Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour les diacres permanents d’Ile-de-France à St Léon -

Samedi 17 janvier 2015 - St Léon (Paris XVe)

La rencontre de Lévi et le repas que Jésus partage avec les pécheurs nous aide à approfondir notre compréhension de la mission du Christ venu délivrer l’homme du péché. Accueillir le pécheur n’est pas approuver son péché mais donner un signe de la miséricorde de Dieu. La Parole de Dieu vient éclairer les choix de la liberté humaine. Les diacres sont appelés à porter cette Parole.

 He 4, 12-16 ; Ps 18 ; Mc 2, 13-17

Frères et Sœurs,

Les premiers moments de la mission du Christ dans l’Évangile de saint Marc que nous parcourons depuis le début de cette semaine nous font découvrir de façon condensée les dimensions fondamentales de ce que Jésus est venu faire, « Pourquoi il est sorti ». Et parmi ces tâches constitutives de la mission du Christ, les textes de ces trois derniers jours nous font pénétrer un peu plus avant dans la dimension du salut. La purification du lépreux est évidemment une guérison différente des autres dans la mesure où elle annonce symboliquement la délivrance du péché, puisque la lèpre était considérée symboliquement comme un signe du péché. Puis, la guérison du paralytique que nous avons méditée hier nous montre Jésus qui s’affirme comme celui qui a autorité pour délivrer du péché. Aujourd’hui la rencontre de Lévi et le repas que Jésus partage avec les pécheurs sont une façon d’approfondir notre compréhension de la mission du Christ de délivrer l’homme du péché.

Précisément la rencontre avec Lévi et la discussion qui s’ensuit avec les scribes du groupe des pharisiens, introduit une dimension importante pour notre manière de vivre dans notre société hyper moralisante, qui juge souverainement les personnes sur des paroles ou sur des actes supposés, sans tenir compte de la différence qui existe entre le mal que l’on peut faire et la réalité plénière d’une personne. Lévi est un pécheur public et pourtant le Christ ne le met pas au ban de la société. Il va chez lui, il va partager son repas, il va rencontrer d’autres pécheurs et il se justifie en disant il n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs et que ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades. C’est établir une différence nette entre le combat contre le péché et l’aide à la personne du péché. Cette distance entre la faute, le mal que l’on peut commettre et la dignité personnelle très subtile et très importante dans la mission que l’Église a reçue de poursuivre ce ministère de libération de l’homme. L’Église est accueillante. Elle est appelée à un renouveau d’énergie par le pape François pour accueillir les pécheurs, pour donner le signe de la miséricorde aux pécheurs. Cet accueil du pécheur ne peut jamais s’identifier à l’approbation du pécheur. Jésus ne dit pas qu’il est allé manger chez Lévi parce qu’il considère que c’est un juste. Il dit qu’il est allé manger chez Lévi parce qu’il veut se faire proche des pécheurs. Il estime - et il va le montrer dans la personne de Lévi et des autres pécheurs qui l’entourent - que la grandeur de la liberté et de la personne dépasse le mal qui a pu être fait.

Dans notre actualité, aujourd’hui, on discute pour savoir si l’on peut enterrer un terroriste comme si un homme pouvait se réduire au mal qu’il a fait même quand ce mal est affreux. Et l’on se donne bonne conscience - mais est-ce que ce n’est pas une conscience pharisienne ? - en jetant l’opprobre sur des gens alors qu’il s’agit seulement de combattre le mal qu’ils peuvent faire et les racines de ce mal.

Notre mission n’est pas de condamner publiquement fortement le pécheur. Notre mission est de condamner avec la plus grande vigueur le mal dont il a pu être la cause, de condamner avec la plus grande vigueur les conséquences de ce mal, mais toujours en ayant comme objectif et comme souci principal le salut de la personne.

L’épître aux Hébreux nous aide peut-être à progresser dans cette attitude pastorale de distinction entre le péché et le pécheur en évoquant d’une façon forcément énigmatique, compte tenu du peu que nous savons de la réalité humaine, la manière dont la Parole de Dieu touche le cœur des hommes. En effet, l’épître aux Hébreux nous dit que la Parole de Dieu vivante énergique et plus coupante qu’une épée va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, c’est-à-dire ce lieu mystérieux où la grandeur de la dignité de l’homme s’exprime à travers des choix libres. C’est un lieu que nous ne connaissons pas pour reprendre une image assez répandue dans la culture occidentale. On ne peut pas localiser physiologiquement le lieu de l’âme et de l’humanité dans la personne humaine. On ne sait pas où c’est, on ne sait pas trop ce que c’est, mais ce que l’on sait, c’est que c’est à ce point de jonction profonde que l’appel de Dieu résonne d’une façon que nous mesurons mal, où la liberté humaine d’une façon que nous mesurons encore plus mal, est en résonnance avec cet appel de Dieu : le point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles.

Chers amis diacres, par votre ministère, vous êtes appelés à être porteurs de cette Parole de Dieu, à l’annoncer non seulement dans les fonctions liturgiques mais encore dans la manière de vivre et dans les différentes occasions où votre ministère vous met en relation avec les chrétiens. Vous êtes chargés d’être porteurs de cette Parole vivante qui peut assez facilement, - l’histoire nous l’a montré à travers les siècles, et l’histoire de notre propre vie nous le montre à travers notre propre existence - être oubliée ou négligée ou peu écoutée ou peu recherchée. Il n’est donc pas inutile qu’elle fasse l’objet d’un ministère spécifique, porteur d’une exigence que tout le monde n’est pas disposé à mettre en œuvre.

Nous sommes porteurs de la Parole de Dieu, appelés à l’annoncer, non pas comme une référence archaïque à des textes dépassés mais comme une Parole vivante, énergique et plus coupante qu’une épée. C’est la Parole de Dieu qui pénètre le cœur de l’homme et qui peut le transformer. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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