Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Ordinations sacerdotales à Saint-Sulpice

Samedi 25 juin 2022 - Saint-Sulpice (6e)

« Serviteurs joyeux des vocations, de toutes les façons de se laisser aimer par le Christ et de Le faire aimer, c’est pour cela qu’Il vous a fait la grâce d’être ici aujourd’hui : qu’Il achève en vous ce qu’Il a si bien commencé ! »

– Nativité de St Jean-Baptiste

- Is 49,1-6 ; Ps 138 ; Ac 13,22-26 ; Lc 1,57-66.80

Cette fête solennelle de saint Jean-Baptiste, rare nativité que nous célébrons dans le calendrier liturgique de l’Église, focalise notre attention sur la vocation d’un serviteur, un prophète ou un roi, Isaïe, David ou Jean. Quel qu’il soit, c’est un serviteur …

Au livre d’Isaïe d’abord, cette interpellation, le prophète se l’applique à lui-même. Il laisse le Seigneur développer l’appel qu’Il lui a adressé : tu es mon serviteur, en toi je me glorifierai ! Jusqu’à présent, nulle mission n’est définie ni même présentée. Peut-être est-ce une déception qu’éprouve Isaïe : je disais, je me suis fatigué pour rien ! Il aurait voulu savoir ce qu’on attendait de lui : mais rien d’autre que d’être à la disposition du Seigneur, être avec Lui. On pourrait évoquer l’appel des Douze dans l’évangile de Marc : Jésus en choisit douze pour qu’ils soient avec lui. C’est la première raison que nul ne peut ignorer quand il a été un jour appelé par le Christ. Si vous, ordinands, et nous prêtres, évêques et diacres, religieux, religieuses et consacrés, sommes ici, c’est que nous avons entendu ce mystérieux appel à demeurer avec le Seigneur : viens et tu verras ! Viens et suis-moi !

C’est une expression que j’ai plusieurs fois entendue, ces jours derniers, dans votre bouche à vous les ordinands, avec ces mots ou avec d’autres : le Seigneur m’a rattrapé ! Le Seigneur, en effet, fait preuve d’une grande liberté dans l’appel, et Il suscite chez nous une liberté forte en retour : nous avons la possibilité de faire la sourde oreille, de ne pas entendre, de patienter et de Le faire patienter, il n’interdit pas que nous luttions, que nous résistions. C’est notre honneur de prendre le temps de vérifier que cet appel nous convient, nous concerne personnellement. Il faut bien dire qu’à certains moments, dans le cheminement d’une vocation, celui qui est pressenti se trouve dans la plus grande confusion, ne sait pas bien quel chemin sera bon pour lui. L’un ou l’autre de vous, chers amis, sait très bien de quoi je parle et s’est bien tourmenté, parfois pendant des mois, devant le fait que le chemin soit peu clair et que le Seigneur écrive droit avec des lignes courbes. Et c’est aussi le travail des formateurs, des accompagnateurs et du séminaire de discerner, d’éprouver les chemins vocationnels, cela prend forcément du temps. Mais c’est son honneur à Lui, le Seigneur, de ne pas nous forcer, la réponse qu’Il attend de nous est libre.

Seulement ensuite vient le contenu de ce que veut le Seigneur : ramener à Lui Jacob, rassembler Israël ; et même davantage – ce qui paraît osé, ou démesuré – être une lumière qui éclaire les nations et leur fasse désirer le salut que Dieu désire apporter jusqu’aux extrémités de la terre. C’est une ambition incroyable : être le serviteur d’une mission qui nous dépasse complètement. Avoir le goût de faire connaître aussi loin que possible cette étonnante générosité de Dieu. Évidemment cela ne désigne, jusqu’alors, aucune tâche particulière, mais seulement un feu qui brûle en nous de faire connaître cette expérience inouïe de l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné, comme le dit la lettre de Paul aux Romains (5, 5) que nous lisions hier lors de la fête du Sacré-Cœur.

