Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe à l’intention du Saint Père - Retour à Dieu du pape Jean-Paul II

Cathédrale Notre-Dame de Paris - 3 avril 2005

1. Une famille éprouvée

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités,
Mesdames et Messieurs les élus,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de la part que vous prenez à la peine et à l’espérance de notre Église. Elle est rassemblée comme une famille au chevet de son père défunt, tout à la fois attristée de son départ, soulagée par la fin de ses souffrances et encouragée dans son espérance par le témoignage de sa foi.

Frères et Sœurs,

C’est vraiment une famille qui est réunie ce soir. Elle est marquée par les événements heureux et malheureux qui surgissent sans considération du calendrier. Nous rendons grâce ce soir pour la vie et le ministère du Pape Jean-Paul II et, en même temps, nous célébrons, comme chaque année, l’accueil des nouveaux chrétiens dans notre famille en recevant les 264 néophytes baptisés dans la nuit de Pâques.

Chers amis, vous entrez dans cette maison qui est la vôtre et je suis heureux de vous y accueillir. Votre entrée dans l’Église est un peu bouleversée par les événements, mais il en est ainsi dans toute famille : la naissance y côtoie sans cesse la mort et vous êtes ce soir parmi nous le signe de la fécondité de l’Évangile. Vous êtes aussi notre consolation dans ce moment difficile à vivre. Soyez les bienvenus !

2. Croire sans voir

Quel chrétien pourrait dire qu’il n’a pas, à quelque moment de son chemin, éprouvé et vécu la réaction de Thomas ? Si l’évangile de Jean nous rapporte ce dialogue à propos des rencontres avec le Ressuscité, c’est précisément parce qu’il est significatif des itinéraires de la foi. Oui, comme Thomas, plus que lui peut-être en raison de notre culture marquée par la connaissance scientifique, nous avons besoin de voir pour croire. Nous nous efforçons de voir, de toucher, d’entendre avant d’apporter notre adhésion. Et nous sommes presque surpris de la conclusion apportée par le Christ : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu. » cela mérite quelques explications qui nous aideront à faire mémoire du ministère pastoral de Jean-Paul II.

Après la génération apostolique, nul n’aura plus jamais la possibilité de rencontrer le Christ en son humanité et jamais plus la foi ne reposera sur une expérience sensible. Croire au Christ ce n’est plus le connaître comme les disciples l’ont connu et fréquenté et c’est pourquoi le témoignage apostolique de la première génération est absolument fondamental et fondateur de la foi chrétienne. Nous croyons sur le témoignage des Apôtres. Notre foi s’appuie sur leur expérience telle qu’elle nous est rapportée par les évangiles. Finalement nous croyons en faisant confiance à leur témoignage que nous recevons par la transmission des générations de croyants. Cette foi en la parole transmise se fonde sur la confiance que l’on peut accorder aux témoins.

Si nous n’avons plus les moyens de voir le Christ, nous n’en sommes pas pour autant réduits à croire sans rien voir. La véracité et la force de la parole qui nous est transmise et à laquelle nous faisons confiance sont attestées par les fruits qu’elle produit dans la vie de ceux qui la portent. Si les hommes d’aujourd’hui ne peuvent plus voir le Christ dans son humanité, ils peuvent voir la réalité de sa vie et de son message à travers la vie des chrétiens, ses disciples en notre siècle.

Ce témoignage par la vie, c’est chaque chrétien, baptisé et confirmé dans le Christ, qui est appelé et envoyé pour le rendre. Chers néophytes, vous en êtes les derniers fruits et nos plus récents missionnaires. Peut-être avez-vous l’impression que c’est une charge qui dépasse de beaucoup vos forces et vos capacités. Chacun de nous, chrétiens plus aguerris, est convaincu de sa propre faiblesse devant cette mission. Mais nous sommes aussi convaincus que l’Esprit Saint que nous avons reçu nous donne la force de vivre selon l’Évangile et d’annoncer la Bonne Nouvelle par toute notre existence, dans toutes ses composantes.

3. Le ministère apostolique.

Ce trésor que nous portons dans des vases d’argile, pour reprendre la formule de saint Paul, il nous arrive d’en douter dans les moments où notre liberté est soumise aux plus fortes pressions. Cette confiance en la parole reçue, il arrive qu’elle s’affaiblisse devant les épreuves de la vie. Cette mission qui nous est confiée à travers l’histoire des hommes, il arrive que nous en doutions. Pour conforter notre certitude et surmonter nos faiblesses et nos errements, nous avons besoin d’une caution et d’un soutien qui rencontre notre expérience humaine ordinaire. Quelque chose de sur à voir et à toucher, à écouter et à entendre. Dans notre tradition catholique, c’est la mission du ministère apostolique d’être le garant de l’authenticité de la mission de l’Église. Pierre et ses compagnons en ont reçu la mission du Christ lui-même et ils l’on transmise de génération en génération jusqu’à nous. Ce soir j’en suis le pauvre serviteur au milieu de vous.

