Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour le 150e anniversaire de ND de Clignancourt – 1er dimanche de l’Avent – Année A

Dimanche 1er décembre 2013 - Notre-Dame de Clignancourt (Paris XVIIIe)

Le temps de l’Avent est destiné à nous préparer à la venue du Christ en sortant de la routine de nos activités ordinaires. Comment ne pas laisser passer l’événement ? Par exemple, en restant attentifs à ceux qui nous entourent et en méditant la Parole de Dieu.

Ouverture

C’est une joie pour moi de participer à votre jubilé, de faire mémoire de ces générations qui nous ont précédées et de qui nous avons reçu l’évangile du Christ, la Bonne nouvelle, ceux et celles qui nous ont appris où était le Christ, ceux et celles qui nous ont appris nos prières pour nous adresser à Lui, ceux et celles qui ont été les témoins de l’amour de Dieu dans notre vie.

Homélie

 Is 2, 1-5 ; Ps 121, 1-9 ; Rm 13, 11-14a ; Mt 24, 37-44

Frères et Sœurs,

« C’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil » (Rm 13, 11). Cette apostrophe de l’apôtre Paul aux Romains nous aide à entrer dans ce temps de l’Avent par lequel chaque année, nous nous préparons à célébrer la venue du Christ. Quatre dimanches nous séparent de cette venue, et comme vous le voyez sur la couronne élevée devant nous, nous en sommes au premier dimanche. La première bougie a été allumée, il en reste trois, « c’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil ». Le temps de l’Avent c’est un temps pour nous réveiller, un temps pour secouer un peu ce qui est congelé dans notre cœur ou dans notre esprit, ce qui est assoupi, ce qui est oublié, enfoui, et pour nous remettre sérieusement devant la Parole du Seigneur.

Au temps de Noé, comme à d’autres temps aussi, on mangeait, on buvait, on se mariait, c’est à dire on vivait, on était occupé par toutes les dimensions de l’existence, mais on ne s’attendait pas à ce qu’il se passe quelque chose d’original. Bizarrement, beaucoup de gens se donnent du mal pour essayer de nous faire croire qu’il se passe quelque chose de nouveau dans notre vie. Beaucoup d’agitation apparaît sur nos écrans de télévision pour nous donner l’impression qu’aujourd’hui n’est pas comme hier, et que demain ne sera pas comme aujourd’hui. Mais au fond, ce qui marque chacune de nos vies, c’est plutôt la répétition, la monotonie. En fait, à chaque jour succède un jour qui lui est semblable. Il paraît même que beaucoup de nos concitoyens souhaiteraient que le seul jour qui n’est pas comme les autres, le dimanche, devienne comme les autres ! Comme cela, il n’y aura plus de souci à se faire, tous les jours seront pareils et on est sûr qu’il ne se passera rien ! On se laisse ainsi petit à petit enfumer par ce sentiment de répétition perpétuelle. Certes, de temps en temps, il y a quelque chose d’un peu nouveau. Quand un enfant passe de la petite école au collège, c’est un événement, quand il passe du collège au lycée c’est un événement, mais enfin un événement tous les quatre ans, cela laisse de la marge ! En attendant, aller à l’école, aller au travail, faire ses courses, s’occuper de sa maison, c’est tous les jours faire la même chose…

Alors, peut-il arriver quelque chose de nouveau ? Peut-il arriver un événement qui va faire bouger les choses ? Dans un regard de foi, l’événement qui va faire bouger les choses, c’est la venue du Christ, Jésus le Fils de Dieu. Mais vous savez comment il est venu, à Bethléem, là où on ne l’attendait pas, là où personne n’était prêt à l’accueillir, là où on ne s’est aperçu de rien, sauf une poignée de bergers qui ont été alertés par les anges. L’événement est passé inaperçu. Et la venue du Christ à Bethléem annonce sa venue à la fin des temps de façon aussi inaperçue que sa naissance à Bethléem. Ce sera un événement imprévisible, on ne sait pas quand, on ne sait pas où et on ne sait pas comment. Ce sera comme le déluge, cela arrivera sans qu’on ait le temps de le voir venir. On dira, le déluge, c’est une histoire de l’antiquité ! Mais enfin, un tsunami au Japon, ce n’est pas une histoire de l’antiquité, c’est une histoire de notre époque ! L’ouragan qui dévaste les Philippines, ce n’est pas de l’antiquité, c’est aujourd’hui ! Cela veut dire qu’il peut arriver des choses auxquelles on ne s’attend pas.

