Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe chrismale à Saint-Sulpice

Saint-Sulpice (6e) - Mercredi 31 mars 2021

 Voir l’album-photos de la messe chrismale.

- Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88, 20-22.25.27.29 ; Ap 1, 5-8 ; Lc 4, 16-21

Quelle joie, chers frères et sœurs, de se retrouver ensemble pour célébrer la messe chrismale qui traditionnellement réunit l’ensemble du diocèse autour de ses prêtres et de ses diacres. Oui, les consacrés et les fidèles entourent leurs pasteurs qui portent la charge pastorale. Elle consiste à prendre soin de tous ceux qui reconnaissent le Christ comme le véritable Fils de Dieu et à transmettre son message à ceux qui ne le connaissent pas encore. C’est lui, le Christ, l’oint du Seigneur, le messie « frotté d’huile » comme disent les Hébreux, le Seigneur Jésus de Nazareth. C’est lui qui nous unit, qui nous rassemble. L’onction qu’il a reçue dans son humanité fait de lui l’unique Grand Prêtre, le seul qui relie le Ciel et la terre, Dieu et les hommes.

Il n’a pas reçu l’onction comme les fils d’Aaron. Son sacerdoce est un sacerdoce éternel comme celui de Melchisédech. Jésus n’est pas oint avec de l’huile puisqu’il est Dieu. Mais il est oint de l’Esprit Saint (Ac 10, 18). Il est lui-même la présence de Dieu, il est l’Emmanuel. Il est la source de toute onction.

Il faut bien reconnaître que ce qui nous arrive actuellement nous déstabilise. De l’incendie de la cathédrale jusqu’à la généralisation de la pandémie au milieu d’une société en perte de repères, nous devons nous poser la seule question importante : qu’est-ce que le Seigneur attend de nous ? Certaines paroisses ont perdu quelques-uns de leurs fidèles, d’autres n’ont cessé de se réadapter et d’essayer de maintenir des projets dont on savait que, peut-être, il faudrait les annuler… Bref, nous sommes remis en cause dans tous nos modes de fonctionnement. Peut-être cela constitue-t-il une chance pour se rappeler que l’onction n’est pas la fonction. Nous devons considérer et espérer que d’un mal objectif Dieu peut nous aider à faire émerger un bien plus grand encore que celui qui existait avant le mal. Il ne s’agit plus de faire comme on a toujours fait, de tenir la boutique coûte que coûte. Nous sentons bien qu’il faut innover, inventer, créer du neuf. Le monde a soif de sens et les chrétiens doivent pouvoir répondre aux questions existentielles de notre société.

Pour cela, il nous faut repartir du Christ. C’est lui qui est notre unité. En lui nous sommes tous frères et sœurs en raison de notre baptême qui fait de nous des enfants adoptifs du Père dans son Fils unique. Cette adoption filiale nous vient de l’amour du cœur de Dieu et non pas de la nature.

Notre République écrit sur les frontons de ses mairies le mot « fraternité » que nous comprenons tout spécialement parce que nous savons que nous avons un seul et unique Père, Dieu lui-même. Nous savons aussi que nous devons créer des lieux de fraternité, non pas seulement entre nous mais aussi avec ceux qui habitent ce monde dans lequel nous vivons. Beaucoup de paroissiens se sont mobilisés comme nous l’avons vu lors du premier confinement et encore aujourd’hui avec tous les soins apportés aux pauvres, aux malades, aux exclus, aux solitaires si nombreux à Paris.

Mais il nous faut penser aussi à cette parole du Christ : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis » (Jn 15, 15). Cela veut dire que nous ne sommes pas une religion d’esclaves ou de soumis. Notre Dieu lui-même nous affranchit d’un lien de subordination pour nous proposer son amitié. Cela n’empêche pas d’éprouver envers lui une adoration véritable, mais celle-ci n’est fondée que sur l’amour.

Nous sommes donc une religion de l’amitié et nous devons cultiver entre nous une véritable amitié qui tiendra véritablement si nous sommes sur la même longueur d’âme. Cette accointance de l’âme dont parlait déjà Montaigne au sujet de La Boétie est une pure gratuité qu’il nous faut apprendre du Christ. L’amitié n’est pas fondée sur la réciprocité utile ou sur l’intérêt personnel mais sur un élan qui vient d’au-delà de nous : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », disait l’auteur des Essais.

C’est le Christ qui est garant de la véritable amitié que nous devons entretenir les uns avec les autres. Elle est fondée sur la prière profonde, sur l’oraison qui nous met en cœur à cœur avec Jésus et qui nous apprend le don de l’amitié.

Si nous, prêtres, nous perdons le lien profond avec Jésus, si nous ne prions plus et si nous ne célébrons plus la messe quotidiennement, nous serons incapables d’entrer dans cette véritable amitié et nous ne permettrons plus aux fidèles d’accueillir cette amitié divine. Notre cœur sacerdotal se dessèchera. C’est alors que peuvent se produire les abus de pouvoir, le retour du narcissisme et l’abandon de notre sacerdoce qu’il soit baptismal ou plus encore ministériel.

En ces temps terribles, nous avons à revisiter non pas nos fonctionnements pastoraux, non pas nos stratégies missionnaires, mais la façon dont nous nous aimons les uns les autres. Car nous savons bien que c’est à cela que tous nous reconnaîtront pour ses disciples.

Que l’onction reçue au baptême, à la confirmation ou pour certains à l’ordination nous configure au Christ serviteur, prêtre et bon pasteur et manifeste l’amitié d’un Dieu qui vient révéler son image dans nos âmes.

+Michel Aupetit,
archevêque de Paris.

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