Homélie de Mgr Michel Aupetit – Célébration de la Sainte Cène à Saint-Sulpice

Saint-Sulpice (6e) - Jeudi 18 avril 2019

 Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88,20-22.25.27.29 ; Ap 1,5-8 ; Lc 4,16-21
 Jeudi 18 avril 2019 – Sainte Cène – Année C

Beaucoup de gens me demandent : « Pouvez-vous donner un sens à ce qui est en train de se passer ? » Il est toujours facile de donner du sens a posteriori sur les événements que nous avons à vivre. Mais qui aurait pu dire quoi que ce soit avant la destruction de Notre Dame ?

Le véritable sujet est de comprendre la logique de Dieu. En cette semaine Sainte, nous vivons deux convictions. La première est celle de Pâques. D’un mal terrible que Dieu n’a pas voulu mais subi, Dieu peut tirer un bien plus grand. C’est la logique de Pâques. Du mal absolu de la mort du Christ, Dieu le Père avec l’assentiment de son Fils bien aimé tire un bien immense : la Résurrection qui ouvre la vie éternelle à l’humanité et le Salut de la multitude. Notre seconde conviction est celle de l’inversion évangélique que nous vivons en ce soir de la Sainte Cène : « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers »

Jésus demande : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? »

Assurément non, les disciples ne comprennent pas ce que Jésus vient de faire. Le repas pascal que Jésus célèbre n’est pas un simple repas sur lequel on dirait un vague « bénédicité », comme nous le faisons nous-mêmes parfois. C’est une véritable liturgie.
Le rite essentiel est la grande bénédiction de la fin du repas qui est marqué par un lavement des mains général. C’est le plus jeune qui se lève pour laver les mains de celui qui préside le repas. Jésus, Maître et Seigneur, va se lever lui-même à la place du plus jeune et, au lieu de laver les mains, va se mettre à laver les pieds de chacun de ses disciples. Cette scène est extrêmement choquante pour eux et d’ailleurs Pierre se récrie : « Tu ne me laveras pas les pieds, jamais ». Le lavage des pieds est réservé aux serviteurs chez les juifs et aux esclaves chez les romains. Jésus bouleverse totalement la liturgie juive.

Dans la Bible le service a deux sens :
Le service de Dieu qui libère de l’asservissement de l’esclavage.
Le service de nos frères, qui ne fait qu’un avec le service de Dieu.

Chers amis, comprenez-vous ce qui est en train de se passer ?

Toutes les religions sans exception apprennent à l’homme à se mettre à genoux devant Dieu. Ce soir, c’est Dieu qui se met à genoux devant l’homme. Là encore, il s’agit d’une inversion évangélique. Nous sommes devant un mystère incroyable qui nous révèle la dignité extraordinaire dont nous sommes revêtus par Dieu lui-même. Jésus se met à genoux devant Judas qui va le trahir, devant Pierre qui va le renier, et devant tous les autres qui vont l’abandonner, sauf les femmes.
Nous pensons tous que nos mérites doivent nous attirer la reconnaissance et la promotion. Or, ce ne sont pas nos mérites qui nous valent cet agenouillement de Dieu devant nous. Notre dignité nous est donnée par Dieu lui-même.

Comprenez-vous pourquoi notre religion est une véritable folie ?

Nous ne sommes pas dans un quelconque humanisme. Nous avons besoin du Christ pour changer notre regard sur Dieu lui-même et sur nos frères humains. Si Dieu se met à genoux devant l’homme, c’est pour que nous nous mettions à genoux devant nos frères, particulièrement nous les prêtres et les diacres, en ce jour béni de l’institution du sacerdoce. Et ce n’est pas tout. La folie de Dieu ne s’arrête pas là. Au lieu de s’en tenir à la bénédiction, Jésus ajoute : « Ceci est mon Corps ». Dans le langage de la Bible, le corps désigne la personne tout entière dans laquelle le corps et l’esprit sont indissociablement unis. C’est la personne de Jésus qui se donne véritablement. « Livré pour vous » veut dire que cette Personne est un « être pour les autres », un être qui se partage, qui se communique. Croire tout cela, comme nous le faisons, c’est être fou aux yeux du monde. Il faut être fou pour construire une cathédrale qui est l’écrin d’ un simple morceau de pain, d’ une goutte de vin.

Voilà ce qu’est un chrétien : c’est celui qui non seulement accepte la folie de Dieu mais qui entre dans la folie de Dieu. Car « la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes » nous dit saint Paul. Il nous révèle aussi ce que nous sommes : « Ce qu’il y a de fou dans le monde voilà ce que Dieu a choisi ». Nous sommes des fous. Notre religion est une religion de fous, pas un rassemblement d’humanitaires.

Je vais vous donner la vraie définition de la folie :
La folie, c’est de mettre son intelligence au service de l’amour

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris

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