Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Veillée de prière pour la vie en la cathédrale Notre-Dame en présence des évêques des huit diocèses de la région Île-de-France

Lundi 5 mai 2014 - Notre-Dame de Paris

A travers la figure du Christ, nous découvrons le véritable prix de toute vie humaine. C’est d’abord un don de Dieu que nous recevons, et non une réalité dont la valeur se mesurerait en terme qualitatif. Nous sommes appelés à nous mettre au service de cette vie.

 Jn 14, 1-12

Frères et sœurs,

Il y a une réalité de notre existence qui est commune à tous, et que nous croyons bien connaître, cette réalité : c’est la vie. Bien que nous la connaissions et l’expérimentions, nous devons en même temps assumer que la mort soit à l’œuvre en ce monde, non seulement la mort pour les victimes des guerres dont nous avons chaque jour malheureusement des témoignages bouleversants, non seulement la mort à travers les accidents de la nature, non seulement la mort par la maladie ou par l’âge dont nous avons tous l’expérience autour de nous, mais aussi la mort à l’œuvre dans l’esprit de l’homme quand celui-ci commence à douter de la vie, à désespérer de la vie, ou à évaluer la vie en terme de coût et de profit. Que vaut une vie ? Que vaut une vie dans nos pays hyper sensibilisés à toutes sortes d’accidents, hypnotisés par le souci de la sécurité personnelle, mais où l’on masque en même temps les attentats contre la sécurité personnelle. Que vaut une vie dans des pays où plusieurs centaines ou plusieurs milliers de morts passent presque inaperçus ? Faut-il que nous fixions le prix de la vie ? Et ajoutons encore une question : que vaut la vie de l’homme qui n’est pas simplement la vie en général, la vie qui se répand à travers l’univers du monde végétal au monde animal ? Tant de gens aujourd’hui voudraient nous faire croire que l’homme n’est qu’une espèce parmi les autres, qui ne mérite ni plus ni moins de respect qu’une plante ou qu’une bête ! Que vaut la vie de l’homme et pourquoi lui accorder un tel prix ?

Jésus nous dit dans son évangile : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). A partir de ces trois mots si simples, nous découvrons la valeur de la vie humaine non pas par nos calculs, nos sentiments ou nos désirs de réussite, mais à travers la figure de Jésus, lui qui n’a pas hésité à livrer sa vie pour que le monde vive. Si nous accordons une valeur particulière et incomparable à la vie humaine, à la vie de tout homme de sa conception à sa fin naturelle, ce n’est ni par fétichisme, ni à travers une sorte de religion païenne de la vie, c’est parce qu’en tout être humain nous sommes invités à reconnaître la figure de Jésus, Fils de Dieu. C’est parce qu’à travers la figure de Jésus nous pouvons mieux comprendre que la vie est un don, un don que nous avons reçu de Dieu d’abord, de nos parents ensuite, du peuple au milieu duquel nous sommes nés, et dont nous recevons la tradition, en même temps que les défauts. Cette vie est un cadeau du ciel.

Aujourd’hui, beaucoup, sans oser le dire, voudraient établir des hiérarchies dans les qualités de vie. L’enfant qui n’est pas né ne serait pas digne d’être humain, alors que pourtant c’est le même être qui repose dans le sein de sa mère, et qui va venir au monde par sa naissance. D’autres dénient aux personnes handicapées qui n’ont pas la plénitude de leurs capacités le droit d’être reconnues comme dignes de l’existence humaine. D’autres encore, épiant les signes de fragilité, d’usure, de maladie incurable, s’imaginent qu’ils peuvent disposer de ces vies humaines qu’ils estiment ne plus être humaines. Notre prière pour la vie n’est pas l’invocation à une déesse du Nouvel âge, c’est une reconnaissance de la présence du Christ à tout être humain, quel que soit son état, quelles que soient ses capacités, quelles que soient ses faiblesses, quels que soient ses handicaps, quelles que soient ses fautes, et même quels que soient ses crimes ! Notre prière pour la vie, c’est une action de grâce pour reconnaître que ce don de Dieu a été fait à l’homme et pas simplement à la nature. En créant l’homme à son image, Dieu lui a confié la responsabilité de l’univers. Nous nous inscrivons en faux contre toutes les idéologies qui font de l’homme l’ennemi du monde. Comme le monde irait bien, comme le monde irait mieux si l’homme ne le perturbait pas, ne le défigurait pas, ne le détruisait pas ! Sournoisement, ce discours moralisateur vise à faire de l’homme l’ennemi de la vie !

Dieu a mis l’homme sur la terre, non pas pour la gâcher, pour la détruire, pour la rendre inhabitable, mais pour la garder, pour en être l’intendant vigilant, pour agir selon son intelligence et ses moyens afin de la sauvegarder. Nous ne pourrons pas développer une nature et une terre harmonieuses au prix de la vie humaine. Nous ne pourrons pas remplacer l’homme par des bêtes, des plantes ou des idées. Bien sûr, l’homme peut faire du mal, nous le savons tous ! Mais c’est parce qu’il peut faire du mal qu’il est capable de se convertir et de faire du bien. L’homme peut être un ennemi pour son frère, l’homme peut être un ennemi pour l’univers, mais l’homme peut aussi découvrir sa responsabilité à l’égard de tous.

Nous n’avons pas besoin d’une révélation supplémentaire comme Philippe la demandait : « montre-nous le Père ; cela nous suffit » (Jn 14, 8). Dieu nous a donné tout ce qui nous était nécessaire dans la personne de son Fils, « qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9) et qui voit le Fils, voit l’image accomplie de l’humanité engagée dans l’histoire. Nous prions pour la vie en demandant à Dieu qu’il nous fortifie afin que nous exercions non pas la police de la vie, mais la responsabilité de la vie. Nous ne sommes pas sur la terre pour chasser des êtres nuisibles, mais pour aider les hommes à devenir ce que Dieu leur a donné d’être, c’est-à-dire maîtriser ce qu’il y a en eux d’irrationnel, ce qui est en eux la folie de la mort, pour se mettre au service de la vie.

Frères et sœurs, prions donc ce soir, pour tous ceux qui sont au service de cette vie. D’abord chacun et chacune d’entre nous, chacun et chacune de nos semblables qui ont reçu, en recevant la vie, la responsabilité du monde. Prions pour ceux et celles qui sont au service de la vie à travers leurs professions de chercheurs, de soignants, d’accompagnants, de personnes qui se font les gardiens de leur frères. Prions pour ceux et celles dont la vie est devenue fragile, ou dont la vie est devenue dangereuse, que la certitude de la présence de Dieu à ce monde les pacifie et les fortifie pour porter avec dignité la responsabilité de manifester que la vie de l’homme est plus que ce que l’homme peut faire, c’est la vie de Dieu répandue dans le monde.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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