Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 3e dimanche de l’Avent

Dimanche 13 décembre 2009 - Notre-Dame de Paris

 So 3, 14-18 ; Is 12.2.4-6 ; Ph 4, 4-7 ; Lc 3, 10-18

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,

Jean-Baptiste proclame la bonne nouvelle de la venue du Messie que le peuple attend et l’accomplissement des promesses de Dieu. Il annonce à tous la présence toute proche de celui qui est plus grand que lui, afin qu’ils goutent déjà à la joie de sa venue. Dans le même temps, il appelle les foules à la conversion et les baptise pour la rémission de leurs péchés.
De même, la bonne nouvelle de la venue du Messie-Sauveur remplit déjà nos cœurs de joie alors même que nous préparons sa venue. Cette joie sera complète lorsque le Christ viendra, tout comme elle l’est dans la nuit de la Nativité pour les bergers et les pauvres qui viennent accueillir et adorer l’enfant, ou pour les mages qui viendront de loin pour le connaître et lui offrir leurs présents.
La joie des bergers dans la nuit de Bethléem ou celle des mages venant des lointains pays d’Orient nous atteint tous. C’est la joie que Dieu suscite au cœur de l’homme.

Cette espérance nait de la foi indéfectible dans la Parole donnée par Dieu et de la certitude qu’il ne manquera jamais à ce qu’il a promis. Car Dieu n’abandonne pas son peuple, comme nous le rappelle le prophète Sophonie : « Le Seigneur a écarté tes accusateurs, il a fait rebrousser chemin à ton ennemi. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. » (So 3, 15).
Nous pouvons vivre dans cette certitude que Dieu est le défenseur de son peuple, et qu’à travers Israël il défend et il sauve l’humanité toute entière. Celui qui croit en Dieu, en sa fidélité, en sa miséricorde, en son amour et en sa puissance est assuré que rien de ce qui survient en ce monde ne peut le séparer de Dieu, pas même les catastrophes comme celles qui ont marqué l’histoire du peuple d’Israël, au moment de la déportation à Babylone, de la destruction du temple de Jérusalem, de l’occupation grecque, de l’occupation romaine ou de la diaspora qui s’en est suivie.
Comme saint Paul le dira dans l’épître aux romains : « Ni la vie ni la mort, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (Ro 8, 38-39).

Cette certitude qui habite le cœur du croyant le conduit à regarder l’histoire de l’humanité, celle de sa propre vie, ou les évènements de son temps dans la confiance la plus totale dans la parole de Dieu, et non plus avec les yeux de la crainte et de l’anxiété, que beaucoup cherchent à susciter en brandissant devant nous les risques et les périls que courent l’humanité et l’univers.
Celui qui croit que Dieu est fidèle ne craint pas le passé parce qu’il sait que la miséricorde de Dieu pardonne les péchés et répare les fautes. Il n’est pas inquiet pour le présent parce qu’il connait le Dieu vivant et agissant en tout instant au cœur des hommes et spécialement de ceux qui sont habités par la foi et la présence de l’Esprit Saint.
Et il n’a pas peur de l’avenir puisqu’il a accueilli cette Parole du Christ qui nous a dit : « Pas un seul cheveu de votre tête ne se perdra » (Lc 21, 18).

Cette confiance absolue dans la présence et l’action de Dieu est le fondement de cette sérénité, dont saint Paul, dans l’épître aux Philippiens, invite les chrétiens à témoigner : « Que votre sérénité soit connue de tous les hommes » (Ph 4, 5).
A quoi va-t-on reconnaître aujourd’hui le chrétien, sinon précisément à ceci qu’il sait aborder les événements de sa propre vie ou de l’histoire du monde, non pas dans l’anxiété, la crainte et la terreur, mais dans la confiance et le calme. Les chrétiens ne se reconnaissent pas à leurs habits différents ou à une manière de vivre totalement distincte mais à ce qu’ils vivent dans la confiance que Dieu est présent et vivant et que cette foi les établit dans la paix.
Cette paix produit la sérénité qui est la source de la joie dans nos cœurs : « laissez-moi vous le redire, écrit encore saint Paul, « soyez dans la joie, ne soyez inquiet de rien mais en toute circonstance dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ » (Ph 4, 4-7).

