Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - Fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ – Année A

Dimanche 22 juin 2014 – Notre-Dame de Paris

Dieu ne veut pas la mort de l’homme, il veut qu’il vive. Il se communique lui-même à nous pour nous faire le don de la vie éternelle à travers l’Eucharistie. Nous sommes invités à redécouvrir le mystère de la vie de Dieu en chaque existence humaine qui lui confère une dignité absolue.

 Dt 8, 2-3.14 ; Ps 147, 12-15.19-20 ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

Frères et Sœurs,

Nous venons d’entendre la parole du Christ au sujet du pain de vie : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement » (Jn 6, 51). Par ces paroles Jésus veut nous faire découvrir que l’existence que nous connaissons, qui est notre expérience directe de la vie, celle que nous avons reçue de nos parents et celle qui s’arrêtera avec notre mort, nous ouvre à une autre expérience de vie. En effet, si Dieu a donné la vie aux hommes, s’il les a appelés à la vie par sa création, ce n’est pas pour les conduire à la mort. Dieu n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Dieu ne veut pas la mort de l’homme, il veut qu’il vive. Mais cette vie qui ne finit pas, cette vie que nous disons éternelle, c’est la vie de Dieu lui-même. Et l’existence que nous recevons, que nous menons et que nous conduisons jusqu’à son terme n’est qu’une sorte d’image par rapport à cette réalité éternelle. Nous, ce que nous connaissons, c’est une vie qui passe ; ce que Dieu nous donne, c’est une vie qui dure. De même que cette vie qui passe subsiste par toutes sortes de moyens que nous pouvons trouver dans la nature pour nous aider à vivre, et dont le pain est le symbole le plus évocateur, de même la vie qui ne passe pas a besoin d’une nourriture et de force pour se développer et produire sa pleine dimension.

Le pain que nous connaissons et que nous mangeons, le vin que nous connaissons et que nous buvons sont des nourritures terrestres qui sont une image de la nourriture que Dieu veut nous donner. La nourriture que Dieu veut nous donner c’est une nourriture qui vient de lui-même, et qui ne se reconnaît pas à son apparence ou à son goût, mais qui se reconnaît par son origine : c’est le pain venu du Ciel, le pain de Dieu. Ce pain de Dieu, le Christ l’annonce après avoir nourri les hommes de nourritures terrestres dont ils avaient besoin. Il s’appuie sur ce signe pour éveiller leur intelligence et leur cœur à une réalité qu’ils ne voient pas. Cette réalité qu’ils ne voient pas, c’est sa chair, sa vie, sa personne qu’il va donner lui-même en nourriture pour que l’humanité puisse vivre.

Ainsi, nous sommes introduits par cette parole du Christ dans le mystère où Dieu nous fait partager sa propre vie, et nous associe de façon sacramentelle à sa présence. Comme le disait le Livre du Deutéronome, « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche de Dieu », c’était pour faire comprendre au peuple éprouvé dans le désert qu’il y a un enjeu plus grave et plus important que sa survie terrestre.

Ce signe de l’Eucharistie donné par le Christ, du pain qui représente sa chair, du vin qui représente sa vie qu’il livre par amour pour les hommes, ce signe pose finalement à notre conscience la question du sens de notre vie. Qu’est-ce qui nous fait vivre ? De quoi avons-nous le plus besoin pour vivre ? Que cherchons-nous en priorité pour vivre ? Bien sûr nous cherchons à assurer notre subsistance, bien sûr nous cherchons à garantir un minimum de sécurité en ce temps, mais l’homme ne vit pas seulement de subsistance et de sécurité. Il y a au cœur de chaque existence humaine, le mystère enfoui de la vie de Dieu lui-même qui échappe à nos moyens et à notre emprise. C’est sans doute l’un des drames de notre culture occidentale, d’avoir perdu le sens de cette immersion de la vie divine dans l’existence humaine. C’est l’un des drames de notre culture de ne voir dans la vie des hommes et des femmes qu’un fonctionnement plus ou moins harmonieux, plus ou moins agréable, plus ou moins fragile, plus ou moins déficient jusqu’au point où nous nous croyons autorisés à décider qu’il ne s’agit plus d’une vie humaine et que l’on peut en disposer en fonction d’autres critères. Dès l’instant que la référence à Dieu ne garantit plus la valeur absolue de chaque personne humaine, quel que soit son âge, quel que soit son état de santé, quelles que soient ses capacités de relation, alors chaque être humain peut se trouver livré à l’arbitraire du jugement de ses semblables. Qui vaut la peine de vivre ? Quelle performance faut-il produire pour mériter son existence ? Vous le savez cette question cruciale travaille les consciences et les libertés. Mais pour nous qui nous réclamons du Christ Ressuscité, qui partageons son Corps et son Sang, qui recevons de lui la nourriture de Dieu, nous sommes invités dans ce trouble à donner un témoignage fort : l’homme ne vit pas seulement de ses soins, de ses relations, de ses capacités de relations, des signes de communication qu’il peut ou ne peut pas donner, il vit de l’existence de Dieu qui repose au cœur de chaque existence humaine.

C’est au nom de cette certitude et de cette conviction que des milliers d’hommes et de femmes à travers le monde se dépensent sans compter pour soulager la souffrance de leurs frères, pour les accompagner dans leurs épreuves, pour les aider à comprendre que malgré les handicaps dont ils souffrent, ils restent à nos yeux des enfants de Dieu dignes de respect, pour les aider à comprendre que leur dignité vient du regard que l’on porte sur eux et non pas du regard qu’eux-mêmes portent sur eux.

Ainsi quand nous communions au Corps du Christ, quand nous partageons la coupe du Salut, nous posons un acte d’espérance dans l’existence humaine et nous annonçons que Dieu garde avec vigilance et amour chacune de ses créatures. Nous parlons avec la confiance qu’il n’abandonne jamais ceux qui sont dans l’épreuve, nous parlons avec l’autorité de ceux qui prennent en charge leurs frères les plus éprouvés, nous parlons avec la force de ceux qui se refusent à résoudre les difficultés en éliminant les personnes. Que Dieu nous donne d’être de vrais témoins du pain de vie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies