Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe pour le 79e pèlerinage des 18-30 ans à Chartres

Dimanche 23 mars 2014 - Cathédrale Notre-Dame de Chartres

Le chemin des hommes est un chemin d’épreuves à l’exemple du chemin d’Israël dans le désert. Ce chemin d’épreuve pour la foi, c’est l’amour de Dieu qui nous permet de le parcourir. En avançant nous sommes invités par le Christ à devenir des semeurs d’espérance pour le bonheur des hommes.

 Ex 17, 3-7 ; Ps 94 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
 3e dimanche de Carême – Année A

Frères et Sœurs, chers amis,

Nous l’avons chanté tout à l’heure : « aujourd’hui ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur ». Aujourd’hui, parce que vous avez décidé de quitter quelque temps vos activités habituelles, votre manière de vivre habituelle, votre confort habituel, pour vous jeter, non pas au milieu du désert, mais enfin sur une route un peu aride quand même, aujourd’hui, votre cœur peut s’ouvrir et accueillir la voix du Seigneur. Écoutez ce qu’il vous dit, écoutez ce qu’il vous a dit au long de votre chemin vers Chartres, écoutez ce qu’il vous dit maintenant dans cette liturgie, écoutez sa parole qui murmure à votre cœur le mot, la phrase qui sont destinés à chacun et à chacune d’entre vous.

Le chemin des hommes est un chemin d’épreuves. Le chemin d’Israël à travers le désert était un chemin d’épreuves, pas seulement parce que les Hébreux avaient soif et qu’ils manquaient de nourriture et de boisson, mais c’était un chemin d’épreuve pour la foi. Dieu les avait-il entraînés sur ce chemin pour les faire mourir ? Si c’était le cas, ils auraient préféré mourir dans le confort de l’Égypte, où certes ils n’étaient pas libres mais où ils avaient à manger et à boire. À travers l’histoire de la transhumance d’Israël depuis l’Égypte vers la Terre promise, nous sommes invités à voir quelque chose qui concerne l’humanité tout entière et chacun et chacune d’entre nous, dans notre vie. Pourquoi Dieu nous a-t-il mis en route ? Si nous croyons que Dieu est à l’origine de tout, pourquoi a-t-il voulu que l’homme vive si c’était pour vivre dans cette série d’épreuves qui est le tissu ordinaire de la vie de tout le monde ? Pourquoi a-t-il voulu que moi, je vive, que toi, tu vives ? T’a-t-il mis sur la terre, t’a-t-il mis dans le monde pour que tu meures ? Ou bien t’a-t-il mis dans le monde pour que tu vives ? Et si tu crois que Dieu veut que tu vives, comment peux-tu le croire ? Sur quoi ta foi se fonde-t-elle ? Sur quoi ton espérance s’est-elle appuyée pour que saint Paul nous dise que l’espérance ne trompe pas ? N’avons-nous pas été trompés ? Ne nous trompons-nous pas nous-mêmes ? Ne nous trompons-nous pas les uns les autres ? Quand une femme met au monde un enfant, elle souffre et elle est dans la joie, et les gens autour d’elle partagent cette joie. Tout cela est-il bien sincère ? Sont-ils convaincus tous ces gens que c’est une bonne chose que cet enfant soit venu au monde ? Sont-ils convaincus qu’il faut se réjouir ou bien se disent-ils en eux-mêmes aujourd’hui nous nous réjouissons mais qu’est-ce que sera sa vie d’épreuves ? Que va-t-il rencontrer au long de son chemin ? Qu’est-ce qui fait que nous ne nous trompons pas et que nous ne trompons pas les autres ? La seule garantie que nous avons, c’est précisément ce que Dieu a fait dans l’histoire : il n’a pas laissé mourir son peuple dans le désert, mais il a donné à Moïse la possibilité de faire sortir de l’eau du rocher, comme il donnera un peu plus tard la possibilité de faire tomber la manne pour nourrir son peuple. La certitude que nous avons, c’est que l’amour de Dieu pour les hommes a été telle, comme nous le dit saint Paul, « qu’il a donné sa vie pour nous », pour nous tous, pour tous les hommes, alors que nous n’étions capables de rien. Le Christ est mort pour nos péchés. La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. Voilà la garantie de notre espérance, voilà le fondement de notre foi. C’est cet événement qui s’est déroulé au cours de l’histoire et que nous célébrons, dont nous ferons mémoire au moment de Pâques, en suivant pas à pas le Christ pendant les offices de la semaine sainte, le vendredi saint, la vigile pascale. Dieu a aimé le monde au point de donner son fils, et c’est la plus grande preuve d’amour qu’il pouvait nous donner. Alors avec la Samaritaine, nous entrons en discussion avec Jésus, ou avec ses disciples : « Si tu as de l’eau pour apaiser la soif des hommes, donne-la nous » ; si tu as la nourriture pour faire vivre le monde, donne-la nous, ne nous laisse pas dans le doute, dans l’incertitude, ne laisse pas s’étendre la famine sur la terre, ne laisse pas s’étendre la pénurie de l’eau, suscite au cœur des hommes la volonté et le moyen de combattre pour nourrir leurs frères et pour leur fournir de l’eau. Mais ne fermez pas votre cœur, écoutez la voix du Seigneur ! Il nous dit : l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Il nous dit : « tout homme qui boit de cet eau aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif » (Jn 4, 13-14). Cette eau vive, source jaillissante pour la vie éternelle, c’est sa vie, sa vie qu’il donne pour que nous vivions. La nourriture qu’il nous donne pour que nous vivions, c’est de faire la volonté du Père : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34). Alors si nous souhaitons vraiment accueillir cette parole de Dieu, si nous souhaitons que sa parole éclaire notre vie comme la parole du Christ éclaire la vie de la Samaritaine, « il m’a dit tout ce que j’ai fait » (Jn 4, 29), si nous souhaitons que cette parole soit une lumière non seulement aujourd’hui, mais dans les jours, les semaines, les années qui viennent, si nous souhaitons nous aussi que nos yeux s’ouvrent, que nos esprits comprennent, que nos cœurs décident, il nous faut nous aussi entendre par nous-mêmes, comme les gens du village le disent à la Samaritaine : « nous avons entendu par nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde » (Jn 4, 42).

Beaucoup de gens aujourd’hui se posent des questions sur l’avenir, non seulement dans nos pays privilégiés, où se posent des questions qui relèvent plutôt du confort et du luxe, mais aussi dans les pays de la misère, à travers le monde. Pour ces pays, les questions de l’avenir sont des questions de vie et de mort, pas des questions d’indice de retraite… Auront-ils à manger ? Auront-ils à boire ? Cependant, même si nous échappons à la pensée correcte de l’avenir radieux des retraités choyés, nous pouvons nous aussi nous poser des questions pour l’avenir. Que sera notre vie ? Que sera l’amour dans notre vie ? Et ces questions sont bonnes, elles sont saines, elles nous invitent à nous tourner vers le Christ, à ne pas fermer notre cœur et à écouter sa voix. Aujourd’hui la moisson commence, elle est prête. Tous les jours la moisson est prête, le Christ nous appelle pour participer à la moisson. Il nous appelle pour être semeurs pour les autres, pour l’avenir, pour le bonheur des hommes.

Que le Seigneur donne à chacune et à chacun d’entre nous que cette journée à Notre-Dame de Chartres soit un jour où notre cœur est ouvert pour écouter la voix du Seigneur.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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