Personne ne part habituellement en mission avec un programme aussi gigantesque et universel ! C’est pourtant le cas des missionnaires de l’évangile. Le programme va se circonscrire peu à peu, se limiter à quelque terrain comme cela se précise pour vous : mission en paroisse, missions diverses attachées aux autres besoins de l’Église diocésaine ; mais cela peut être aussi la désignation, pour un membre des Missions étrangères de Paris, d’un pays tout entier, lieu de sa mission pour toute la vie. D’ailleurs, au cours de la formation, des temps d’expérimentation au service d’œuvres solidaires ou dans un pays étranger permettent déjà de comprendre que la mission est et sera multiforme. Il n’y a pas de carrière, il n’y a pas d’ambition personnelle qui tienne.

Voyez Jean-Baptiste : rien n’était vraiment planifié pour lui. À commencer par sa naissance, inattendue dans une maison où les époux avaient dû se faire à l’idée qu’ils n’auraient pas de descendance – peut-être nous aussi doutons-nous quelquefois que le Seigneur nous prépare un avenir dans les circonstances que nous connaissons et qui nous éprouvent ! Et cela continue avec le choix de son nom qui n’est pas traditionnel : Elisabeth et Zacharie comprennent que cet enfant ne leur appartient pas. Avouons que, pour beaucoup de nos contemporains, dans notre entourage, dans nos familles, peut-être parfois au fond de nous-mêmes, il y a une question sur la validité d’un tel appel : à quoi cela sert-il ? Est-il possible de mener une vie fidèle à un tel engagement ? N’est-il pas mutilant de renoncer au mariage ou à la vie en couple, à la vie familiale, à la vie professionnelle, aux engagements de la vie sociale ? « Que sera cet enfant ? » disent les amis et les connaissances des parents de Jean. Que deviendront ces hommes jeunes qui s’apprêtent à servir le Seigneur et leurs frères pendant toute leur vie ? Est-ce que l’on ne cherchera pas plus ou moins à transposer sur eux les termes de la réussite sociale, en analysant comment se déroulera leur ministère ? Seront-ils brillants et un jour récompensés de leurs belles actions, de leur éloquence ? L’évangéliste commente sobrement : la main du Seigneur était avec lui !

Tous les dix qui êtes devant nous ce matin, vous avez déjà perçu que l’annonce de l’évangile ne se contente pas d’une énonciation, d’une proclamation ; il ne s’agit pas d’un simple enseignement qui n’est certes pas inutile, mais d’abord d’une façon d’être, d’un amour pour le peuple que Dieu aime. Auprès de tous ceux que le Seigneur placera sur votre chemin, de tous ceux qu’il vous sera donné de rencontrer, votre vie devra plaider en sa faveur et en sa faveur uniquement. Ce n’est pas de vous que l’on doit faire l’apologie : c’est le Christ que votre ministère et votre vie doivent montrer. Vous demeurez, nous demeurons de simples serviteurs. J’aime que l’on ait traduit, dans la version liturgique, ce verset de l’évangile de Luc (17,10) : nous ne sommes pas des serviteurs inutiles – Dieu a bien l’intention que notre service soit actif et utile ; nous ne sommes pas des serviteurs quelconques – Dieu nous donne une vraie dignité par l’amour qu’il met en nous. Nous sommes, vous êtes de simples serviteurs.

Et des serviteurs joyeux, des serviteurs de la joie comme l’a écrit le cardinal Kasper, la joie qui vient de la rencontre du Christ : vous avez été gratifiés par Lui de sa présence discrète, qu’Il vous soit donné d’en être chaque jour les témoins au milieu du peuple qu’Il s’est choisi et que vous côtoyez.

Et des serviteurs de toute vocation chrétienne : il s’agit de constituer sans cesse, jour après jour, ce peuple en assemblée sainte où chacun a sa place selon les dons que l’Esprit de Dieu lui a fait. Il s’agit de permettre à chaque baptisé ou à toute personne qui commence à connaître le Christ de devenir à son tour un disciple qui fera resplendir son visage dans la société. Il s’agit de permettre à l’Église tout entière d’être ce signe de sa présence qui sauve et qui appelle.

Serviteurs joyeux des vocations, de toutes les façons de se laisser aimer par le Christ et de Le faire aimer, c’est pour cela qu’Il vous a fait la grâce d’être ici aujourd’hui : qu’Il achève en vous ce qu’Il a si bien commencé !

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris.

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