Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND pour le congrès de la FNOGEC (Fédération Nationale des Organismes de Gestion des Etablissements de l’Enseignement Catholique) – 5e dimanche de Carême – Année B

Samedi 21 mars 2015 - Notre-Dame de Paris

La grande épreuve de la foi, la tentation éprouvée par les disciples, c’est la difficulté de croire à la glorification du Christ dans l’échec apparent de la Croix. La semaine sainte va nous faire revivre cette expérience. Nous sommes invités à suivre le Christ jusque dans sa mort pour ressusciter et vivre avec lui.

 Jr 31, 31-34 ; Ps 50 ; He 5, 7-9 ; Jn 12, 20-33

Frères et Sœurs,

Ces quelques grecs venus à Jérusalem en pèlerinage pour la fête de la Pâque sont comme une sorte d’avant-garde de toutes les nations qui viendront recevoir du Christ l’accomplissement des promesses de Dieu. Ils ne sont pas juifs. Peut-être même ne sont-ils pas de la catégorie que l’on appelait les « craignant-dieu ». Ils sont simplement des gens qui ont entendu parler de la religion juive, qui s’y sont intéressé, et qui viennent voir de plus près. Parmi ce qu’il y a à voir de plus près, il y a Jésus, dont ils ont sans doute entendu évoquer le nom et qu’ils souhaiteraient rencontrer. Cette demande : « nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21), nous pouvons l’entendre au premier degré : ils voudraient rencontrer Jésus de Nazareth dont on parle tant et qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de voir. Mais l’évangile de saint Jean nous donne immédiatement une autre interprétation, beaucoup plus large, car la réponse du Christ introduit une référence à ce qui va se passer : « l’heure est venue, c’est maintenant, où le Fils de l’homme doit être glorifié » (Jn 12,23). Il ne s’agit plus simplement de voir Jésus mais de découvrir la gloire du Messie, le Fils de l’homme. Le Messie va être glorifié, et nous savons que les disciples en entendant cela peuvent encore imaginer que Jésus va manifester sa puissance. Mais ils ont déjà été préparés et prémunis contre cette tentation : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il ne porte pas de fruit, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle » (Jn 12,25). Il faut bien comprendre que la glorification du Messie passe par sa mort dont ils vont être les témoins dans les jours qui viennent. Pour que l’épreuve qu’ils vont traverser contribue à fortifier leur lien avec le Christ et leur permettent d’entrer dans la perspective propre de Jésus, la voix qui se fait entendre comme un écho de la transfiguration que nous avons méditée à l’entrée de ce carême, dit : « je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ». Ce vocabulaire de la glorification et de la victoire sur le mal ne renvoie pas à l’expérience de la croix. C’est précisément cela qui va être l’épreuve vécue par les disciples : le chemin de cette victoire passe par la mort de leur maître. La gloire du Christ, d’après l’évangile de saint Jean c’est son élévation de terre, c’est-à-dire sa crucifixion. Et pourtant, là où les témoins ne verront qu’un signe de malédiction, un signe de défaite, un signe d’abandon de la part de Dieu, Dieu lui-même dit : « je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore ».

Si la liturgie nous invite à méditer ces phrases du Christ à quelques jours de la semaine sainte, c’est précisément pour nous permettre de comprendre de l’intérieur, les résistances spirituelles auxquelles nous allons être confrontés durant la célébration des jours saints. Quand nous entendrons le récit de la Passion du Christ, le jour du Vendredi saint, ou quand nous en suivrons les étapes dans le chemin de croix, nous serons soumis à la tentation de croire que c’est la fin, que c’est la marque de l’échec de la mission du Christ. En préparant les disciples à cette épreuve, le Seigneur veut leur faire comprendre que c’est précisément au moment où ils ont le sentiment que tout est perdu, que la puissance de Dieu va se manifester et que le Christ se lèvera d’entre les morts.

Nous comprenons à travers l’évangile de Jean, que cette vision du passage de la mort à la vie, n’est pas simplement une clef pour comprendre ce qui va arriver au Christ, mais que c’est aussi une clef pour comprendre ce qui nous arrive, à nous ! C’est ce qui se passe dans notre propre vie, car nous sommes confrontés à la mort, à la mort des autres, à notre propre mort, à l’expérience de la mort qui enténèbre l’existence humaine. Ce chemin de mort qui fait son œuvre en nous est-il vécu dans la foi en la résurrection, ou bien est-il simplement vécu comme l’échec de l’expérience humaine ? C’est pourquoi le Christ appelle ses disciples à suivre son propre chemin : celui qui veut sauver sa vie, la perd… Celui qui vient me servir et me suivre là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur (Jn 12,26). Cet engagement auquel nous sommes invités par la liturgie des jours saints, à mettre nos pas dans les pas du Christ, est un appel non seulement à une compassion profonde par rapport à ce que vit Jésus, mais aussi un appel au don de notre vie, à le suivre, pour vivre nous aussi, dans notre chair, la mort telle qu’elle nous est imposée par la réalité, non pas comme une fin, mais comme le moment où la puissance de Dieu va pouvoir manifester sa gloire et honorer, comme nous le dit l’évangile : « celui qui sert le Christ » (Jn 12,26). Nous comprenons bien que cette perspective croyante, à l’égard de l’expérience humaine, ne s’acquiert pas simplement par des enseignements ou par des efforts de volonté. Elle est le travail intérieur qui s’accomplit à mesure que nous nous engageons dans une véritable communion avec le Christ à travers la prière, la méditation, la contemplation, et que nous entrons dans les sentiments mêmes qui étaient ceux du Christ comme nous le dit saint Paul dans l’épître aux Philippiens.

Ainsi, frères et sœurs, au moment où nous allons entrer dans l’expérience de l’arrestation, du jugement, de l’exécution du Christ, nous sommes invités à mettre nos pas dans ses pas, pour que la lumière de sa résurrection transforme notre manière de vivre et nous aide à comprendre que la puissance de Dieu est plus forte que la mort. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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