Homélie de Mgr Michel Aupetit – Jeudi saint – Messe en mémoire de la Cène du Seigneur

Notre-Dame de Paris - Jeudi 29 mars 2018

- Ex 12,1-8.11-14 ; Ps 115, 12-13.15-18 ; 1 Co 11,23-26 ; Jn 13,1-15

Comprenez-vous ce que je viens de faire ?
Assurément non, les disciples ne comprennent pas ce que Jésus vient de faire. Le repas pascal que Jésus célèbre n’est pas un simple repas sur lequel on dirait un vague benedicite, comme nous le faisons nous-mêmes parfois. C’est une véritable liturgie.
Or Jésus, vient de mettre à terre le protocole de cette liturgie.
À l’époque de Jésus, le repas commence quand le maître de maison rompt le pain et le donne aux convives. Le rite essentiel est la grande bénédiction de la fin du repas qui est marqué par un lavement des mains général. C’est le plus jeune qui se lève pour laver les mains de celui qui préside le repas. C’est là que Jésus va se lever lui-même à la place du plus jeune et, au lieu de laver les mains, va se mettre à laver les pieds de chacun de ses disciples. Cette scène est extrêmement choquante pour les disciples et d’ailleurs Pierre se récrie : « tu ne me laveras pas les pieds ». Le lavage des pieds est réservé aux serviteurs chez les juifs et aux esclaves chez les romains. Jésus bouleverse totalement la liturgie juive. Il accomplit ainsi ce qu’il avait dit : « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ». Le premier, Maître et Seigneur, c’est lui.

Comprenez-vous ce qui est en train de se passer ?
Toutes les religions sans exception apprennent à l’homme à se mettre à genoux devant Dieu. Ce soir, c’est Dieu qui se met à genoux devant l’homme. Nous sommes devant un mystère incroyable qui nous révèle la dignité extraordinaire dont nous sommes revêtus par Dieu lui-même. Jésus se met à genoux devant Judas qui va le trahir, devant Pierre qui va le renier, et devant tous les autres qui vont l’abandonner, sauf les femmes.
Ce ne sont pas nos mérites qui nous valent cet agenouillement de Dieu devant nous. Notre dignité nous est donnée par Dieu lui-même. Cela veut dire que tout homme, en particulier ceux que nous croyons totalement méprisables, sont honorés par Dieu lui-même. Impossible désormais de regarder qui que ce soit, homme, femme, enfant, vieillard, malade, étranger, handicapé, autrement que par ce même regard de Dieu qui nous élève à une dignité divine.

Comprenez-vous pourquoi notre religion est une véritable folie ?
Il ne s’agit pas de simple solidarité humaine. Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour ressentir de la bienveillance et de l’humanisme. J’ose le dire : il n’y a même pas besoin de religion pour être attentif aux autres. Non, mais nous avons besoin du Christ pour changer notre regard sur Dieu lui-même et sur nos frères humains. Si Dieu se met à genoux devant l’homme, c’est pour que nous nous mettions à genoux devant nos frères.
Et ce n’est pas tout. Il y a pire ! Au lieu de s’en tenir à la bénédiction, Jésus ajoute : « ceci est mon corps ». Dans le langage de la Bible, le corps désigne la personne tout entière dans laquelle le corps et l’esprit sont indissociablement unis. C’est la personne de Jésus qui se donne véritablement. « Livré pour vous » veut dire que cette personne est un « être pour les autres », un être qui se partage, qui se communique.
Chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous le faisons comme un « mémorial » selon la parole du Christ. Pour les juifs, « faire mémoire » veut dire rendre présent devant Dieu quelqu’un ou quelque chose. À chaque messe, le Christ vient consacrer le pain et le vin qui deviennent son corps et son sang en « habitant » le prêtre qui célèbre à l’autel.

Croire tout cela, comme nous le faisons nous-mêmes, c’est être fou aux yeux du monde.
Voilà ce qu’est un chrétien : c’est celui qui accepte la folie de Dieu ; et plus encore, qui entre dans la folie de Dieu. Car « la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes » nous dit saint Paul. Il nous révèle aussi ce que nous sommes : « ce qu’il y a de fou dans le monde voilà ce que Dieu a choisi ». Nous sommes des fous. Notre religion est une religion de fous, pas un rassemblement d’humanitaires.

Je vais vous donner la définition de la folie qui n’appartient pas aux classifications de la psychiatrie :

La folie, c’est de mettre son intelligence au service de l’amour.

+ Michel Aupetit, archevêque de Paris.

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