Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’ordination de 10 diacres permanents à Notre-Dame de Paris - Mémoire de saint François d’Assise

Samedi 4 octobre 2014 – Notre-Dame de Paris

Une des missions principales des diacres consiste à proclamer la Parole de Dieu, à porter l’Évangile, en particulier aux pauvres. Ce service n’est pas d’abord philanthropique mais un signe d’amour et de communion avec le Christ. Les diacres sont un signe sacramentel de cet aspect de la mission de l’Église en ce monde.

 Voir l’album-photos et la vidéo.

 Ga 6, 14-18 ; Ps 15 ; Mt 11, 25-30

Frères et Sœurs,

Tandis que l’évangile traversait notre assemblée, accompagné par l’ensemble des diacres du diocèse présents à cette célébration, -chacun pouvant faire mémoire de sa propre ordination, en particulier ceux qui célèbrent leur vingt-cinquième et leur dixième anniversaire d’ordination-, nous avions sous les yeux d’une façon très claire, une des missions principales de ceux qui reçoivent l’ordination du diaconat. Ils sont chargés non seulement de proclamer la Parole de Dieu dans l’assemblée, de la commenter si nécessaire, d’accomplir un ministère de catéchèse ici ou là, mais surtout ils sont chargés de porter l’évangile. Porter l’évangile, ce n’est pas simplement le proclamer dans l’assemblée, ou le commenter ou l’enseigner, c’est aussi en être le signe au milieu des hommes, comme cette procession nous a donné le signe de l’évangile vivant porté au cœur de notre Église. Mais l’évangile n’est pas fait seulement pour être annoncé à ceux qui l’ont déjà reçu, il est fait pour être annoncé à ceux qui l’attendent encore. Et donc, devenir porteur de l’évangile, ce n’est pas simplement devenir un serviteur supplémentaire des communautés chrétiennes, c’est devenir un témoin qualifié de l’évangile au milieu du monde.

Ce témoignage à rendre à l’évangile, vous le vivez, depuis longtemps déjà, de par votre baptême et votre confirmation, dans tous les domaines de votre vie, dans votre vie de famille, d’époux, de père, dans votre vie professionnelle, pour ceux qui l’exercent encore, vous le vivez dans votre vie sociale, les relations de voisinage, le monde associatif auquel vous pouvez participer. Comme tous les chrétiens baptisés et confirmés, vous êtes appelés à être des témoins de l’évangile. Mais votre ordination fait de vous un témoin qualifié, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas simplement témoin en son nom, en sa qualité de membre de l’Église, mais témoin envoyé en mission par l’imposition des mains qu’il a reçue et le don de l’Esprit Saint. Vous l’avez sans doute éprouvé dans vos relations familiales, professionnelles, sociales, l’annonce de votre ordination a eu un certain écho : soit la surprise, soit l’étonnement, -non pas que ce soit vous qui soyez ordonné, mais de savoir qu’il y avait des gens qui étaient ordonnés- soit la perplexité, soit la curiosité, soit l’indifférence ! Il y a même certainement parmi nous, dans notre assemblée, des gens qui vous connaissent, et qui sont venus non seulement pour voir ce qui allait se passer, mais aussi pour vous manifester leur sympathie et leur encouragement devant une décision importante. C’est dire que, même si votre vie continuera comme avant, elle ne sera plus tout à fait comme avant… vous avez par votre ordination une mission de témoignage de la bonne nouvelle à apporter au monde.

Ce témoignage n’est pas une responsabilité écrasante. Je ne vais pas vous imposer les mains pour vous rendre la vie plus difficile qu’elle n’est déjà, ou pour mettre sur vos épaules une charge qui excède les forces humaines. Vous avez entendu ce que le Seigneur disait à l’instant dans l’évangile : « mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11, 30), « devenez mes disciples, prenez sur vous mon joug, je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos » (Mt 11, 29). Évidemment, vous n’avez pas l’illusion que par l’imposition des mains et le ministère que vous allez recevoir votre vie sera plus reposante ! Le Christ, en annonçant à ceux qui deviendraient ses disciples qu’ils trouveraient le repos, ne leur promettait pas non plus une vie de vacances… Il leur promettait le véritable repos, c’est-à-dire la paix, la confiance, la sérénité qui naissent de la certitude que l’on fait ce que Dieu attend de nous, c’est-à-dire la joie de voir que si petits ou si modestes que soient nos activités, les gestes de notre ministère, ils suscitent une réponse, ils rencontrent une attente et ils dévoilent le mystère de la miséricorde de Dieu à ceux qui sont pauvres de cœur. C’est cette joie que le Seigneur nous promet et qu’il nous donne. C’est cette joie que saint François a éprouvée avec tant de force tout au long de son existence, cette joie qu’il a essayé de faire partager à ses frères et à ceux qui l’entouraient, cette joie des amis du Christ au long de leur vie.

