Homélie du cardinal André Vingt-Trois - 25e anniversaire de sa consécration épiscopale

Cathédrale Notre-Dame de Paris, dimanche 13 octobre 2013

Messe d’action de grâce du cardinal André Vingt-Trois et de Mgr Georges Soubrier à l’occasion du 25e anniversaire de leur consécration épiscopale, en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Solennité de saint Denis.

 Accéder au compte-rendu du 25e anniversaire de la consécration épiscopale du Cardinal Vingt-Trois et de Mgr Soubrier.

Homélie du cardinal André Vingt-Trois
Isaïe 52, 7-10 ; Ps. 95 ; I Th. 2, 2b-8 ; Jn 10, 11-15.

Mgr le Nonce apostolique,
Chers Frères évêques,
Chers Frères prêtres et diacres,
Frères et Sœurs,

Vous pouvez sans peine imaginer mon embarras à évoquer devant vous vingt-cinq ans d’épiscopat à la lumière des lectures que nous venons d’entendre. Elles sont proposées à notre méditation pour faire mémoire du fondateur de notre Église, saint Denis et ses compagnons et nous donnent une sorte de matrice scripturaire pour illustrer son martyre et son ministère apostolique. Elles nous donnent en même temps le profil d’un bon pasteur auquel Dieu a confié le soin de guider son peuple. Bien sûr, nous n’avons pas trop de difficultés à appliquer cette modélisation à l’histoire et à la personnalité de saint Denis. Nous avons d’autant moins de mal à le faire que nos informations sur lui sont pour le moins lacunaires. Mais l’exercice devient plus hasardeux et confondant quand nous l’appliquons à des pasteurs bien concrets que nous connaissons. Il devient même franchement redoutable quand celui qui doit le faire voit ces lumières de l’Écriture s’appliquer à sa propre vie. Comment ne serais-je pas obligé de mesurer combien je suis demeuré en-deçà du modèle du serviteur et du pasteur ? Au moins la festivité du jubilé me fournit une occasion incontournable de laisser la Parole de Dieu éclairer les ombres et les lumières de ce quart de siècle.

Je n’ai malheureusement pas besoin de me livrer avec vous à une introspection détaillée. Tous, à un moment ou à un autre, vous avez pu faire l’expérience de mes limites, de mes lenteurs ou de mes erreurs. Si je les évoque ici, c’est parce qu’elles font aussi partie de mon action de grâce à laquelle vous avez bien voulu vous associer. Sans doute, le plus extraordinaire de ce que j’ai vécu avec vous est-il que Dieu ait mené son œuvre à bien malgré mes insuffisances. Si bien que je peux moi aussi me glorifier avec Paul, non pas de mes titres et de mes succès, mais plutôt de mes faiblesses : « Je mettrai mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ…Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Cor. 12, 9-10). C’est mon premier motif d’action de grâce : Dieu a fait une force même de ce qui aurait pu être une source de faiblesse pour son Église.

Je voudrais que cet anniversaire célébré ensemble soit une occasion de faire mémoire de tous les dons que j’ai reçus du Seigneur pendant ces vingt-cinq ans. Je ne les ai pas reçus pour ma satisfaction personnelle, mais comme des dons qui m’étaient faits pour ma vie et la fécondité de son Église. Vous me pardonnerez si ce petit tour d’horizon est un peu hétéroclite. Avant tout, je veux rendre grâces pour l’expérience que j’ai faite de la vitalité de l’Église. Les visites pastorales que j’ai eu la joie de mener comme Vicaire Général du cardinal Lustiger pendant plus de quinze ans à Paris m’ont permis d’être un témoin émerveillé de la dynamique spirituelle du peuple chrétien, comme aussi plus tard la découverte du diocèse de Tours en visitant ses villes et ses villages et en rencontrant l’expression de la fidélité du peuple chrétien. Dans ces années autour de l’an 2000, les deux diocèses que je connaissais ont mené chacun selon son histoire et son génie propres un cheminement persévérant pour développer la mission de l’Église à travers l’implication de chaque baptisé et des communautés eucharistiques. « Paris-Toussaint 2004 » a donné une visibilité urbaine à cette mission de l’Église. À Tours, « Avance au large » a été l’occasion d’une large mobilisation sur l’ensemble du département. En entrant dans la troisième et ultime étape de mon épiscopat comme archevêque de Paris, j’ai dû apprendre à perdre cette proximité habituelle avec chaque paroisse. Je me réjouis que les Vicaires Généraux puissent vivre cette expérience. Et je suis d’autant plus reconnaissant aux paroisses françaises, orientales ou étrangères de m’accueillir chaque dimanche pour la célébration du Jour du Seigneur.

