Homélie du cardinal André Vingt-Trois - messe d’action de grâces à ND pour le 125e anniversaire de l’Association des Chevaliers Pontificaux, et second anniversaire du pontificat du Pape François. – 4e Dimanche de Carême – Année B

Dimanche 15 mars 2015 - Notre-Dame de Paris

Le plan de Salut de Dieu pour l’humanité emprunte des chemins diverses, y compris en dehors de ceux auxquels on s’attendrait spontanément. La miséricorde de Dieu vient ainsi transformer le monde, en touchant le cœur des hommes. Le Christ est le signe de la miséricorde de Dieu venant réconcilier les hommes avec son Père.

 2 Ch 36, 14-16. 19-23 ; Ps 136 ; 1 Eph 2, 4-10 ; Jn 3, 14-21

Frères et Sœurs,

La passion et la persévérance de Dieu pour accomplir le dessein de son amour qui est le salut du monde n’ont pas beaucoup d’exemples équivalents. Le récit du livre des Chroniques nous le montre même de façon paradoxale. Alors que les appels répétés de Dieu à la conversion pour respecter la sainteté de la maison du Seigneur à Jérusalem étaient restés lettre morte, alors que Jérusalem avait perdu ses remparts et subi l’invasion, alors que les Babyloniens avaient brûlé la maison de Dieu et incendié tous les palais, tout semblait irrémédiablement et définitivement perdu. Et voilà que Dieu, persévérant dans son désir de voir son peuple rétabli et son alliance restaurée, suscite un Sauveur. Mais celui-ci n’est pas le Sauveur auquel on s’attendait. Il n’est pas juif. Il s’agit de Cyrus, c’est le roi de Perse. Pour mener à bien son projet de salut, Dieu va chercher des exécutants en dehors de son peuple et en dehors de l’alliance. Nous disposons de quelques autres exemples à travers la Bible, de païens que Dieu appelle pour montrer le chemin à son peuple. Cela signifie que cette richesse de la miséricorde de Dieu, dont saint Paul parle dans l’épître aux Éphésiens, n’est ni accidentelle ni tout à fait étrangère à la vie des hommes. Si Dieu est miséricorde, la façon dont va le monde doit être transformée. La façon dont les nations, les peuples, les chefs des peuples sont en relation les uns avec les autres va être modifiée. Si Dieu est miséricorde à ce point, cela veut dire que cette perspective doit devenir une clé d’interprétation dans les rapports humains, y compris avec les païens, y compris avec les nations qui ne sont pas inscrites dans l’alliance.

Nous voyons bien que la manière dont beaucoup de nos contemporains interprètent les rapports entre les peuples et les rapports entre les chefs des peuples est davantage commandée par le sens de la compétition, de la volonté de domination, de la confrontation, que par le sens de la miséricorde. Cela apparaît clairement dans un certain nombre de conflits actuels, par exemple en Syrie. Après plusieurs années de guerre, on commence à se dire que, peut-être, des clefs n’ont pas été ajustées ou utilisées à bon escient, et à percevoir que la logique de la confrontation, de la position exclusive ne peut pas conduire à des solutions pacifiques, ni à des solutions politiques, elle ne peut conduire qu’à l’exacerbation de la violence.

Dire de Dieu qu’il est un Dieu de miséricorde n’est pas une facilité ! La miséricorde de Dieu n’est pas un renoncement au jugement moral sur le bien et le mal. Le Dieu de miséricorde n’est pas indifférent aux infidélités que les chefs des prêtres et du peuple ont multipliées, ou à leur imitation des abominations des nations païennes, etc. Il n’est pas un Dieu qui ferme les yeux, pour n’avoir pas à se prononcer ! C’est un Dieu qui voit le mal dont souffrent les hommes, qui voit le mal qui touche le cœur de l’homme et qui cherche les chemins pour ramener la paix et la vie. Celui qui va rendre la vie, c’est celui qui est levé comme le serpent d’airain au désert. Le serpent d’airain, c’était la figure de la source de la mort, car c’étaient les serpents qui apportaient la mort. Moïse, en dressant ce serpent d’airain, donne comme une anti-image de la mort, et ceux qui le regardent sont guéris. L’évangile de Jean, en utilisant cette référence de la période du désert, applique évidemment cette vision à la figure du Christ. Le Christ est dressé comme un signe de mort, et ceux qui lèvent les yeux vers lui, avec foi, sont guéris.

À mesure que nous approchons de la célébration des fêtes pascales, nous savons que pour beaucoup d’hommes et de femmes de notre temps la commémoration de la passion et de la mort du Christ sera interprétée comme elle l’a été par les contemporains, c’est-à-dire comme un signe de la cruauté de Dieu, ou en tout cas de l’indifférence de Dieu. « Si tu es vraiment le Fils de Dieu, alors descends de la croix et nous croirons en toi » (Mt 27,40). C’est la tentation de tous ceux qui vivent le vendredi-saint de regarder la croix comme un signe de condamnation, non seulement de celui qui y est fixé, mais aussi de ceux qui le regardent. Ce que l’évangile de saint Jean nous invite à voir, c’est que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé. La figure du sacrifice du Christ n’est pas une figure de châtiment, mais c’est une figure de réconciliation. Il offre sa vie pour que nous puissions entrer dans la communion avec Dieu.

S’il y a un jugement, ce n’est pas Dieu qui juge ; c’est l’homme qui juge, car le jugement, c’est que les hommes n’ont pas pu accueillir la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. La source du jugement, c’est ce que nous avons dans le cœur ! Ce n’est pas une supposée malice de Dieu.

À mesure que nous approchons de cette célébration de la mort et de la résurrection du Christ, la liturgie nous invite à entrer plus profondément dans cette méditation sur la profondeur de la miséricorde de Dieu, sur l’immensité de son amour, sur l’inventivité dont il fait preuve pour aller à la recherche des hommes jusqu’au don ultime : Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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