Homélie du cardinal André Vingt-Trois - 2e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Dimanche 18 janvier 2015 - Notre-Dame de la Compassion

Pour dialoguer avec les hommes, Dieu leur adresse sa Parole. Elle a besoin de médiateurs pour être interprétée. Jean-Baptiste joue un rôle de médiateur et d’interprète auprès des disciples. Il les invite à suivre le Messie. Jésus quant à lui invite ses disciples à demeurer avec lui et à rester en communion avec lui. C’est notre propre cheminement.

 1S 3,3b-10.19 ; Ps 39 ; 1 Co 6,13c-15a.17-20 ; Jn 1, 35-42

Frères et Sœurs,

Après le baptême du Christ que nous avons célébré dimanche dernier, le cycle liturgique dit « du temps ordinaire » dans lequel nous sommes entrés va nous conduire dimanche après dimanche à suivre la vie publique de Jésus, à écouter son enseignement, à entendre le récit de ses miracles et à découvrir à travers son ministère public, le chemin que Dieu veut tracer devant les hommes.
Mais tout à fait au début de ce ministère public, la liturgie a voulu nous mettre en face d’une inauguration. Comment les choses vont-elles se dérouler ? On ne va pas se retrouver brusquement avec un groupe de disciples dont on ne sait pas très bien comment ils seraient arrivés là ! Et voilà que l’évangile de Jean nous rapporte un épisode de l’histoire de Jésus qui nous permet de comprendre comment il associe des disciples à sa mission. Cette constitution du groupe des disciples fait ressortir trois caractéristiques principales du dialogue engagé entre Dieu et les hommes.

La première caractéristique apparaît dans le récit de la vocation de Samuel. Elle nous fait découvrir qu’à la manière et dans le langage imagé du Livre de Samuel, la parole de Dieu n’est pas forcément directement compréhensible. On nous dit que Samuel n’avait jamais entendu Dieu si bien qu’évidemment, il ne pouvait pas reconnaître sa voix. Il croyait que c’était le vieil Elie qui l’appelait, de sorte que c’est vers lui qu’il est allé répondre à l’appel. Nous voyons comment à travers la répétition des trois appels, Elie d’abord et Samuel ensuite découvrent peu à peu que Celui qui parle, c’est Dieu lui-même. Aussi, Elie dit à Samuel : « Si on t’appelle, tu diras : Seigneur, ton serviteur écoute ». Ce récit de la vocation de Samuel nous aide à comprendre comment nous aussi, nous sommes appelés dans notre vie. Nous ne sommes pas appelés par une intervention de Dieu immédiatement compréhensible. Nous sommes appelés par une intervention de Dieu, médiatisée ou interprétée par d’autres humains. C’est ainsi que, dans la logique de l’appel à suivre le Christ, il y a toujours à un moment ou à un autre et quelquefois à plusieurs reprises, quelqu’un qui en devient l’interprète, le médiateur – parfois à son insu d’ailleurs –. Mais ceci nous fait comprendre que les vagues questions que l’on pouvait se poser ou les phrases qui nous revenaient en tête ou les paroles qui remontaient de notre mémoire n’étaient pas simplement des rêves ou des messages subliminaux, mais bien des messages de Dieu. Si nous ne les avons pas identifiés au premier abord comme des messages de Dieu, c’est à l’exemple de Samuel, parce que nous manquons de l’expérience du dialogue avec Dieu. Nous avons besoin de découvrir que la Parole de Dieu qui s’adresse à nous est un peu extraordinaire voire un peu étrange ! Il faut que nous soyons entraînés à ajuster notre écoute, notre attention et notre cœur à cette parole qui vient de Dieu.

La deuxième remarque en découle : Jean-Baptiste, d’une certaine façon, remplit le rôle d’Elie par rapport aux premiers disciples. Il se trouvait avec deux de ses disciples et posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ». Jésus n’a aucun signe apparent, aucun signe distinctif qui permettrait à des gens de le reconnaître comme l’Agneau de Dieu, le Serviteur de Dieu. Et voici que c’est Jean-Baptiste qui dans une parole que nous connaissons bien le désigne : « Voici l’Agneau de Dieu ». Tout à l’heure, en vous présentant l’eucharistie, je dirai : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Des artistes célèbres se sont plu à traduire visuellement ce geste de désignation par le bras du Baptiste indiquant la direction de Jésus à ses disciples, pour leur faire comprendre que c’est cet homme-là qui est l’Agneau. En tout cas, Jean-Baptiste joue ce rôle de médiateur, d’interprète pour les disciples. Au moment où ils reçoivent ce signe de Jean-Baptiste, ils se mettent à suivre Jésus. Voici donc la deuxième attention qui nous est proposée aujourd’hui : devenir disciple du Christ, cela veut dire suivre Jésus. Aucun évangile ne s’attarde à nous faire part des états d’âme de ces premiers disciples. On nous dit : « ils suivirent Jésus ». Mais on ne nous dit pas ce qu’ils ont éprouvé, ce qui les a mis en route pour suivre Jésus, sinon ce rôle déterminant de l’intermédiaire, du médiateur, Jean-Baptiste, pour les deux premiers. Nous voyons ensuite que ce processus de médiation va se poursuivre à travers la personne d’André allant trouver son frère et lui dire « nous avons trouvé le Messie ». Nous savons que cette chaîne d’appels transmis va se développer autour des amis, des relations et que peu à peu, l’appel du Christ va se transmettre des uns aux autres. Le contenu de l’appel est clair, il s’agit de suivre Jésus. Ils se mettent donc à le suivre.

Le troisième point d’attention qui nous est proposé, c’est le dialogue que Jésus instaure. Si l’Evangile ne nous dit rien sur ce qui a motivé les disciples, nous voyons cependant Jésus se retourner et leur dire : « Que cherchez vous ? ». Voilà une question pour nous faire entrevoir ce qui habite le cœur des disciples : « Que cherchez vous ? Pourquoi quittez-vous votre premier maître qui vous a indiqué le chemin pour vous mettre à ma suite ? Qu’est-ce qui mobilise votre cœur ? Qu’est-ce qui vous dynamise ? Qu’est-ce qui vous motive pour vous mettre en marche à ma suite ? ». La réponse est : « Où demeures-tu ? ». Nous savons que dans l’évangile de saint Jean, la demeure, c’est le signe de la présence de Dieu. « Où demeures-tu ? ». Où Dieu est-il présent dans notre monde ? Nous le cherchons à travers la personne du Christ. Jésus leur dit : « Venez et vous verrez ». Ainsi, Jésus confirme le chemin de la vie des disciples qui consistera à le suivre, à demeurer avec lui et à rester en communion avec lui.

A l’ouverture de ce récit de la vie de Jésus que nous allons suivre cette année, cette scène de l’évangile de saint Jean nous met en situation de reconnaître l’appel de Dieu à travers les paroles que nous entendons, qui ne sont pas simplement des paroles humaines mais qui sont vraiment la voix du Seigneur qui s’adresse à nos cœurs. C’est une occasion de découvrir dans la personne de Jésus celui qui est envoyé par Dieu et de nous mettre à sa suite. C’est l’occasion d’entendre l’appel du Christ à demeurer avec lui, c’est-à-dire à vivre en communion avec lui et à partager la mission qui est la sienne : annoncer aux hommes que le Royaume s’est fait proche et qu’il est temps de se convertir. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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