Ce dynamisme ecclésial n’a été possible que par la qualité humaine et spirituelle du tissu ecclésial du diocèse de Paris. J’ai été témoin de cette qualité à travers l’histoire apostolique des diocèses dans lesquels j’ai pu m’inscrire avec bonheur. Comment ne pas évoquer ici les créations du cardinal Lustiger qui marquent encore tellement le diocèse de Paris ? J’ai aussi été témoin de cette vitalité à travers les collaborateurs et les collaboratrices qu’il m’a été donné de recevoir. Que ce soit à Paris ou à Tours, j’ai toujours bénéficié d’un soutien loyal et efficace de la part des responsables diocésains, prêtres, diacres ou laïcs. J’ai eu la grâce particulière, et je l’ai encore, de recevoir de mes prédécesseurs des équipes solides et compétentes et de pouvoir les remplacer avec bonheur. Si vous avez quelque reconnaissance pour mon ministère, n’oubliez jamais d’y associer celles et ceux qui sont mes conseillers et collaborateurs fidèles. Sans eux je serais démuni et inopérant. Sans eux et sans la volonté de communion des évêques de France et le personnel de la Conférence des évêques, je n’aurais sans doute pas pu remplir mon service de Président de cette conférence ni répondre aux charges romaines que me vaut ma qualité de cardinal.

En évoquant cette richesse de notre Église, je n’aurais garde d’oublier ceux que j’appellerais les « ouvriers inconnus. » Les ouvriers inconnus, ce sont cette multitude de chrétiens prêtres, diacres, religieux, religieuses et laïcs dont l’activité quotidienne et discrète fait la vie de nos communautés. Ce sont ces personnes qui me saluent discrètement au sortir d’une messe et m’assurent de leur prière. Ce sont les contemplatifs qui portent la vie du corps devant Dieu. Ce sont les pauvres qui se tournent vers nous et qui nous rappellent avec constance notre vocation première. Ce sont ceux, malades ou handicapés, qui complètent dans leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ. Ce sont les jeunes chrétiens qui sont plus réels et vivants qu’on ne le dit généralement et qui sont dès aujourd’hui les acteurs de l’avenir de notre Église.

À un regard sociologique ou superficiel, cette extrême diversité des chrétiens parisiens et de leurs communautés rend très improbable leur intégration dans un même corps. Et moi, j’ai reçu la mission de faire de ce patchwork une communion, d’assurer que chacun est reconnu pour ce qu’il est, avec ses réalisations, ses erreurs et ses péchés, et d’unir les membres du corps sous un seul chef le Christ. Cette mission de communion, je l’assure sacramentellement et symboliquement dans les célébrations diocésaines, comme celle que nous vivons ce soir. Je l’assure aussi par ma présence physique dans tous les secteurs de Paris. Je l’assure enfin par la communion fraternelle qui m’unit à mes vicaires généraux dans leur diversité. Je l’assure enfin par le presbyterium exceptionnel qui veille avec moi au lien de la charité.

Depuis huit ans, j’ai eu la joie de présider à la croissance de l’Église qui est à Paris, de poursuivre son engagement dans la mission que le Christ confie à son Église, de le raviver et de le stimuler. La réactivité de nos communautés et leur implication dans les programmes que j’ai proposés comme cadre de cette action m’ont souvent émerveillé. Par-delà les divergences bien légitimes et les caractéristiques propres à chaque paroisse, je crois que nous sommes vraiment unis dans le désir de porter ensemble la mission pour notre agglomération si belle dans sa diversité. Je crois que nous partageons tous le désir d’annoncer Jésus-Christ et la Bonne Nouvelle du Salut.

Si je m’efforce de suivre le chemin du seul « Pasteur de nos âmes » et de donner chaque jour ma vie pour le troupeau qui m’est confié, jamais cette offrande ne m’apparaît comme une servitude décourageante. Elle est plutôt une consolation quotidienne, puisque en faisant modestement mon travail de chaque jour, j’ai la certitude d’être uni au Christ et de pouvoir me laisser conduire par lui pour progresser derrière lui, pour devenir un véritable apôtre selon le modèle que nous en donnait saint Paul dans l’épître que nous avons entendue. C’est pourquoi en terminant, je sollicite encore votre prière pour vivre mieux ce qu’il nous disait à l’instant :

« Comme vous le savez, nous avons trouvé en notre Dieu l’assurance qu’il fallait pour vous prêcher son Évangile à travers bien des luttes. C’est que notre prédication ne repose pas sur l’erreur, elle ne s’inspire pas de motifs impurs, elle n’a pas recours à la ruse. Mais Dieu nous ayant éprouvés pour nous confier l’Évangile, nous prêchons en conséquence : nous ne cherchons pas à plaire aux hommes, mais à Dieu qui éprouve nos cœurs. C’est ainsi que jamais nous n’avons eu de paroles flatteuses, vous le savez, jamais d’arrière-pensée de profit, Dieu en est témoin, et jamais nous n’avons recherché d’honneurs auprès des hommes, ni chez vous ni chez d’autres, alors que nous aurions pu nous imposer, en qualité d’apôtres du Christ. Au contraire, nous avons été au milieu de vous plein de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Nous avions pour vous une telle affection que nous étions prêts à vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais même notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers. » (I Th. 2, 2b-8).

Que par votre prière, Dieu veuille bien accomplir encore ce miracle.

AMEN !

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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