Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe de la Toussaint

Saint-Germain l’Auxerrois (1er) - Vendredi 1er novembre 2019

 Toussaint
- Ap 7,2-4.9-14 ; Ps 23,1-6 ; 1 Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a

Vous connaissez certainement Nietzsche, le philosophe allemand du 19e siècle. Certes, ce n’est pas un Père ni un Docteur de l’Église. Mais il semble bien qu’il fut un prophète. Dans le prologue de son célèbre ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra, il parle des « derniers hommes » qui pensent avoir inventé le bonheur. Je cite ce passage : « Un peu de poison de-ci de-là pour se procurer des rêves agréables et beaucoup de poison pour mourir agréablement ». Comment ne pas penser à notre époque ? Nietzsche n’a-t-il pas eu la prémonition de ce qui se passe aujourd’hui ? Un petit joint pour planer, beaucoup de Lexomil pour calmer ses angoisses existentielles et un cocktail lytique au moment de la mort pour une joyeuse euthanasie.

Selon cette vision le bonheur serait l’anesthésie. Le bonheur serait-il d’échapper à sa vie, de faire semblant de vivre de petits plaisirs en divertissements dérisoires ?
Or, dans les Béatitudes, Jésus nous montre que le bonheur, c’est vivre. Vivre malgré les vicissitudes, malgré les pleurs, malgré les persécutions, malgré les obstacles. Vivre, c’est habiter sa vie. Vivre est un risque comme le fait d’aimer nous rend vulnérables.

Habiter sa vie, c’est ce qu’ont fait les saints que l’on fête aujourd’hui. Prendre conscience de sa vie, c’est le contraire d’une vie anesthésiée, subie ou virtuelle. C’est le parcours des saints. François d’Assise, un gosse de riches, est devenu amoureux de la pauvreté. Il n’a pas subi sa vie. Jeanne Jugan, célibataire inutile aux yeux du monde mais attentive aux autres avec un cœur généreux, a porté une extraordinaire fécondité. Elle n’a pas laissé les personnes âgées croupir dans leur mansarde. Elle a fondé les Petites Sœurs des Pauvres qui œuvrent partout dans le monde. Mère Teresa n’a pas supporté que des hommes puissent mourir comme des chiens dans la rue. Jean Paul II, persécuté dans sa jeunesse par un régime totalitaire, y a trouvé la force d‘échafauder la civilisation de l’amour.

Tous ont été persuadés que le bonheur trouve sa source en Dieu. Car c’est Dieu lui-même qui console ceux qui pleurent, qui fait entrer les pauvres en son Royaume, adopte les artisans de paix comme ses enfants, qui se reconnaît dans les doux, qui donne la force aux persécutés.

Les saints ont pris conscience que notre vie dépasse son simple support biologique comme l’ensemble des hommes qui ont cru dans un au-delà de la vie depuis les commencements de leur conscience humaine.

Se tourner vers Dieu qui est lui-même la Vie permet d’entrer en plénitude dans sa vie dont la source et la finalité sont en Lui. Cette vie qui n’existe vraiment que lorsqu’elle se déploie dans l’amour comme nous l’a montré le Christ Jésus.

Les saints sont des modèles donnés par l’Église pour nous guider en cette vie. Tous ceux que nous aimons qui déjà sont partis et que nous fêterons demain au Jour des morts, les ont rejoints. Nous prions pour eux puisque c’est notre fonction de baptisés de prier pour le salut de l’humanité. Cela est vrai en particulier pour ceux qui nous ont quittés afin qu’ils soient sanctifiés, c’est-à-dire rendus saints, s’ils ne l’ont pas accompli sur la terre. Car, nous l’avons compris, la sainteté n’est pas un état, c’est un chemin d’ajustement à Dieu.

+Michel Aupetit, archevêque de Paris.

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