Votre ministère est d’abord de porter l’évangile, d’éprouver la joie de porter l’évangile. Et parce que l’évangile est d’abord apporté aux pauvres, votre ministère contribue de façon perceptible, sacramentelle, à la mission du service de l’Église dans notre monde, au service des pauvres, des pauvres économiques, mais aussi des pauvres éprouvés dans leur cœur ou dans leur âme, de ceux qui sont saisis par la détresse de vivre, de ceux qui n’ont plus personne à qui s’adresser. Comme le pape François nous y a invités à plusieurs reprises, notre Église doit être soucieuse d’être pour ces pauvres de notre temps, un lieu d’accueil, de réconfort, d’accompagnement et de soutien. Je ne sais pas si, cent ans après la Première guerre mondiale, l’image d’un hôpital de campagne dit encore quelque chose à notre temps. C’est pourtant une image évocatrice si l’on considère que l’état de l’existence humaine en ce monde si tourmenté s’apparente aux dégâts d’une campagne militaire, et que ce monde laisse tant de blessés au long des chemins, blessés visibles ou invisibles, blessures évidentes ou cachées. Notre Église doit se mobiliser toujours à nouveau pour aller au-devant de ces blessés de la vie et leur proposer un lieu de répit, sinon de repos.

C’est ce à quoi est orienté le service de l’Église en ce monde, se rattachant à un mot grec qui donne le nom de votre ministère, la diaconia. La diaconia de l’Église, c’est cette aptitude à servir le monde. Votre ministère vous attache de façon particulière à cet aspect de la mission de l’Église. Mais comme le montre la vie de saint François d’Assise, l’amour et le service des pauvres ne sont pas simplement une amplification d’un sens philanthropique. Il est évident que face à des gens malheureux, on espère trouver des gens au bon cœur pour aller à leur secours. Ce n’est pas seulement cette philanthropie qui est en cause dans votre ministère. C’est un signe que nous devons donner : cet amour et ce service des pauvres sont indissociables de notre amour et de notre communion avec le Christ. Saint François d’Assise a été, par sa vie et par ses propos, un militant de l’imitation du Christ, jusqu’à être gratifié dans sa chair des marques, des plaies du Christ par les stigmates qu’il a portés, donnant ainsi un signe perceptible de cette identification de sa personne à celle du Christ. Servir les pauvres, c’est servir le Christ, et servir le Christ, c’est prendre le chemin qui nous conduit à nous identifier au Christ. On ne peut pas servir les pauvres d’une façon totale, si on ne rejoint pas le don total que le Christ fait de lui-même et qui devient, comme c’est annoncé dans l’évangile, une bonne nouvelle pour les pauvres. C’est la nouvelle que dans ce monde où ils n’ont pas grand-chose à espérer, au moins quelqu’un s’intéresse à eux par-delà les slogans, les bons sentiments, les campagnes philanthropiques et les gestes à grand spectacle. C’est la nouvelle qu’il y a des gens assez modestes, humbles, et unis au Christ pour donner leur vie dans le silence et parfois dans l’ignorance de tous. C’est à cela aussi que vous êtes ordonnés.

Enfin pour terminer, je voudrais vous encourager. Votre ordination, comme je l’ai dit au moment où j’ai recueilli l’accord de vos épouses -pour ceux qui sont mariés-, ne vous retire pas de votre vie de famille, ni de votre vie professionnelle, au contraire ! Car si votre service de l’évangile et des pauvres prend une figure significative, c’est précisément parce qu’il est enraciné dans le tissu de votre existence familiale et professionnelle. Vous ne seriez pas un bon diacre si vous étiez un mauvais époux ou un mauvais père de famille, ou un mauvais professionnel, vous ne porteriez pas l’évangile, vous porteriez un contresigne de l’évangile. Ainsi, dans la hiérarchie des priorités de votre vie, le temps, le soin, le travail, que vous consacrez à votre vie de famille et à votre vie professionnelle ne sont pas dérobés à votre ministère, mais investis dans votre ministère, ou encore votre ministère est investi dans votre vie de famille et votre vie de travail. Ce n’est pas la masse des activités qui donne sens à votre vie, c’est la mission qui vous est confiée, c’est la communion au Christ dont vous vivez avec vos épouses, vos enfants, vos collègues et toutes vos relations.

Que le Seigneur donne à chacun la joie de porter ce « fardeau léger » derrière celui qui est doux et humble de cœur. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies