Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Sainte-Marguerite – Fête du Baptême du Seigneur – Année B

Dimanche 11 janvier 2015 - Sainte-Marguerite (Paris XIe)

Noël, l’Epiphanie et le baptême du Seigneur nous font découvrir Jésus comme Sauveur, Roi et Fils de Dieu. A notre tour devenus fils de Dieu, nous sommes invités à découvrir une route, un chemin, un style, une manière de vivre sous le commandement de l’amour qui modifient nos relations aux autres.

 Is 55,1-11 ; Ps Is 12,2-6 ; 1 Jn 5,1-9 ; Mc 1,7-11

Frères et Sœurs,

Avec la célébration de la fête du Baptême du Christ, nous clôturons le cycle des manifestations de Dieu parmi les hommes, qui a commencé par la fête de la nativité. Dans la nuit de Bethléem les anges ont annoncé aux bergers qu’un Sauveur était né et ils sont venus pour l’adorer. Dans la fête de l’Épiphanie nous avons fait mémoire des mages venus d’Orient à la recherche du roi des Juifs qui, l’ayant trouvé, lui ont offert de l’or, de l’encens et de la myrrhe en guise d’hommage. Ainsi la première manifestation est celle du Sauveur, la deuxième manifestation est celle du roi des Juifs, et la troisième que nous célébrons aujourd’hui nous fait franchir un pas supplémentaire dans la connaissance de Jésus. Il n’est pas seulement un Sauveur, il n’est pas seulement le roi des Juifs, il est Fils de Dieu. Ce témoignage rendu par Dieu à Jésus son Fils, fixe d’une façon incontournable l’originalité exceptionnelle de la foi au Christ. Nous ne croyons pas simplement en un prophète, nous ne croyons pas simplement en un sauveur, car il y a eu bien des sauveurs au cours des siècles de l’humanité, nous ne croyons pas simplement au roi des Juifs, car sa mission ne s’est pas limitée au peuple d’Israël, nous croyons que cet homme, Jésus de Nazareth, né de Marie, est le Fils de Dieu.

Évidemment, il suffit de rassembler d’une façon lapidaire le contenu de cette profession de foi, Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, pour prendre conscience de ce qu’il y a de tout à fait inimaginable, d’incompréhensible et de choquant pour la raison humaine. Autant l’histoire des hommes a montré que l’on était capable de s’arranger sur bien des sujets et de trouver des accommodements divers, autant nous sommes confrontés par cette profession de foi à quelque chose d’un autre ordre pour une raison humaine simple. Ou bien Dieu existe, il est tout autre et nous avons peu de moyens de le connaître, en tout cas, il n’est pas un homme, ou bien, nous reconnaissons que dans cet homme, Jésus de Nazareth, c’est la divinité de Dieu lui-même qui est vivante, et alors on peut légitimement se demander si ce Dieu qui vient prendre chair dans l’existence humaine est vraiment Dieu. Et dans ce cas, s’est-il amoindri en venant partager la condition humaine ?

Le cœur de notre conviction chrétienne, c’est que le Dieu auquel nous croyons, le Dieu miséricordieux qu’annonçait le prophète Isaïe, ce Dieu n’a pas voulu rester simplement dans la splendeur insaisissable de son univers céleste mais il est venu parmi les hommes, il est venu partager notre existence humaine. En lui donnant ce qualificatif de Fils de Dieu, la puissance de l’Esprit ouvre devant nous une série de questions qui ne concernent pas simplement Jésus de Nazareth, mais qui concernent tous les hommes. Car, si effectivement Jésus est le Fils de Dieu comme nous le croyons, alors cela veut dire que chacune de nos existences humaines prend dans la personne de Jésus de Nazareth et dans son identité de Fils de Dieu une dimension qui dépasse notre propre individualité, notre propre personnalité, et cela quelle que soit la pauvreté de nos moyens, quelles que soient les limites auxquelles nous sommes confrontés, quelles que soient les fautes que nous pouvons commettre, quelles que soient les blessures et les maladies qui nous touchent, quelle que soit la dégradation de notre état personnel. Nous ne sommes pas seulement Pierre, Paul, Jacques, Bénédicte, Sophie… nous sommes enfants de Dieu, nous sommes de la race des fils de Dieu, nous sommes entrés dans une dimension humaine qui dépasse de beaucoup les possibilités de la gestion ordinaire de l’existence.

Cette conviction entraîne des conséquences. Qu’est-ce que cela change que l’on soit fils de Dieu ou qu’on ne le soit pas ? Cela ne nous empêche pas de vivre ! Ni de manger, ni de travailler, ni de souffrir, ni d’aimer ! Alors à quoi bon ajouter une étiquette qui dit : vous êtes fils de Dieu ! On n’a pas besoin d’être fils de Dieu pour vivre… sauf si le fait d’être fils de Dieu ne se borne pas pour nous aux fonctions biologiques et sociales de l’existence, mais si cela ouvre devant nous une route, un chemin, un style, une manière de vivre qui installe un idéal et une différence dans notre vie.

Être fils de Dieu, ce n’est pas simplement avoir reçu une étiquette extérieure, c’est entrer dans une manière d’être structurée par l’amour de Dieu. Être fils de Dieu, c’est accomplir ses commandements, c’est écouter sa parole, c’est mettre en pratique ce que nous entendons et par-dessus tout, accueillir - comme nous y invite si souvent l’évangile et les épîtres de Jean - chacun et chacune de nos contemporains comme d’autres enfants de Dieu, même s’ils ne se reconnaissent pas enfants de Dieu, même s’ils n’imaginent pas que cela puisse signifier quelque chose. Pour nous, cela veut dire quelque chose, et donc nous avons, de par notre identité d’enfant de Dieu, un devoir, un objectif, une façon d’être, qui nous transforment dans notre manière d’être nous-mêmes, et dans notre manière d’être avec les autres. Comment pouvons-nous nous prétendre enfants de Dieu si nous n’essayons pas par tous les moyens dont nous disposons de soumettre notre vie aux commandements de l’amour ? De mettre en pratique la loi que nous avons reçue, de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, et de mettre en pratique cet amour, cette miséricorde de Dieu dans nos relations avec les autres ? On ne peut pas être enfant de Dieu et vivre dans l’indifférence ! On ne peut pas être enfant de Dieu et se détourner des pauvres ! On ne peut pas être enfant de Dieu et fermer les yeux sur les injustices du monde ! On ne peut pas être enfant de Dieu et ne pas travailler à l’établissement de la paix !

Ainsi, enfants de Dieu nous le sommes, enfants de Dieu nous sommes invités à le devenir chaque jour davantage par notre manière d’être, par notre manière de vivre, par notre manière d’entrer en relation avec les autres.

Frères et sœurs, en ces jours où notre pays est traversé par des événements dramatiques qui remettent chacun en face de lui-même et qui posent au milieu de nous la question de la valeur incommensurable de chaque existence humaine, de chaque personne humaine, nous sommes invités à creuser dans notre manière de vivre le chemin des enfants de Dieu. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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