Voici donc le premier signe caractéristique du chrétien au milieu de ce monde : il vit son existence et conduit ses relations avec les autres non pas dans l’anxiété et la crainte, mais dans la sérénité, la paix et la joie. Mais Dieu ne nous fait pas ces dons pour nous consoler, nous récompenser ou nous éviter de nous interroger sur notre vie.
Lorsque Jean-Baptiste annonce la Bonne nouvelle et réveille l’attente de la venue du Sauveur, il invite aussi le peuple à préparer un chemin pour la venue du Christ, comme nous l’avons entendu dimanche dernier. Comme Dieu a préparé à travers le désert un chemin pour ramener son peuple vers Jérusalem, il ouvre dans nos vies le chemin pour venir jusqu’à nous, il renouvelle et ravive toutes les potentialités de notre existence, et nous conduit à la conversion du cœur.

Comment vivre en chrétien ? Comme être chrétien en ce monde ? Beaucoup se pose la question et nous nous la posons parfois. Que faut-il faire pour être vraiment chrétien ? Comme tous ceux qui étaient venus se faire baptiser par Jean et comme les foules qui les suivaient, il nous arrive aussi de nous demander : « que devons-nous faire ? » (Lc 3, 10). Cette question revient souvent dans l’Ecriture.
Elle caractérise la libre réponse de l’homme à la grâce et à l’amour de Dieu. Le jour de la Pentecôte par exemple, après le discours de Pierre aux foules de Jérusalem, celles-ci ont le cœur transpercé par les paroles qu’elles ont entendues et s’écrient : « frère, que nous faut-il donc faire ? » (Ac 2, 37).

A cette question, la prédication de Jean-Baptiste dans l’évangile fournit une réponse claire et simple, formulée avec les mots de tous les jours, des mots que chacun comprend depuis l’enfant qui va à l’école jusqu’au grand maître des universités.
Vivre en chrétien, c’est vivre du partage : « celui qui a deux vêtements qu’il partage avec celui qui n’en n’a pas, et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! » (Lc 3, 11). Vivre en chrétien, c’est vivre selon la justice, « ne rien exiger de plus que ce qui nous est fixé » (Lc 3, 13).
Et vivre en chrétien c’est vivre dans le respect de l’autre, « ne faire ni violence ni tort à personne » (Lc 3, 14). Ces orientations et ces appels indiquent la conversion que Dieu nous propose pour que nous puissions vraiment accueillir le Christ et le suivre : vivez du partage, vivez de la justice et vivez du respect de l’autre.
Si vous vivez ainsi, vous vivrez nécessairement de l’amour car l’offrande du cœur accompagne toujours le vrai partage, car la justice ne suffit pas sans la charité et car le respect de l’autre se déploie vraiment dans une attitude d’amour.

Ces conseils moraux sont tout à fait élémentaires. On pourrait les répandre dans toutes les écoles, pour tous les enfants et tous les jeunes de notre pays, qu’ils soient chrétiens ou non. Mais pour nous, cette aptitude au partage, à la justice et au respect de l’autre s’enracine, se nourrit et se développe dans la certitude que Dieu aime et prend soin de l’humanité.

Frères et sœurs, si nous voulons vraiment être témoins de l’Evangile du Christ en ce monde, il nous faut redécouvrir et rechercher les chemins du partage, de la justice et du respect. Si nous approfondissons notre foi en la présence agissante de Dieu à travers l’histoire des hommes, alors sa paix pourra s’établir en nos cœurs, la sérénité transparaîtra dans nos vies et notre joie sera un signe pour tout homme. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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