes. C’est pourquoi il est capital de développer la formation des professionnels de santé à l’usage de la sédation, comme à l’ensemble des soins palliatifs d’ailleurs. Là est l’enjeu majeur d’amélioration des conditions de la fin de vie en France.

Quels services offre une maison comme Jeanne Garnier, à Paris, aux malades et aux familles, et pour la formation du personnel d’autres centres ?

La Maison médicale Jeanne Garnier, avec sa capacité d’accueillir 80 personnes, est une unité de soins palliatifs de référence en France et en Europe. Le terme de « Maison » dit bien la volonté d’accueillir et de prendre soin de chacun comme un membre précieux de la famille humaine, en associant compétence médicale et qualité de la relation humaine, y compris en répondant aux demandes d’assistance spirituelle. Une attention particulière est portée au soutien des familles, en leur offrant une écoute attentive et un environnement apaisant. Cela passe notamment par des « espaces-familles »avec kitchenette, salle à manger, chambre et salle de bains, qui permettent aux proches d’être accueillis en permanence, une chapelle, un « espace d’accueil et de recueillement »près du Funérarium, où les familles touchées par le deuil peuvent trouver une présence réconfortante ou simplement se recueillir dans la solitude.

La Maison « exporte » son savoir faire à la fois par l’intervention de son équipe mobile de soins palliatifs dans divers hôpitaux et par des formations dispensées sur place ou ailleurs en France et à l’étranger.

Pendant huit ans comme administrateur de la Maison médicale, j’ai pu constater la qualité de l’accueil réservé aux patients accueillis et à leur famille.

L’actualité française ne fait-elle pas aussi prendre conscience que c’est toute l’Europe qui semble en retard pour la mise en œuvre des soins palliatifs ? Est-ce une question économique ?

En tout cas pour ce qui concerne la France, beaucoup reste à faire pour permettre aux patients qui en ont besoin d’avoir accès aux soins palliatifs quel que soit leur région. Autrement dit, il reste une trop grande disparité dans la répartition des unités, des équipes mobiles et des lits dédiés en soins palliatifs. Le développement des soins palliatifs à domicile reste également à promouvoir. Depuis 2012, il n’y a pas eu de plan de développement des soins palliatifs. Un nouveau plan a été annoncé en décembre par le Président de la République. Il serait accompagné d’une formation spécifique en soins palliatifs destiné à l’ensemble des professions médicales. C’est urgent.

Economiquement parlant, toujours en France, la tarification actuelle qui privilégie le remboursement des actes médicaux et chirurgicaux tend à dévaloriser le temps de consultation, de réflexion et d’accompagnement. Les députés Claeys et Leonetti proposent à juste titre d’intégrer les actes d’accompagnement dans la tarification médicale. Favoriser le temps de la réflexion et de l’accompagnement permet d’éviter des prescriptions coûteuses et inadaptées et encourage la bientraitance des personnes vulnérables.

Un livre co-écrit par le groupe de travail de la CEF et intitulé : « Fin de vie, un enjeu de fraternité », paraît ce jeudi 12 mars aux éditions Salvator comment est-il construit, quels sujets aborde-t-il ?

Le livre « fin de vie, un enjeu de fraternité » se veut un outil de travail et de réflexion sur l’accompagnement de la fin de vie, dans l’esprit des ouvrages promus par Mgr d’Ornellas avant la révision des lois de bioéthique de 2011, ouvrages qui avaient aidé bien des communautés chrétiennes à se saisir du sujet, avec un rayonnement au-delà de l’Église.

Le livre suit trois grands chapitres, le premier sur le développement de la médecine palliative, le second sur les directives anticipées, le troisième sur l’apaisement des souffrances dans un esprit de solidarité. Ce chapitre aborde notamment la question d’une juste perception de l’autonomie du patient, celle du temps de l’agonie, celle de la sédation, et affronte enfin le questionnement sur le suicide assisté.

Comme le titre l’indique, le livre veut contribuer à penser les questions très concrètes de la fin de vie dans un esprit de solidarité fraternelle plutôt qu’en termes de revendication individuelle. Le dialogue fraternel, tant au niveau médical que politique, par exemple, est source de paix sociale.

(9 mars 2015) © Innovative Media Inc.

France : la fin de vie, un "enjeu de fraternité"
Analyse du P. de Malherbe, pour sortir d’une "dangereuse ambiguïté"
Rome, 9 mars 2015 (Zenit.org) Anita Bourdin.

La fin de vie

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