Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe chrismale 2015

Cathédrale Notre-Dame de Paris, mercredi 1er avril 2015

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 Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88, 20-22.25.27.29 ; Ap 1,5-8 ; Lc 4, 16-21

Frères et Sœurs, chers amis,

« Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre,
c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » (Luc 4, 21).

Aujourd’hui, comme aux jours de Nazareth, l’Esprit du Seigneur envoie son Serviteur porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. La prophétie d’Isaïe s’est accomplie dans la personne de Jésus de Nazareth. Elle s’accomplit aujourd’hui dans la personne des disciples du Christ. Il leur a donné son Esprit pour qu’ils poursuivent sa mission à travers le temps et l’espace. Comme le Pape François le souligne dans son Exhortation Evangelii Gaudium, Jésus constitue ses disciples en missionnaires. Il fait d’eux indissociablement des « disciples-missionnaires ». Quiconque est agrégé à l’Église par le baptême, quiconque est marqué du sceau de l’Esprit-Saint, est simultanément incorporé au Christ et envoyé par lui en mission.

Il arrive parfois que l’on imagine encore la mission de l’Église sous la forme principale d’une expédition lointaine auprès de peuples inconnus dans des terres nouvellement découvertes. Mais nous savons bien que la réalité est tout autre. Au cours du siècle écoulé, nous avons intégré de nouvelles caractéristiques de la vie de notre société, une société sécularisée, c’est-à-dire une société où les références chrétiennes ne sont plus reconnues comme repères de la culture commune. Elles deviennent l’objet d’une découverte à frais nouveaux et nous sommes chargés de susciter cette découverte et de la développer.

En fait, nous ne sommes pas seulement devant un effacement culturel des références chrétiennes qui serait le fruit d’un oubli ou d’une inculture. Nous sommes devant un projet militant qui hérite, pour une part, des vieux filons anticléricaux du XIXe siècle en feignant de craindre que l’Église puisse exercer un pouvoir occulte. Pour une autre part, il exprime la difficulté des hommes à reconnaître une véritable transcendance. Ce projet militant ne combat pas seulement le catholicisme comme une cible privilégiée. II vise aussi à l’élimination de toutes les religions de l’espace public et notamment de la religion musulmane. Même si certaines revendications laïques ne sont souvent que l’habillage républicain d’un anti islamisme ou d’un antisémitisme larvé et inavoué, elles ne sont pas sans effet sur l’attitude à l’égard du christianisme dans notre société. Nous éprouvons concrètement que ce militantisme aboutit à des aberrations qu’il s’agisse des discussions oiseuses sur les crèches ou sur les menus des cantines ou encore du récent refus de la RATP d’annoncer un concert en faveur des Chrétiens d’Orient dont, par ailleurs, la France prend à cœur d’assurer la défense à l’O.N.U. tandis qu’elle fait légitimement état de l’accueil qu’elle accorde à des chrétiens syriens. Quand l’ignorance culturelle assimile toutes les religions à un modèle unique de croyance et à un unique système de fonctionnement elle devient inapte à une laïcité authentique et elle ouvre le champ social à l’émergence d’un « front des religions ». Si la dérision et la caricature ont leurs auteurs qui doivent pouvoir s’exprimer, une société civilisée ne peut pas réduire le socle culturel de son unité à ce seul modèle. Elle doit sans cesse développer les capacités rationnelles et créatives de ses membres et les faire respecter y compris dans leurs expressions religieuses qui ne sauraient devenir les seules victimes d’une nouvelle censure.

Dans ce contexte polémique, les chrétiens ne peuvent pas se comporter simplement comme les représentants d’un groupe minoritaire qui s’estimerait lésé, fût-il religieux. Nous ne sommes pas à rechercher fébrilement une reconnaissance culturelle et publique et à guetter les signes de la bienveillance des puissants à notre égard. Notre identité n’est pas de cet ordre. Elle est tout à fait compatible avec la méconnaissance, l’injustice, voire la brimade et la persécution. Nous ne demandons rien de plus que ce qui est le droit commun : la liberté de conscience, la liberté de culte et la liberté d’expression garanties par la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Et nous demandons que ces libertés soient respectées non seulement pour les chrétiens mais aussi pour tous les autres et non seulement dans notre pays mais dans tous les pays.

Certains chrétiens vivent cette situation plus difficilement parce que leur appartenance à l’Église repose davantage sur un conformisme culturel que sur une conviction personnelle. Ils sont plus tentés de se poser en victimes d’une prétendue « christianophobie » qu’ils ne se considèrent appelés à la mission de l’Église pour laquelle ils ne se sentent ni légitimes ni motivés. Ils craignent de manifester un particularisme religieux dans une société qui ne connaît que le consensus a minima comme marque de son « vivre ensemble » et qui craint les choix particuliers qui obligent à réfléchir. En invitant le diocèse de Paris à vivre un temps de mission, j’ai souhaité que chacun et chacune des membres de notre Église devienne, à sa mesure, un disciple-missionnaire.

