Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe d’envoi du Frat 2012

Vendredi 20 avril 2012 - Lourdes

Pour comprendre ce que le Seigneur nous dit, nous avons besoin de nos frères. Pour vivre la vie chrétienne, nous avons besoin de l’Église. C’est en vivant dans l’Église qui nous pouvons nous laisser conduire par le Seigneur.

 So 3, 14-18a ; Ct Isaïe 12, 2-6 ; Lc 1, 39-56

Marie et Élisabeth étaient cousines. Très naturellement, au moment où Élisabeth, dans sa vieillesse, apprend qu’elle attend cet enfant qu’elle n’espérait plus, Marie vient lui rendre visite pour l’aider. Mais à travers l’histoire de cette visite de Marie à Élisabeth, nous découvrons que la rencontre entre les deux cousines exprime quelque chose de beaucoup plus important.

Essayons de comprendre ce qui s’est passé. C’était un jour ordinaire, Marie s’occupait de ses affaires habituelles. Comme pour vous, il y a ces jours ordinaires où vous êtes dans votre chambre, en train d’essayer de travailler et d’y réussir peut-être un peu, en gardant des écouteurs sur les oreilles pour être sûr de ne pas être dérangés par le silence ! Au milieu de tout cela, une voix se fait entendre, non pas dans l’écouteur, mais à l’intérieur de vous. Étrange ! Qui a bien pu parler ? Si vous n’aviez pas peur que l’on rit de vous, peut-être poseriez-vous la question à quelqu’un. Mais vous ne voulez pas risquer de vous faire prendre pour un fou !

De même, Marie a entendu une voix qui lui a dit quelque chose d’extraordinaire : « Tu vas enfanter un fils qui vient de Dieu ». Que va-t-elle pouvoir faire de ce message ? Pour lui montrer que ce qu’il dit est sérieux, l’ange ajoute : « Ta cousine Élisabeth attend, elle-aussi, un enfant dans sa vieillesse. Elle en est à son sixième mois » (Lc 1, 36). Cette mention d’Élisabeth donne comme une piste à Marie : que risque-t-elle à aller voir Élisabeth pour parler de tout cela ? Elle part donc en hâte, vers la montagne de Judée, vers la maison de sa cousine. Et dans cette rencontre entre les deux cousines, au-delà de la joie qu’elles ont à se retrouver, il se passe quelque chose d’extraordinaire : « L’enfant tressaillit dans le sein d’Élisabeth, … et Élisabeth dit à Marie : tu es la mère de mon Seigneur » (Lc 1, 41.43). Pour ce que l’on voit extérieurement de cette rencontre, il n’y a rien du tout, rien de spécial. Mais pour qui voit ce qui ne se voit pas, ce qui se passe au-dedans d’Élisabeth et au-dedans de Marie, une histoire formidable commence !

Tout se passe donc comme si Marie avait eu besoin des mots d’Élisabeth (« Tu es la mère de mon Seigneur ») pour croire à l’annonce de l’ange. C’est d’ailleurs seulement après cette parole qu’elle chante son cantique d’action de grâce. Cette rencontre a donné au message de l’ange tout son sens : il ne s’agit pas seulement d’une voix intérieure ou d’une idée folle qui a traversé la tête de Marie, mais de quelque chose de vrai.

Chacun et chacune d’entre nous peut, à certains moments, entendre comme une idée folle : un mot de l’Évangile, une image, une parole… Ces images et ces phrases peuvent rester complètement enfouies, sans fruit et inutiles, si elles ne s’appuient pas sur une confirmation humaine. Tant que je ne risque pas la parole que j’ai entendue en la partageant avec d’autres, elle reste morte. Elle ne prend forme, vérité et vie que quand j’accepte de la mettre à la disposition d’un autre. Le regard et la parole de l’autre, le geste qu’il fait ou l’écoute qu’il m’accorde vont vérifier peu à peu la parole reçue : non, ce message que j’ai accueilli n’est ni une illusion, ni une folie, ni un rêve !

Voilà pourquoi je ne peux pas croire en Dieu tout seul ! Voilà pourquoi je ne peux pas être chrétien tout seul ! Voilà pourquoi je ne peux pas suivre le Christ tout seul ! Je ne peux croire en Dieu qu’en partageant cette foi dans l’Église. Je ne peux suivre le Christ qu’avec le soutien de l’Église. Je ne peux être chrétien que dans la communion de l’Église.

