Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe des étudiants de Paris et d’Île-de-France

Mardi 19 novembre 2013 - Notre-Dame de Paris

Les figures d’Eléazar et de Zachée nous font apparaître un chemin de foi. En Zachée, nous voyons une figure de conversion et de communion avec le Christ. En Eléazar nous découvrons une figure de fidélité à la loi de Dieu. Nous sommes invités à mettre en œuvre nos choix de vie dans cette dynamique.

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 2 M 6, 18-31 ; Ps 3, 2-3, 4-5, 6-7 ; Lc 19, 1-10

Frères et Sœurs,

Les lectures que nous venons d’entendre nous ont mis en présence de deux figures : la figure du vieil Éléazar et la figure de Zachée. Et l’une et l’autre figure nous aident à comprendre quel est le véritable chemin de la foi. Aussi je vous propose de méditer quelques instants sur ces deux figures, en commençant par celle de Zachée puisque d’une certaine façon, chacune et chacun d’entre nous, à un ou plusieurs moments de sa vie se trouve dans la situation de Zachée. Désireux de mieux connaître le Christ, désireux tout simplement de le découvrir, de connaître directement quelque chose de Lui après en avoir tant entendu parler, il nous arrive de chercher, fébrilement ou paisiblement selon nos tempéraments, comment le voir et d’échafauder toutes sortes de manœuvres pour compenser ce que Zachée vivait dans sa petite taille et que nous vivons à notre manière par les faiblesses qui nous habitent. Quel sycomore avons-nous trouvé sur notre route dans lequel nous aurions voulu monter pour voir le Christ de nos propres yeux ?

Nous ne sourions pas de cette curiosité naïve de Zachée, nous ne sourions pas de l’espérance confuse qui l’anime, alors que chacun sait que, pris par les délices de sa fonction, il pioche allègrement dans les recouvrements publics pour arrondir sa fortune personnelle. Nous ne sourions pas qu’il puisse avoir quelques inquiétudes personnelles, mais nous découvrons que son sycomore, si haut qu’il lui ait permis de monter, n’est pas ce qui va lui faire rencontrer le Christ. C’est Jésus qui prend l’initiative. Jésus ne méprise pas les désirs et les démarches de Zachée, mais l’évangéliste veut nous faire comprendre qu’il y a un écart considérable entre nos exercices pour nous rapprocher du Christ et ce coup de laser direct : « Zachée, aujourd’hui il me faut demeurer chez toi » (Lc 19, 5). Comment voulez-vous que Zachée ait pu imaginer un instant, non seulement que le Christ demeure chez lui mais même qu’il lui adresse simplement la parole ? Son sycomore n’allait pas si loin ! Tout au plus espérait-il avoir un coup d’œil sur le spectacle. Et voilà que le regard du Christ tombe sur lui, que la parole du Christ s’adresse à lui et que le Christ s’invite chez lui.

Ne méprisons pas nos petits exercices pour nous rapprocher de Jésus. N’ayons pas honte de nous entraîner comme nous pouvons pour vivre davantage de sa parole, mais ne soyons pas dupes de nous-mêmes. Ce qui va convertir notre vie, ce ne sont pas nos exercices, c’est le Christ lui-même qui va venir chez nous, qui va s’inviter à notre table et qui va bouleverser notre vie comme il a bouleversé celle de Zachée, au point de dire : maintenant, je vais rendre ce que j’ai volé (Lc 19, 8).

Voilà une figure de conversion, un chemin de conversion, un chemin de communion avec le Christ. Jésus vient à nous, Jésus vient pour chacun d’entre nous, il nous touche chacun là où nous sommes, chacun là où nous en sommes, tels que nous sommes, il touche notre cœur : « aujourd’hui il me faut demeurer chez toi » (Lc 19, 5).

Et si nous avons la chance, la grâce d’avoir perçu cet appel, d’y avoir répondu, nous entrons dans la logique de la figure d’Éléazar, qui est la logique de la fidélité. Éléazar a reçu, comme tout son peuple, la Parole de vie, il a reçu le code de l’alliance, il a reçu l’accomplissement de la promesse faite à Abraham. Et voilà que les circonstances politiques qui ont amené la défaite d’Israël, l’invasion du territoire et l’occupation étrangère, le plongent dans une situation où il faut choisir : ou bien pactiser, devenir un collaborateur culturel, en tout cas, accepter les mœurs païennes, faire comme tout le monde, ce que ses amis lui conseillent par prudence parce qu’ils s’imaginent que s’il échappe à la singularité, il pourra préserver sa vie, -nous savons que cela ne marche jamais-, se fondre dans le décor, se déguiser en païen lui qui est juif, se refaire une beauté païenne pour qu’on ne le remarque pas, ou bien rester fidèle à ce qu’il a reçu de ses pères et qu’il essaye de transmettre autour de lui : la Loi du Seigneur est plus importante que sa réputation et que sa vie.

Bien sûr, nous vivons dans des temps civilisés, en tout cas chez nous, car il est des pays aujourd’hui, à travers le monde, où se déclarer chrétiens, c’est prendre le risque de perdre la vie. Chez nous, nous n’en sommes pas là, nous avons arrondi cela de façon à ce que tout le monde puisse vivre ensemble… Mais avons-nous aussi noyé la parole de Dieu ? Avons-nous aussi occulté l’appel à la sainteté ? Avons-nous aussi accepté que les mœurs deviennent la règle de vie ? Sommes-nous devenus comme tout le monde ? Cette question ne se pose pas simplement dans le moment présent, elle se pose tout au long de notre vie : comment annoncer l’Évangile ? Comment rendre témoignage à l’Évangile ? Comment vivre selon l’Évangile ?

La plupart d’entre vous, vous êtes au début de votre existence adulte, -en espérant que vous y entrerez avant plusieurs dizaines d’années-, vous êtes au moment où beaucoup de possibles sont ouverts devant vous, où les opportunités prennent corps mais déjà il faut choisir entre certaines d’entre elles, car vous ne pourrez pas tout faire. Et il faudra choisir ce qui sera le plus important pour vous, ce qui sera le chemin où vous répondrez à la visite du Christ : aujourd’hui je vais rendre ce que j’ai volé, aujourd’hui je veux vivre selon ta parole. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois

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