Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 5e Dimanche de Pâques - Année B

Dimanche 3 mai 2015 - Notre-Dame de Paris

Être chrétien, c’est vivre en communion avec le Christ qui nous communique sa propre vie. En demeurant en lui, nous demeurons en Dieu et ainsi se construit également la communion avec nos frères. Cela implique de vivre les commandements du Christ : aimer Dieu et son prochain, même lorsque cela nous semble plus difficile.

 Ac 9,26-31 ; Ps 21,26-29.31-32 ; 1 Jn 3,18-24 ; Jn 15,1-8

Frères et Sœurs,

Voici le commandement de Dieu : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus-Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Il nous arrive souvent de nous poser des questions pour savoir ce que cela veut dire que d’être chrétien dans le monde de ce temps. Comment pouvons-nous cerner le cœur de l’authentique foi chrétienne ? Comment pouvons-nous identifier ce que Dieu attend de nous ? Quand nous nous posons ces questions, nous percevons qu’elles sont souvent en même temps l’expression de notre duplicité, car à force d’imaginer qu’être chrétien est très compliqué, les détails étant nombreux et difficiles à cerner, nous pourrions avoir une excuse de ne pas y satisfaire… Or l’épître de saint Jean nous révèle le cœur de la foi, et cela tient en quelques mots : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Il ne peut pas y avoir de communion avec Dieu, il ne peut pas y avoir d’entente avec Dieu, il ne peut pas y avoir de prière exaucée par Dieu si nous ne vivons pas dans la foi à son Fils Jésus-Christ. L’image de la vigne que Jésus emploie dans l’évangile de saint Jean renforce encore cette prise de conscience. Il est le seul à pouvoir établir une communion réelle entre Dieu et les hommes. Pour reprendre une formule dans le livre des Actes des Apôtres, « il n’y a pas de nom sous le ciel autre que le sien par lequel nous puissions être sauvés » (Ac 4,12).

Être disciple du Christ, c’est d’abord reconnaître ce rôle incontournable de Jésus de Nazareth pour établir une relation entre Dieu et les hommes. Il ne s’agit pas simplement d’une relation virtuelle comme nous pouvons en établir à travers des réseaux sociaux ou d’une relation vaguement sentimentale comme il peut nous arriver de l’expérimenter quelquefois, mais d’une relation qui touche au plus profond de notre être, et que l’évangile de saint Jean exprime par le mot de « demeurer ». De même que le Fils demeure dans le Père et que le Père demeure dans le Fils, et que cette communion du Père et du Fils établit une vie commune entre le Père et le Fils, c’est la vie du Père qui est transmise par le Fils, et c’est dans cette vie du Père que le Fils puise sa propre vie. De même, Jésus dit à ses disciples qu’il ne peut pas y avoir de véritable vie de disciple si nous ne demeurons pas en Lui et s’il ne demeure pas en nous. C’est-à-dire, ultimement, que par la médiation du Fils, c’est Dieu lui-même qui vient demeurer en chacun d’entre nous, et c’est en Dieu que nous sommes appelés à demeurer.

On peut comprendre que pour beaucoup d’hommes et de femmes à travers l’histoire et à travers l’espace, et aujourd’hui à travers le monde, cette manière de comprendre la relation entre Dieu et les hommes soit l’objet d’un doute, voire même d’un scandale. Que peut-il y avoir en effet de commun entre Dieu et nous ? Comment peut-on imaginer qu’il existe une sorte de sève conductrice de la vie qui circule entre Dieu et l’humanité ? La création, le monde que nous connaissons, et notre propre vie dans ce monde, sont comme une prolongation, un reflet, une expression de la vie de Dieu lui-même. Certes, cela transparaît depuis le récit de la création, à l’origine et au commencement de la Bible, mais on peut reconnaître un Dieu créateur qui reste finalement tout à fait extérieur à sa création et qui lui donne la vie sans pour autant être lui-même impliqué dans cette vie ! La communion que le Christ exprime en disant qu’il demeure dans le Père et que le Père demeure en lui et que nous sommes appelés nous aussi à demeurer dans le Christ, et par le Christ à demeurer dans le Père, nous fait comprendre que tout ce qui fait le tissu de l’existence humaine, les événements auxquels nous sommes confrontés, les décisions que nous sommes amenés à prendre, les choix auxquels nous sommes appelés, tout cela a quelque chose à voir avec Dieu. Dans tout cela, Dieu est impliqué, ou du moins il veut être impliqué si nous lui en laissons l’espace.

Demeurer dans le Christ et que le Christ demeure en nous ! La condition, c’est que nous suivions ses commandements ; mais ce n’est pas simplement acquérir une sorte de sagesse bienveillante ou un catalogue de choses interdites ou autorisées, c’est passer de la parole aux actes, comme nous le dit l’épître de Jean : « n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3,18). Mettre notre foi dans le nom du Fils, Jésus-Christ, pas simplement en paroles, mais en acte et en vérité, cela signifie nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Par conséquent, on ne peut pas essayer de vivre cette communion avec Dieu par la médiation du Christ, sans assumer l’appel à la communion entre les hommes, pour laquelle nous sommes envoyés dans le monde, « celui qui garde ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 3,24). Garder ses commandements, cela veut dire nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, et devenir à notre tour des hommes et des femmes qui mettent le commandement de l’amour en pratique dans leurs relations avec tous les autres, avec ceux que nous connaissons, comme avec ceux que nous ne connaissons pas, avec ceux que nous aimons, comme avec ceux que nous n’aimons pas, avec ceux qui nous ressemblent, comme avec ceux qui ne nous ressemblent pas, avec ceux que nous considérons comme les nôtres, comme avec ceux que nous considérons comme des autres dont nous ne voudrions pas qu’ils viennent perturber l’équilibre de notre société… Être chrétien, c’est aimer comme le Christ a aimé.

Frères et sœurs, dans les périodes troublées et difficiles, il est assez naturel de se réfugier dans une attitude défensive à l’égard des autres, et de perçoir celui qui n’est pas comme nous, celui qui n’est pas de chez nous, celui qui ne partage ni notre culture ni notre foi, comme un danger, peut-être un adversaire, finalement un ennemi. Telle n’est pas la culture chrétienne dont on nous dit qu’elle est la marque de notre société. Si nous sommes vraiment de culture chrétienne, nous ne pouvons pas vivre comme des ennemis vis-à-vis des autres, comme des adversaires, ou comme des gens soupçonneux. Le Christ, lui qui était de condition divine, n’a pas revendiqué le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix, et c’est à ce même amour qu’il nous appelle. Que son Esprit emplisse nos cœurs et les ouvre à la dimension de cet amour. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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