Une fois surmontée l’appréhension de sortir de nos cercles habituels et d’oser annoncer le Christ, la mission de l’Avent 2014, nous a permis d’éprouver la joie de l’annonce de l’Évangile. L’engagement de quasiment toutes les paroisses dans cet élan diocésain a été pour tous l’occasion d’une action missionnaire de l’Église et nous devons d’abord rendre grâce à Dieu de nous avoir associés à son œuvre en faveur des hommes. Beaucoup ont été surpris de l’accueil qu’ils ont reçu et de l’intérêt qu’ils ont rencontré. Tous ont mesuré que la mission n’est pas une aventure individuelle. Elle est une œuvre d’Église dans laquelle chacun surmonte ses appréhensions et ses faiblesses en s’appuyant sur ses frères et, même s’il lui arrive d’en douter, sa propre présence et son action deviennent un soutien pour les autres. Comme le Pape François nous y a appelés dans son exhortation : ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation.

Mais ne nous laissons pas abuser par nos premières impressions. La mission de l’Église n’est pas une simple campagne de marketing dans laquelle l’union des forces serait une sorte de marque de fabrique. Ce qui définit la mission ce ne sont pas les modalités de prospection, c’est le contenu de notre message : l’annonce de Jésus de Nazareth crucifié et ressuscité. Si la communion ecclésiale est une ressource puissante, c’est parce qu’elle est avant tout communion au Christ ressuscité qui est le cœur de notre message. Cette communion est la substance même de notre vie sacramentelle, vie sacramentelle fondée dans notre communion au Mystère pascal du Christ. C’est pourquoi la célébration des Jours Saints dans laquelle nous entrons ce soir, est au cœur de toute notre vie sacramentelle. Les Saintes Huiles que je vais bénir dans un instant uniront les sacrements célébrés dans chacune de nos communautés dans l’unique Mystère Pascal du Christ.

Vous le savez, chaque année des adultes et des jeunes collégiens et lycéens, de plus en plus nombreux, s’approchent du baptême. Cette année, j’ai appelé au baptême 415 adultes et plus de 170 jeunes. Presque chacune des paroisses du diocèse accompagne ainsi plusieurs catéchumènes vers les sacrements. Grâce à l’Huile des catéchumènes, ceux-ci reçoivent de Dieu la force du combat pour leur conversion. De même, des adultes et des jeunes nombreux reçoivent la Confirmation de leur baptême pour une vie plénière dans la communauté ecclésiale. Le Saint-Chrême que je vais consacrer imprimera à chacun et à chacune d’entre eux la marque divine sur leur existence. Ils seront conformés au Christ pour leur vie entière. De même, les séminaristes se préparent avec confiance à s’engager au service du corps ecclésial par l’onction de l’ordination. Ils seront marqués du même Saint-Chrême pour le service du Peuple de Dieu. De même les malades et les personnes souffrantes reçoivent de l’onction de l’huile sainte la force et l’endurance pour vivre leur épreuve dans la communion au Christ en se joignant à l’offrande qu’il fait de sa vie et donnent ainsi à la fin de leur vie un signe de la véritable dignité humaine.

Cette année, notre consécration baptismale prend un relief nouveau. En effet, le Pape François a décidé que 2015 serait une « année de la vie consacrée » et il a invité toute l’Église à rendre grâce pour ce don qui lui est fait et les familles de personnes consacrées à renouveler leur engagement à la suite du Christ. Je profite donc de cette circonstance pour vous inviter à l’action de grâce pour les hommes et les femmes qui sont parmi nous les témoins du don total par amour pour Dieu et pour leurs frères. Lors de la Messe Chrismale, nous avons la joie de voir exceptionnellement les représentantes des communautés contemplatives qui viennent rapporter les registres des catéchumènes que j’ai confiés à leur prière comme chaque année au moment de l’appel décisif. Mais au-delà de celles qui ont ici une mission particulière, nous sommes heureux de voir notre célébration enrichie de la présence et de la prière de nombreux frères et sœurs consacrés qui symbolisent aussi leur engagement dans la mission de notre Église diocésaine. Le 2 février dernier chaque paroisse a lancé une chaîne de prières avec les personnes consacrées du diocèse et je sais que cette communion dans la prière se prolonge et porte du fruit.