Les trois jours que vous venez de vivre ont été un moment privilégié pour vous aider à prendre conscience que vous devenez chrétien en devenant le frère ou la sœur de ceux qui sont déjà chrétiens. Vous êtes vraiment disciple du Christ quand vous acceptez que votre chemin à sa suite soit connu et partagé avec les autres, porté par la prière de l’Église. On ne peut être chrétien et communier au Christ sans cette communion avec nos frères.

C’est pourquoi, le geste par lequel le Christ se donne en communion et devient notre nourriture, le moment dans lequel il nous partage sa Parole et son pain, ne peuvent être vécus en solitaire, mais trouvent toute leur force dans le corps de l’Église. La part présente du corps de l’Église peut être réduite, nous ne sommes pas toujours dix mille comme aujourd’hui. Mais que ce soit une messe dans une église de votre quartier, ou dans la chapelle de votre aumônerie, vous ne pouvez jamais trouver le Christ tout seul ou vous l’approprier pour vous seul. Vouloir accueillir le Christ et vouloir l’aimer suppose d’accueillir et d’aimer nos frères. On ne peut pas aller à la rencontre du Christ sans aller à la rencontre de ceux et celles qu’il nous donne.

Nous comprenons mieux pourquoi la vie de toute notre Église est tellement importante pour chacun et chacune d’entre nous. Car si notre Église ne vit pas, si elle n’est pas capable de se rassembler comme un Corps, si elle ne sait pas développer entre ses membres des relations fraternelles qui vérifient l’authenticité de notre foi, alors nous ne pouvons plus être chrétiens ! Être croyant, aimer la spiritualité, rêver à la réincarnation, se distraire avec quelques livres un peu bizarres, n’est pas être chrétien. C’est être fasciné par ses rêves et ses songes, alors qu’être chrétien, c’est une réalité, c’est ouvrir sa porte et accueillir son frère, c’est changer quelque chose dans notre manière de vivre. C’est quitter l’ignorance, la peur, la haine et la violence vis-à-vis des autres, pour entrer dans un chemin de paix.

Vous qui êtes ici aujourd’hui, vous avez fait cette expérience de façon rare, grâce à ceux et celles qui vous entourent et vous accompagnent. Ceux d’entre vous qui l’ont souhaité ont reçu le pardon de Dieu à travers le ministère des prêtres qui vous ont accueillis. Vous avez vu le signe de l’amour dans le lavement des pieds vécu ensemble. Vous avez entendu des témoins vous dire comment la foi chrétienne a changé leur vie. Vous êtes donc devenus davantage responsables de cette Parole, responsables de ce Corps du Christ qu’est l’Église, responsables de faire grandir l’amour entre les disciples du Christ.
Je crois que chacune et chacun d’entre vous repartirez avec une question, une phrase ou une lumière. En tous cas, chacune et chacun d’entre vous peut aujourd’hui poser cette question à Dieu (pas à lui-même) : « Seigneur, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que veux-tu que je fasse de ma vie ? Comment vais-je construire cette relation fraternelle avec ceux qui m’entourent ? Comment vais-je contribuer à la vie de cette Église ? Comment vais-je être un soutien pour ceux qui veulent vivre de façon plus humaine ? Comment vais-je pouvoir aider mes frères ? » Portez cette question et attendez que le Seigneur vous réponde. Laissez-lui le temps de réfléchir si lui aussi s’interroge et se demande ce qu’il va pouvoir faire avec vous ! Mais je sais qu’il a trouvé la réponse et vous la fera connaitre peu à peu.

Je ne sais pas comment il le fera dans chacune de vos vies. Mais je sais qu’il appellera certains parmi vous à devenir les prêtres de son Église. Je sais qu’il appellera certains parmi vous à donner toute leur vie pour l’Évangile. Je sais qu’il appellera certains parmi vous à se mettre au service des autres à travers leur métier, ou à devenir des parents aimants pour leurs enfants. Chacun et chacune a son chemin. Chacun et chacune est invité à découvrir comment le Seigneur veut le conduire.

Alors pendant quelques instants de silence je vous propose de porter cette question : « Seigneur, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? »

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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