Historiquement l’évêque de Rome hérite de Pierre la mission d’être celui qui conforte ses frères dans la foi et, à travers eux tout le peuple chrétien. Cette mission, Jean-Paul II l’a accomplie parmi nous pendant plus de vingt six ans. Il a vraiment été un témoin de la foi inébranlable dans un monde où l’on a trop souvent tendance à confondre la tolérance et le respect avec la vacuité des convictions ou leur absence affichée. Par sa vie, il nous a démontré qu’il y a quelque chose à voir, à entendre et à toucher. Ses relations avec les personnes comme ses rapports avec les foules ont toujours été une occasion de rencontrer quelqu’un qui était en lui comme un témoin muet et un frère accueillant : Jésus le Christ.

4. La foi de Jean-Paul II

Sa foi inébranlable est la seule clé de compréhension d’une vie marquée par les tumultes sanglants de l’histoire de l’Europe du XX° siècle. Confronté aux grandes dictatures du nazisme et du marxisme léniniste, il a vérifié dans sa propre existence la puissance de l’Évangile, sa capacité de transformation sociale comme la victoire finale de la vérité sur l’empire du mensonge.

La foi de Jean-Paul II, quelque mystique qu’elle ait été, a dévoilé sa fécondité historique en éclairant son regard sur l’humanité. S’il a été l’un des principaux acteurs du Concile Vatican II et s’il l’a mis en œuvre avec la plus belle persévérance, c’est parce qu’il était convaincu que la foi chrétienne n’est pas une sorte de spiritualité à usage de salon littéraire, mais une véritable puissance de compréhension de la destinée humaine. Elle a renforcé son amour de l’homme, de tous les hommes, et sa conviction que la défense des droits de l’homme, de tous les droits de l’homme sans en excepter aucun, est aussi un témoignage rendu à la vocation divine de l’humanité.

Contre vents et marées, et souvent contre les désirs immédiats d’une culture de la satisfaction, il a plaidé pour que la grandeur de chaque homme soit respectée, y compris dans les êtres les plus déshérités et les plus vulnérables. Il a développé et enseigné une vision intégrale de la personne humaine, mais aussi des sociétés et des patries. Convaincu que la culture, fruit de l’histoire d’un vivre ensemble autour de valeurs partagées, est aussi une vocation à comprendre la grandeur humaine, il savait qu’elle est indissociable de son histoire et de ses racines. Il n’y a pas de projet possible dans l’amnésie ou la scotomisation de l’histoire.

C’est pourquoi, à l’occasion du Grand Jubilé de l’an 2000, il a entraîné l’Église dans un travail de purification de sa mémoire et de repentance pour les erreurs ou les fautes commises. Il savait que sans ce travail de vérité sur son passé l’Église se privait de toute chance pour son avenir. A part quelques exception s notables et connus à travers le monde, peu de corps sociaux ont le courage de faire régulièrement ce travail de mémoire et de vérité.

Pour terminer ce bref retour sur la foi du Pape, je voudrais évoquer d’un mot sa conviction et son engagement concernant les relations inter religieuses. Je ne pense pas que quiconque puisse sérieusement penser que Jean-Paul II était un esprit relativiste sur la légitimité de l’Église catholique et de ses dogmes. Il fut pourtant l’un de ceux qui s’est engagé le plus délibérément dans un chemin de relations positives aussi bien avec les chrétiens, orthodoxes et protestants, qu’avec les juifs, les musulmans et les autres religions. Nul n’oubliera jamais Assise ou Jérusalem. En tout cas, les messages que j’ai reçu tous ces jours de ces différentes communautés montrent qu’elles n’ont pas oublié.

S’il fallait une inclusion pour éclairer la vie de Jean-Paul II, je vous propose volontiers que nous retenions les phrases phares de l’inauguration de son pontificat. Elles doivent rester en nos mémoires et éclairer la route de l’Église dans ce troisième millénaire :

« N’ayez pas peur ! »
« Ouvrez les portes aux Christ ! »

Amen.

Mgr André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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