Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe pour la Fête patronale saint Thomas d’Aquin de l’Institut Catholique de Paris

St Joseph-des-Carmes (Paris 6e) - Mardi 30 janvier 2018

 Sg 7, 7-10.15-16 ; Ps 188 ; Mt 23,8-12

Il est des textes de l’Évangile qu’il est toujours difficile de commenter, et celui en est un particulièrement ! En effet, j’ai commencé dans ma jeunesse adulte à me faire appeler « docteur », puis ensuite dans le cours de ma vie, un peu plus tard, je me suis fait appeler « père ». Le Seigneur n’a pas pensé que quelqu’un oserait se faire appeler « monseigneur », et me voilà donc obligé de justifier ces titres que l’on m’a donnés, et qui, vous le savez bien, sont totalement usurpés comme vient de nous le dire le Seigneur !

« Docteur » : c’est celui qui sait, qui possède la doctrine. Mais voilà que celui qui sait, apprend peu à peu qu’il ne sait pas grand-chose… La première chose qu’il doit apprendre, c’est justement son incomplétude. Heureusement, si nous en avions un doute, les mathématiques viennent à notre secours aujourd’hui, grâce au théorème de Gödel. Ce fameux mathématicien allemand a montré que les mathématiques ne pourraient jamais démontrer l’ensemble du réel et qu’il y aura toujours une partie du réel qui restera indémontrable. Ceci nous rend très humble par rapport au savoir que l’on peut connaître. Faire l’expérience de son incomplétude veut dire que nous aurons toujours à chercher, que la vérité ne peut pas être enfermée dans notre intelligence et que, pour pouvoir comprendre et avancer dans la connaissance, il nous faut grandir en humilité.

« Père » : cela fait référence à l’unique paternité de Dieu, parce que Dieu n’est pas père comme nous. C’est nous qui devons apprendre la paternité à l’image de Dieu. Par ailleurs, il faut apprendre, nous en faisons l’expérience dans notre vie terrestre, à être fils. Être fils, c’est d’abord accepter de se recevoir d’autres. Nous avons effectivement reçu la vie d’autrui. Nous l’avons reçue de nos parents, nous ne nous sommes pas donnés à nous-mêmes notre vie. On doit se recevoir d’un autre et que c’est parce qu’on a assumé le fait que notre vie ne vient pas de nous-mêmes, que nous pouvons grandir et, à notre tour un jour, devenir père.

Apprendre à se recevoir permet de se donner. C’est bien la vie que nous avons à vivre, puisqu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie, encore faut-il avoir appris à la recevoir.

Voilà comment, effectivement, nous pouvons être père, non pas par nous-mêmes ou par nos qualités personnelles, mais en recevant cette paternité de celui qui en est la source, c’est-à-dire de Dieu lui-même.

Que nous reste-t-il encore ? La maîtrise ? Celui qui est le vrai maître et qui se reconnaît tel d’ailleurs, le fait quand Il est aux pieds de ses disciples pour les laver. Quand on parle du haut d’une chaire, comme le son monte, il est inaudible, alors que, lorsqu’on est aux pieds de quelqu’un et qu’on lui parle, il devient audible. Ce n’est pas seulement un phénomène acoustique, c’est la réalité des choses. Le maître doit se mettre au service s’il veut vraiment que son enseignement puisse être accueilli. Etre maître, c’est apprendre humblement à devenir serviteur comme le Seigneur nous le demande : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,13-14).

Reconnaître la grandeur de celui à qui nous transmettons un message. Reconnaître la grandeur immense de celui à qui nous faisons connaître quelque chose qu’il ne connaît pas encore. Sa grandeur ne vient pas de son savoir, sa grandeur vient de sa dignité et ce n’est pas nous qui la lui avons donnée, elle existe bien avant nous ; voilà pourquoi le maître doit apprendre à se mettre à genoux devant son disciple pour lui laver les pieds. Voilà peut-être ce qui nous permet d’entrer dans ce mystère. Si nous possédons quelques titres, que ces titres nous apprennent simplement à imiter Celui qui est le Fils, Celui qui nous fait connaître le Père, Celui qu’on peut appeler en vérité, Le vrai docteur. La vérité, nous le savons bien, n’est pas un concept, la vérité, c’est une personne. C’est en entrant dans cette relation avec la personne que nous pouvons découvrir la vérité. Lorsque nous connaissons quelqu’un depuis longtemps, nous en faisons l’expérience, nous n’arrivons jamais à la connaître totalement. Cela nous permet justement de continuer à nourrir une relation de sorte que cette relation porte du fruit. Si le Seigneur nous dit qu’il est lui-même la vérité, c’est pour que nous apprenions à le connaître. Pour le connaître, il faut être son disciple. Pour être son disciple, il faut être avec Lui, comme il l’a dit à ses apôtres. Il les a choisis pour être avec Lui.

Voilà pourquoi cette eucharistie nous permet d’être avec le Seigneur et de suivre le chemin qu’il nous a donné, afin que nous puissions, quels que soient nos titres, entrer dans ce grand mystère d’une vérité qui nous dépassera toujours.

+Michel AUPETIT, archevêque de Paris, chancelier de l’ICP.

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