Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - Commémoration de tous les fidèles défunts

Dimanche 2 novembre 2014 - Notre-Dame de Paris

Notre Dieu est le Dieu de la vie. En son Fils mort et ressuscité, la mort a été vaincue. Les chrétiens sont appelés à témoigner de cette foi et de cette espérance en la vie qui se poursuit différemment au-delà de la mort.

 Sg 2,23 ; 3,1-6.9 ; Ps 26 ; Rm 8, 14-17 ; Lc 12,35-38.40

Frères et Sœurs,

La prière pour les fidèles défunts à laquelle l’Église nous invite chaque année au début du mois de novembre est d’abord un acte de foi. C’est la foi en Dieu qui n’est pas le Dieu de la mort mais qui est le Dieu de la vie. Tout ce que l’Écriture nous révèle de Dieu, depuis l’origine de la création jusqu’au terme de l’histoire est un immense combat pour que les hommes vivent et qu’ils ne soient pas écrasés par la mort. Dieu est le Dieu des vivants, il n’est pas le Dieu des morts. Aussi notre prière pour les fidèles défunts n’est pas une sorte de dévotion à un Dieu des ténèbres qui serait le gardien du séjour des morts, il est un acte de foi et d’espérance au Dieu de la vie qui nous appelle non pas à tomber dans le néant mais à entrer dans une nouvelle relation avec lui et, si nous l’acceptons, à entrer dans la vision plénière de sa personne.

Ce Dieu de la vie a manifesté d’une façon extrême son combat pour la vie humaine dans la personne de Jésus de Nazareth, lui qui a accepté d’être soumis à la mort, parce que c’est le destin de tout homme. Il a partagé l’existence humaine en toute chose excepté le péché, et non seulement, il a pris sur lui de participer à la mort humaine, qui plus est à une mort injuste, condamné par un tribunal alors qu’il était innocent. Mais celui que les hommes de Jérusalem ont dressé sur la Croix au Golgotha, n’est pas resté prisonnier de la mort. Dieu l’a ressuscité et il est apparu vivant à de nombreux témoins qui nous en ont transmis l’expérience. Oui, Dieu est le Dieu de la vie et il a manifesté la vie en plénitude dans la personne de son fils ressuscité.

Par la victoire du Christ sur la mort, il nous est proposé de comprendre d’une façon nouvelle l’épreuve à laquelle tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps sont inévitablement confrontés : la fin de leur vie sur cette terre et la mort de leur corps. Mais ceux qui croient au Christ ressuscité savent que dans la grande dramaturgie de l’histoire humaine, la mort n’a pas le dernier mot. Ils savent que cette expérience commune à laquelle tous sont confrontés n’est pas l’expression de la fin de tout mais l’expression d’une nouvelle étape, car dans cette vie déjà, par la grâce de Dieu, par la communion au Christ, par le don de son Esprit, nous sommes déjà entrés dans la vie éternelle. Et comme nous le dit l’évangile de saint Jean : « la vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17,3). Les chrétiens souffrent de la mort comme tout un chacun. Elle est une épreuve pour eux comme pour n’importe quel être humain. Elle peut être un moment de doute et d’obscurité. Elle peut être un moment de grande souffrance. Elle peut être un moment de révolte, mais jamais elle n’est une fin. Ce qui se termine, c’est notre manière d’être en ce monde, ce sont les relations que nous avons les uns avec les autres, c’est la vision, l’audition, le toucher, l’expérience entre les personnes, mais ce qui demeure, c’est ce qui est le cœur indestructible de chaque être humain, c’est-à-dire notre liberté d’enfant de Dieu.

Nous sommes appelés, frères et sœurs dans le Christ, à un témoignage : est-ce que pour chacun et chacune d’entre nous, la mort est seulement un phénomène biologique qui met un terme à la réalité ? Ou bien est-elle réellement, comme le Christ nous invite à le croire, un passage vers un autre mode de vie ?

Que nous éprouvions du chagrin, que nous soyons tristes au moment où ceux qui nous sont chers nous quittent, c’est bien humain et c’est bien normal. Comme nous voyons Jésus pleurer devant le tombeau de Lazare, et les juifs qui étaient présents de dire : « Voyez comme il l’aimait ! » (Jn 11,36). Que nous pleurions nos défunts, c’est bien naturel et c’est un signe que nos relations étaient des relations fortes. Mais que notre espérance s’épuise dans ces larmes, qu’elle ne puisse pas rebondir dans l’attente du monde qui vient, qu’elle soit comme étouffée par le sentiment que lorsque la machine s’arrête, tout est fini… Alors oui ! Nous sommes invités à rendre un grand témoignage ! Nous croyons que celles et ceux qui nous ont précédés sont toujours vivants. Nous croyons qu’ils vivent d’une vie différente de la nôtre mais non moins réelle, et nous croyons que par la communion des saints et la puissance de l’Esprit nous sommes en relation avec cet univers que nous ne voyons pas mais qui existe cependant. Et si notre mort est ce passage, alors nous devons souhaiter tous mourir dans la dignité, c’est-à-dire, non pas en mettant fin à notre vie mais en appuyant notre constance, notre endurance, notre affection sur la certitude que la fin de cette vie n’est pas la fin de tout. Comment pourrions-nous nous contenter d’abréger des souffrances, alors que nous sommes appelés de toutes sortes de façons à les soulager, à les accompagner, à être une communauté de foi et d’espérance autour de ceux et de celles qui arrivent au terme de leur vie ? Non pas la communauté de ceux qui décident que cela a assez duré, mais la communauté de ceux qui restent jusqu’au bout pour témoigner que tout n’est pas fini !

Frères et sœurs, nous prions pour celles et ceux qui nous ont précédés, nous prions aussi pour tous ceux et toutes celles qui approchent de cette épreuve finale, et nous prions pour que le Seigneur nous trouve vigilants au moment où il viendra et disposés à ouvrir notre porte pour qu’il vienne nous prendre. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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