Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Jean des Deux-Moulins pour les 20 ans de la paroisse - 5e Dimanche Temps Ordinaire - Année B

Dimanche 8 février 2015 - St Jean des Deux-Moulins (Paris XIIIe)

Après avoir enseigné et opéré des miracles, Jésus ne se laisse pas enfermer par les habitants de Capharnaüm. Il doit "sortir" vers d’autres village de Galilée, comme il est "sorti du Père". Nos communautés, figures sacramentelles du Christ ressuscité sont invitées à leur tour à sortir pour annoncer l’Évangile.

 Jb 7, 1-4.6-7 ; Ps 146 ; 1 Co 9, 16-19.22-23 ; Mc 1, 29-39

Frères et Sœurs,

Au début de l’évangile de saint Marc, l’évangéliste annonce ce que va être le ministère de Jésus à travers la description de cette première journée, un jour de sabbat à Capharnaüm. Auparavant, le Christ avait enseigné à la synagogue et fait l’admiration de tous par la parole qu’il portait avec autorité, et il avait délivré un homme d’un esprit impur. Voilà que, sortant de la synagogue, il rejoint la maison de Pierre et va guérir la belle-mère de Pierre. Cette guérison, ajoutée à la libération de l’esprit impur opérée à la synagogue, déclenche une attente et un désir. Quand le sabbat est achevé, on lui amène ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Qu’attendaient-ils ? Qu’espéraient-ils de ce prophète qui s’était levé parmi son peuple ? Sans doute une réponse aux cris que nous avons entendus tout à l’heure dans le livre de Job : « vraiment la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre » (Jb 7,1) ! On peut dire qu’en tout temps, les hommes et les femmes éprouvent leur existence comme une corvée, comme un poids déposé sur leurs épaules et dont ils n’arrivent pas à se décharger. Les contemporains de Jésus attendent une délivrance et se tournent vers ce prophète qui s’est levé, non seulement parce qu’il parle bien, mais aussi parce qu’il guérit et libère. Nous découvrons donc à l’entrée du ministère public de Jésus dans l’évangile de saint Marc, quelques grands traits de ce que Jésus va faire tout au long des mois et des années qui vont suivre. Il enseigne, transmet l’évangile, la parole de Dieu, et porte le message entendu au début de l’évangile : les temps sont accomplis, convertissez-vous et croyez à l’évangile. Par-delà cet enseignement, et pour l’illustrer, il va opérer un certain nombre de signes de délivrance, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts.

Nous voyons donc se mettre en place des éléments qui vont se déployer par la suite. La foule qui se presse de toutes parts essaye de profiter de la présence de Jésus, et puis, étrangement, l’évangile nous dit : « bien avant l’aube, il se retire pour prier » (Mc 1, 35). Jésus semble vouloir échapper à cette foule. Il n’est pas venu se laisser enfermer par les habitants de Capharnaüm, comme s’il était sorti d’auprès du Père pour sauver les seuls habitants de Capharnaüm. Il est venu pour l’humanité, et donc il se retire, s’échappe, en insérant un écart entre lui et l’attente de cette foule. Quand les disciples lui disent : « Tout le monde te cherche » (Mc 1,37), il répond : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1,38). Voilà qu’apparaît une nouvelle composante de la mission que Jésus va accomplir et qu’il va confier à ses disciples : le mouvement vers d’autres villes, vers d’autres villages. C’est déjà la dimension universelle de la mission qui est suggérée ici, même si pour l’instant elle se limite à la Galilée.

Nous pouvons légitimement être admiratifs et séduits par la personne de Jésus, mais nous devons comprendre aussi que nous n’en sommes pas pour autant propriétaires. Les communautés que nous formons, si fortes, si vivantes soient-elles, ne peuvent pas prétendre représenter la totalité de la mission de l’Église. Le Christ vivant aujourd’hui à travers son Église, n’est pas à notre disponibilité. Il est au milieu de nous, non pas comme celui qui vient seulement satisfaire nos attentes, mais pour nous entraîner ailleurs, vers d’autres villages, vers d’autres hommes et d’autres femmes, pour porter l’Évangile au-delà des limites de nos communautés. C’est ainsi qu’il entraîne ses disciples à quitter Capharnaüm et à parcourir la Galilée. C’est ainsi qu’il nous invite, nous aussi, comme le pape François nous le rappelle souvent, à sortir de nos communautés, à ne pas les concevoir comme des chapelles protectrices, mais comme une base de départ, un lieu de renforcement, de motivation du dynamisme de l’Évangile. C’est ce que nous rappelait l’apôtre Paul dans l’épître aux Corinthiens. « Ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9,16).

En vous proposant il y a quelques mois de vivre la mission de l’Avent 2014, je voulais simplement nous inviter à actualiser cet appel du Christ, à sortir de nos murs, à sortir de nos communautés, à sortir de nos groupes bien constitués et réconfortants, pour partager l’Évangile avec ceux qui l’ignorent, pour aller au-devant de ceux qui ne viennent pas vers nous, pour être vraiment missionnaires de l’Évangile. Annoncer l’Évangile, comme le dit Paul, c’est être « libre à l’égard de tous » (1 Co 9,19). « Avec les faibles, j’ai été faible pour gagner les faibles, je me suis fait tout à tous et tout cela je le fais à cause de l’Évangile pour y avoir part moi aussi » (1 Co 9,22.23). Si peu que nous ayons de force, si peu que nous ayons de temps, si embarrassés que nous soyons à cette idée que nous portons quelque chose qui pourrait être utile à ceux qui nous entourent, à nos contemporains, il faut que nous nous laissions porter par le dynamisme de l’Évangile pour devenir avec les disciples de Jésus ceux qui vont quitter leur village, quitter leur environnement, quitter l’ambiance chaleureuse qu’ils connaissent et aller apporter l’Évangile, la proposition d’une vie nouvelle et différente de « la vie de corvée » qu’évoquait le livre de Job. Nous possédons une richesse, une espérance, une force qui dépasse ce que nous pouvons imaginer. Nous ne comprenons et découvrons cette force, cette richesse que dans l’épreuve de la rencontre avec les autres. On peut se dire les uns aux autres qu’on est chrétien et que l’Évangile est une belle chose. La belle affaire ! Ce n’est pas trop compliqué de nous convaincre mutuellement que nous sommes chrétiens ! La question n’est pas là ! Cette richesse reçue, cet évangile que Dieu nous donne, cette bonne nouvelle et cet appel à la conversion ne sont pas faits seulement « à usage interne » ! Ils sont faits pour aller au-devant des hommes et des femmes qui nous entourent, pour aller leur annoncer que les temps sont venus, qu’aujourd’hui « le Christ est sorti » (Mc 1,38) ! Il est sorti d’auprès du Père pour venir dans l’humanité, il sort de Capharnaüm pour aller dans la Galilée, et cela veut dire pour nous, aujourd’hui, qui constituons la figure sacramentelle du Christ ressuscité, qu’il sort avec nous des frontières de notre Église pour l’annoncer à tous les hommes.

Rendons grâce au Seigneur, qui nous a aidés : vous, pendant ces vingt années, à vivre fortement cette rencontre du Christ, lui qui a tracé un chemin d’histoire du Salut au milieu de vous, vous aussi les jeunes générations qui découvrez aujourd’hui ce que Jésus a fait alors que vous n’étiez pas nés. Et reprenons conscience que cette richesse reçue et accueillie avec joie est une richesse à partager pour le bien de tous ! Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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