Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à l’occasion de la Journée Mondiale de la Vie Consacrée – Fête de la présentation du Seigneur au Temple

Lundi 2 février 2015 - Notre-Dame de Paris

La présentation de Jésus au Temple prophétise l’offrande qu’il fera de sa vie. Le Pape invite les consacrés à regarder le passé avec un regard d’action de grâce, le présent avec passion, l’avenir avec espérance. Les vœux prononcés par les consacrés sont le signe prophétique de l’achèvement de la vie baptismale.

 He 2,14-18 ; Ps 23 ; Lc 2,22-40

Frères et Sœurs,

La présentation de Jésus au Temple dont l’évangile de Luc vient de nous rapporter le récit est un geste rituel prévu par la Loi. Marie et Joseph, en bons juifs, l’accomplissent selon ce qui est prescrit, par le sacrifice de quelques animaux qui exprime rituellement la destination de l’existence de l’enfant consacré à Dieu. Cet exercice rituel prend une force particulière quand nous le lisons à la lumière de l’offrande que Jésus fera de sa vie. Car Jésus ne va pas seulement donner sa vie de façon rituelle et symbolique, il va la donner vraiment dans son corps, dans sa chair, dans son âme. Cette offrande qu’il fera de lui-même sur la montagne du Calvaire est annoncée par l’offrande faite au Temple à quelques pas de là, à Jérusalem.

Mais l’offrande réelle que Jésus fait de sa vie ouvre, comme le prophétise Siméon, la consolation d’Israël en apportant la bonne nouvelle aux nations et en leur ouvrant le chemin de la vie. Parce qu’il donne sa vie, il nous donne la vie. Par la mort qu’il subit, il ouvre le chemin de la Résurrection.

Dans le message qu’il a adressé aux consacrés, le pape François les invite à regarder le passé avec un regard d’action de grâce, non seulement en reconnaissant le chemin que Dieu leur a permis de parcourir, mais aussi en reconnaissant comment, à travers ce chemin, il ouvre une voie pour l’humanité entière. Ce chemin, commencé dès la création du monde, trouve son point de concrétisation dans l’offrande que Jésus a fait de sa vie. Il nous invite ensuite à vivre le présent avec passion, c’est-à-dire à ne pas nous laisser enfermer dans les souvenirs glorieux, que chacune de vos familles religieuses peut savourer à loisir en méditant sur la vie de leur fondateur ou de leur fondatrice, sur l’épopée des premières générations, sur les réalisations extraordinaires dont ils ont été les instruments. Il est bien normal que l’on évoque ces origines qui manifestent la puissance de Dieu, mais le Pape nous invite à un engagement dans le présent, qui forcément ne correspond pas à la situation que connaissaient vos fondateurs ou vos fondatrices. Cet engagement dans le présent appelle aujourd’hui la même imagination pour faire face aux nécessités de ce temps, comme eux-mêmes ont fait face aux nécessités de leur temps. Enfin, le Pape nous invite à regarder l’avenir avec espérance. Il ne s’agit pas de l’espérance de la pérennité de votre famille religieuse – je ne veux pas enténébrer cette journée de lumière en vous annonçant que cela finira un jour… Chaque siècle, chaque génération suscite les charismes dont Dieu a besoin pour la vie de son Église et pour l’annonce de l’Évangile. Ces charismes mobilisent, rassemblent, motivent des générations d’hommes et de femmes, quelquefois pendant un ou plusieurs siècles, mais là n’est pas le plus important. Si nous sommes invités à regarder l’avenir dans l’espérance, ce n’est pas dans l’espérance que notre marque continuera indéfiniment, c’est dans l’espérance que l’amour de Dieu, génération après génération, suscitera les hommes et les femmes nécessaires pour que cette consécration soit vécue, perçue, et désirée, c’est-à-dire dans une attitude de confiance, d’abandon à la volonté du Père. Il ne s’agit pas de renoncer à ce que nous avons reçu, à ce que nous vivons, mais à offrir, réellement, ce que nous avons reçu et ce que nous vivons, pour une fécondité future que nous ne connaissons pas mais dont nous savons qu’elle existera parce que c’est Dieu qui la suscitera.

Reconnaissance pour le passé, passion pour le présent, espérance pour l’avenir. L’offrande de Jésus au Temple était la reconnaissance de la Loi telle que Dieu l’avait donnée à Moïse ; la disponibilité de Marie et de Joseph dans le présent ne consistait pas simplement en un geste convenu mais à offrir cet enfant dans la confiance que malgré les embûches qui surgiront au long de son chemin -on nous dit qu’il sera « un signe de division et de contradiction » (Lc 2,34)- il finira néanmoins par accomplir sa mission en portant la lumière au monde.

De même que l’offrande de Jésus au Temple est habitée par le don qu’il fait de sa personne, même si c’est évidemment fort inconsciemment, il y a dans la vie de la communauté des croyants, des gestes symboliques qui expriment une réalité profonde. Parmi ces croyants, des hommes et des femmes sont appelés à vivre ces réalités symboliques jusque dans la réalité de leur chair. Vous n’avez pas fait des vœux simplement virtuels ou intentionnels, vous avez fait des vœux réels ! La pauvreté n’est pas simplement un thème porteur de piété ou de générosité, c’est une expérience quotidienne concrète. La chasteté n’est pas simplement une sorte de relation mystico-conjugale cachée, c’est vraiment porter dans l’abstinence du corps, l’offrande que l’on fait de sa vie. L’obéissance n’est pas simplement une vague adhésion à quelque esprit de la congrégation ou esprit de l’Évangile, c’est vraiment poser des actes qui changent des éléments de votre vie. Cela ne veut pas dire que les autres baptisés ne sont pas appelés à vivre la pauvreté, la chasteté, l’obéissance, mais ils sont appelés à les vivre d’une autre façon. C’est précisément cette façon réaliste d’inscrire la pauvreté, la chasteté et l’obéissance dans l’existence concrète d’un homme et d’une femme, au cœur d’une communauté, qui donne dans le monde, selon l’expression du concile Vatican II : le signe prophétique de l’achèvement de la vie baptismale. Aussi, il ne s’agit pas simplement de répondre à une vocation personnelle, il s’agit d’accomplir une mission dans le corps entier de l’Église, en figurant visiblement ce que tous sont appelés à accomplir au terme de leur vie mais que certaines et certains, par élection de Dieu, sont appelés à vivre dès maintenant.

C’est pourquoi ce temps de prière aujourd’hui, je le vis volontiers dans les appels que le pape François nous a adressés, en action de grâce pour tant de vies d’hommes et de femmes qui vous ont précédés. Action de grâce pour ce que, vous aussi, vous avez accompli pendant les années de votre vie consacrée, pour le signe donné dans l’Église. Passion pour le présent : il y a des hommes et des femmes pour qui la communion avec le Christ l’emporte sur tout autre lien et toute autre obligation. Et enfin, l’espérance que ce signe continuera de porter du fruit à travers chacune de vos existences, à travers la vie de vos congrégations, et au-delà de la vie de vos congrégations et au-delà de vos existences, de porter le fruit d’une vie donnée à Dieu. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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