Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 1er dimanche de Carême – Année B

Dimanche 22 février 2015 - Notre-Dame de Paris

Maintes fois dans l’histoire, Dieu a manifesté sa miséricorde à l’égard de l’humanité pour renouveler son alliance. Le combat inaugural du Christ contre Satan nous fait comprendre que nous sommes aussi associés à ce combat pour que notre liberté participe à l’établissement du Royaume de Dieu. C’est aussi le combat des catéchumènes.

 Gn 9, 8-15 ; Ps 24 ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15

Frères et Sœur,

La patience de Dieu est admirable ! Et si l’apôtre Pierre nous en rappelle les signes, c’est pour nous aider à comprendre les temps que nous vivons. La patience de Dieu s’est manifestée au long des siècles, depuis les origines du monde, chaque fois qu’il a dû recommencer. Nous disposons dans les premiers livres de la Bible, d’épisodes bien connus, comme la Tour de Babel, le déluge, et d’autres, qui manifestent comment, à un moment, plus rien ne fonctionne ! Alors, il faut recommencer. C’est comme s’il fallait refaire la création originelle, remettre en marche les moyens d’entrer en communion avec Dieu, remettre en vigueur l’écoute de la parole de Dieu, la réponse à ses commandements, bref, commencer un monde nouveau. En évoquant le déluge, l’apôtre Pierre nous dit que c’était précisément un signe de la patience de Dieu. Dans cette catastrophe où tout allait périr, Dieu a résolu une fois de plus de manifester sa miséricorde en sauvant quelques couples des êtres vivants, pour renouveler le monde, pour lui donner une figure nouvelle. Saint Pierre dit de cet épisode du déluge qu’il est comme une annonce du baptême. Il est aussi une annonce de la traversée de la Mer Rouge par laquelle le peuple a été arraché à son esclavage et entraîné pour une nouvelle étape de l’alliance. Cette alliance, Dieu en donne un signe à Noé avec l’arc qui va apparaître dans le ciel, perçu comme un signe de cette union entre la terre et le ciel, comme un signe du renouveau de l’alliance, une alliance nouvelle.

Ainsi, la patience de Dieu, siècle après siècle, a remis en œuvre une alliance nouvelle. Dieu a tenté de promouvoir un monde nouveau, mais chaque fois, son effort pour faire surgir cette humanité nouvelle, ce monde réconcilié, s’est heurté à la dureté des cœurs, à la paresse des hommes, à leur indifférence, à leur volonté de puissance, et ultimement, comme c’était le cas pour la tour de Babel, à la volonté d’atteindre les cieux sans Dieu, de faire comme s’ils étaient des dieux. Il est bon de conserver cet arrière-fond dans notre esprit, au moment où nous entrons dans le temps du carême, alors que dans l’évangile de saint Marc, Jésus va commencer, précisément, à annoncer l’avènement du Royaume, le « Royaume de Dieu est tout proche, convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc, 1,15). Dieu voulait depuis les origines ce monde nouveau ; il a essayé à tant de reprises ! Et voilà que cette fois-ci encore s’ouvre le temps d’une nouvelle alliance, une alliance où l’homme serait réconcilié avec Dieu, avec lui-même, avec le monde qui l’entoure, puisque les anges le servent, tandis qu’il est entouré de bêtes féroces. Mais nous voyons aussi dans ces quelques versets de l’Évangile de saint Marc que l’inauguration de cette alliance nouvelle, l’avènement du règne de Dieu, le monde nouveau qu’il va établir sont indissociables d’un combat, d’une lutte. Il ne s’agit pas d’une lutte par erreur, d’une lutte imprévisible, mais d’une lutte choisie, car c’est l’Esprit de Dieu qui conduit Jésus au désert pour qu’il y soit tenté. Ce combat dans lequel il entre contre Satan, c’est le combat perpétuel de l’histoire humaine. Et Dieu pourrait très bien se passer de nous dans ce combat, il pourrait très bien annihiler Satan, et instaurer un règne nouveau, mais alors, quelle serait notre place dans ce règne nouveau si nous n’avions jamais, d’aucune façon, participé à sa construction, si nous étions comme des consommateurs passifs d’un paradis sur terre où le combat qu’il suppose nous aurait été épargné ? Beaucoup pensaient que Jésus, puisqu’il était le Fils de Dieu et le Messie, pourrait rétablir Israël en faisant disparaître les Romains. Les disciples -les fils du tonnerre- pensaient qu’il suffisait d’anéantir les mauvais esprits pour que la vérité triomphe. Mais nous voyons bien dans l’Évangile que ce n’est pas le chemin que Jésus a suivi. Il ne s’est pas laissé entraîner dans cette tentation d’utiliser la puissance de Dieu pour annihiler la liberté de l’homme. Il a voulu partager cette liberté humaine jusque dans sa tentation, il a voulu ouvrir le grand débat que sa parole et ses miracles vont développer avec ses auditeurs ou ses spectateurs. Il a voulu ouvrir ce grand débat par une représentation symbolique du combat, de la lutte contre le mal. Cette lutte contre le mal n’est pas l’anéantissement des pécheurs, elle n’est pas l’accusation des autres ; cette lutte contre le mal, c’est la conversion de nos cœurs. Le règne de Dieu s’est fait proche : convertissez-vous et croyez à l’évangile ! A travers ces tentations au désert, et à travers le carême dans lequel nous sommes entrés pour nous préparer à Pâques, c’est ce combat auquel nous sommes associés. Peut-être pouvons-nous nous imaginer que ce serait plus confortable d’aller directement au jardin de la Résurrection, de ne pas traverser ce désert, de ne pas traverser ni subir ces épreuves, ces tentations, ces combats qui nous paraissent parfois tellement dérisoires et qui sont parfois tellement douloureux, parce que notre liberté est engagée. Mais le Christ est venu pour que nous soyons sauvés, c’est-à-dire pour que notre liberté participe à l’œuvre du salut, et non pour que celui-ci nous soit imposé du dehors, comme un vêtement qui se superposerait à notre vie ancienne sans que notre cœur ne soit changé, comme si l’on pouvait être chrétiens à la manière des acteurs costumés sans que notre personnalité ne soit transformée.

Hier, toute la journée, dans cette cathédrale, j’ai célébré l’appel décisif des candidats adultes au baptême, à la confirmation et à l’eucharistie : 414 candidats adultes pour le diocèse de Paris, que j’ai appelés un à un. Mais évidemment, introduits à cette ultime étape avant leur baptême, ils avaient aussi conscience d’être appelés à ce temps de désert avec Jésus, où ils vont encore être assaillis de tentations, avant d’être délivrés. Quant à nous, l’Église nous invite à vivre ce temps de carême en communion avec eux, en ne fuyant pas le combat, en ne détournant pas la tête des esprits mauvais qui peuvent nous entourer, en nous appuyant sur la vie nouvelle que nous avons reçue par le baptême et qui fait de nous les prémices de la création nouvelle et du monde nouveau que Dieu veut instaurer sur l’humanité entière.

Aussi, frères et sœurs, c’est en nous appuyant sur cette conviction que Dieu veut faire de chacun et de chacune d’entre nous des coopérateurs de ce monde nouveau que nous sommes invités à nous engager généreusement dans ce temps du carême, en mettant en pratique l’appel à la conversion, en nous engageant davantage dans la prière, en étant davantage attentifs au prochain, et en acceptant d’éprouver dans notre chair la privation pour mesurer combien nous sommes encore dépendants et combien nous avons encore besoin d’être sauvés. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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