Va-t-on laisser passer l’événement ? Va-t-on laisser passer la venue du Christ sans réagir ? Et même nous qui allons célébrer la nativité de Jésus, nous disposons de tout ce qu’il faut pour neutraliser l’événement ! On connaît la date, donc on ne sera pas surpris, on sait ce qu’il faut faire, et on le sait tellement bien que l’on a déjà commencé à la faire. La publicité est ouverte, on va pouvoir acheter et meubler le vide. Mais à la date fixée, est-ce bien Jésus que nous allons accueillir ou le Père Noël ? A la date fixée, est-ce bien le Fils de Dieu qui va venir dans notre vie ou le fils des grandes surfaces ? Ce n’est pas si sûr...

Alors ce que l’Évangile veut nous dire pour ce temps de l’Avent, c’est qu’il faut nous tenir en éveil : « c’est le moment, l’heure est venue de sortir de notre sommeil ». C’est le moment d’être attentifs, d’ouvrir les yeux sur les événements, de ne pas nous laisser complètement anesthésier par les informations, mais de détecter ce qui est révélateur de quelque chose qui compte pour les hommes. C’est le moment d’ouvrir nos oreilles pour entendre, non pas la rumeur de la ville, non pas le bruit des spectacles, mais la parole de ceux qui nous entourent, la parole proche, parfois discrète, parfois à peine perceptible, mais pourtant chargée de messages qui nous sont destinés, d’appels au secours, d’invitations à nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie, à partager la peine de ceux qui sont dans la tristesse. Il faut sortir de notre sommeil, et sortir de notre sommeil, c’est espérer que la venue du Christ ne sera pas simplement quelque chose qui passera sans que l’on s’en aperçoive, quelque chose qui sera englouti par la monotonie des jours, quelque chose qui sera couvert par le bruit du commerce ou de la fête, quelque chose qui va toucher chacune et chacun d’entre nous au cœur.

Alors comment se met-on en éveil ? Comment sort-on du sommeil ? Nous allons prendre simplement deux ou trois points de repère pour nous aider à sortir de notre sommeil. Chaque jour, au moment où l’on peut, se tourner vers Dieu et lui dire : j’attends la venue du Christ, ô viens Seigneur Jésus. Chaque jour reprendre une phrase que l’on a entendue dans les lectures de la messe, par exemple : « l’heure est venue de sortir de votre sommeil », la garder dans son cœur, la répéter, jour après jour, ou bien encore cet appel du Christ : « veiller donc, car vous ne connaissez pas le jour où le Seigneur viendra » (Mt 24, 42). Et chaque jour faire un pas vers nos frères. Vers qui vais-je aller aujourd’hui, simplement pour lui dire bonjour, ou peut-être plus si besoin est ? Vers qui vais-je aller pour sortir de l’isolement dans lequel je suis et pour aider mon prochain à sortir de son isolement ?

Si nous essayons de mettre en pratique ces choses très simples, qui ne demandent ni beaucoup de temps, ni beaucoup d’efforts, mais qui sont des signes de fidélité, alors nous serons en état de veille et nous pourrons accueillir le Seigneur quand il viendra, même, et surtout, si c’est « à l’heure où nous n’y pensons pas » (Mt 24, 44). Il vient à tout moment dans notre vie, sans prévenir.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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