Cette année 2015 sera aussi marquée par deux événements internationaux qui solliciteront notre attention et notre engagement. Du 22 au 25 septembre prochain se tiendra à Philadelphie un rassemblement mondial des familles autour du Pape. Évidemment ce rassemblement aura un prolongement certain au mois d’octobre dans la session ordinaire du synode des évêques. Beaucoup de catholiques parisiens ont contribué à la préparation de cette session du synode par leurs travaux en équipes synodales. Je remercie tous ceux et toutes celles qui y ont participé. Je vous invite tous à prier pour le bon déroulement de la session du synode.

Toujours au cours de cette année 2015, Paris accueillera au mois de décembre la rencontre mondiale sur le climat dite Cop21. Bien entendu nous serons sollicités de différentes façons pour accueillir des groupes chrétiens et proposer des animations spirituelles au cours du déroulement de la session. Mais au-delà des charges qui découleront de l’événement, ce sera aussi une occasion pour nous de faire le point sur notre responsabilité et nos engagements dans un usage responsable de la création comme nous y invitait Benoît XVI. Au cours des années écoulées, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de vous alerter sur une nécessité : nous devrons changer notre mode de vie.

Ainsi, le Peuple de Dieu en ce temps est sollicité pour assumer sa mission avec confiance. Dieu a confié son peuple à son Fils unique venu dans le monde pour être notre Bon Pasteur et notre vrai Berger. « C’est lui le pasteur et le berger de nos âmes. » (cf. I Pierre 2,25). Mais quand le moment fut venu de passer de ce monde à son Père, vous savez comment Jésus institua les Douze pour assumer en son nom cette mission proprement pastorale. Depuis cet envoi en mission initial, génération après génération, la mission pastorale a été confiée à des hommes appelés pour être les prêtres du Christ, collaborateurs des évêques. Alors que nous faisons mémoire de cet envoi fondateur, nous vos pasteurs, évêques et prêtres, nous allons renouveler devant vous les engagements de nos ordinations, comme j’inviterai aussi les diacres permanents à le faire après nous.

C’est une occasion solennelle pour appeler tout le peuple chrétien symboliquement rassemblé ce soir à prier pour les prêtres que Dieu lui a donnés pour le conduire, l’enseigner et le sanctifier. Vous devez prier pour eux, non parce que vous avez besoin d’eux, ni parce qu’ils seraient moralement irréprochables ou des leaders performants, mais parce qu’ils sont de pauvres hommes qui ne peuvent et ne doivent accomplir leur mission que par la puissance de l’Esprit. Comme tant de nos contemporains nous sommes faibles et pécheurs et nous avons besoin du soutien quotidien de l’Église et de la miséricorde de Dieu.

Ce soir, je suis heureux de pouvoir parler à l’ensemble des prêtres réunis ici. A chacun de vous, chers frères, je veux exprimer ma fidèle affection et ma reconnaissance pour votre disponibilité à répondre généreusement aux missions que je vous donne et votre dévouement constant au service du peuple qui vous est confié. Grâce à vous, malgré la dureté des temps, notre Église parisienne reste vivante et dynamique. Je sais combien les évolutions que nous vivons vous demandent, d’endurance, de souplesse et de liberté intérieure. Cette liberté intérieure est inaccessible à quiconque n’offre pas sa vie dans un véritable renoncement exprimé par la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Cette maîtrise suppose, nous le savons, une ascèse quotidienne. Mais je ne doute pas que vous trouviez votre joie dans votre service comme je trouve la mienne dans mon service auprès de vous et comme je serai heureux de la partager lors de la journée du presbyterium que nous partagerons ensemble. Aux diacres permanents et à leurs familles, je veux aussi exprimer ma reconnaissance pour leur implication dans la mission commune au service de l’Évangile.

Je veux dire un mot particulier aux jeunes qui sont parmi nous. Soyez à l’écoute des appels du Seigneur dans votre vie, soyez attentifs aux besoins de ceux qui vous entourent. Si vous pensez que notre Église peut et qu’elle doit faire quelque chose pour le salut des hommes et des femmes du XXIe siècle, demandez-vous comment Dieu vous appelle à vous donner dans cette mission. Si votre route a croisé celle de prêtres qui ont eu la chance de pouvoir vous aider dans votre chemin à la suite du Christ, dites-vous que les jeunes qui vous suivent ont, eux aussi, droit à rencontrer des prêtres qui seront leurs guides et ces prêtres de demain, aujourd’hui ils sont parmi vous. C’est à vous que s’adresse l’appel du Seigneur. Que celui qui a des oreilles qu’il entende !

À vous tous présents ici et aux communautés que vous représentez, je souhaite un Triduum pascal très vivant : mettez vos pas dans les pas du Christ et, selon la promesse de saint Paul : « si nous mourons avec Lui avec Lui nous vivrons ». Bonnes et saintes fêtes de Pâques à tous.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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