Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 11e dimanche du temps ordinaire – Année B

Dimanche 14 juin 2015 - Notre-Dame de Paris

Au moyen de paraboles, Jésus manifeste la réalité du règne de Dieu parmi les hommes. C’est Dieu lui-même qui le construit. Il ne s’identifie pas aux sociétés temporelles. Les chrétiens ont pour mission de l’annoncer et d’en porter les signes dans la foi, en acceptant de ne pas maitriser la force de Dieu.

 Ez 17,22-24 ; Ps 91 ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4,26-34

Frères et Sœurs,

En ce dimanche nous reprenons la lecture continue de l’évangile de saint Marc que nous allons poursuivre jusqu’au dernier dimanche de l’année liturgique, à la fin du mois de novembre. Cette séquence nous présente des paraboles par lesquelles Jésus essaye de faire comprendre ce qu’il est venu réaliser. Vous vous rappelez peut-être que l’ouverture de cet évangile de saint Marc était marquée par une formule : « le règne de Dieu est proche, convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 1,15). Mais les auditeurs de Jésus, et donc Jésus lui-même, ont été confrontés à une difficulté. En quel sens les juifs comprenaient-ils Jésus quand ils l’entendaient annoncer le règne de Dieu ? Jusqu’à quel point n’avaient-ils pas tendance à identifier ce règne de Dieu avec un royaume terrestre ? Autrement dit, est-ce que l’avènement du règne de Dieu allait être la restauration du royaume de David, l’expulsion des occupants romains, bref une nouvelle figure de la société politique dans laquelle ils vivaient ? Il n’était pas facile de faire comprendre en quoi ce règne de Dieu était différent et original. C’est pourquoi Jésus, pour aider ses auditeurs à comprendre un peu mieux de quoi il parlait, les enseignait par de nombreuses paraboles : « il leur annonçait la Parole (par de nombreuses paraboles), dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre » (Mc 4,33), et il ajoute « il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier » (Mc 4,34). C’est ainsi que nous voyons se dessiner dans la mission du Christ deux niveaux d’auditeurs, ceux qui ont déjà reçu une certaine éducation au discours du Christ, et surtout ceux qui se sont engagés à sa suite et sont devenus ses disciples, auxquels il explique tout. Mais, nous le verrons en poursuivant la lecture de l’évangile de saint Marc, quelque claires que ses explications aient pu être, elles n’ont pas suffi à éclairer les disciples. Par contre, la grande foule des auditeurs ne pouvait accueillir le discours du Christ qu’à la mesure de leur entendement, et c’est pourquoi il s’exprime à eux en paraboles.

Les deux petites paraboles que nous avons entendues sur le règne de Dieu insistent sur un aspect très important : ce ne sont pas les hommes qui construisent le règne de Dieu, pas même les disciples, mais c’est Dieu lui-même qui lui donne vie et croissance. De même que l’homme qui sème une graine en terre ne peut la faire pousser par son désir ou ses propres forces, ni par ses efforts donner une fécondité particulière telle que celle que connaît la graine de moutarde, de même, le règne de Dieu n’est pas au bout de nos efforts. Il n’est pas l’application de nos principes et de nos règles pour transformer la société selon nos désirs. Il est une force considérable si l’on considère ce qui va être produit à partir de la graine de moutarde, mais il est une force mystérieuse si l’on considère comment la graine plantée en terre pousse et donne du grain. Force mystérieuse et puissante, qui traverse les événements et le cours de l’histoire des hommes, sans la transformer de manière visible immédiatement. Ce n’est pas parce que le règne de Dieu s’est fait proche, que les Romains sont partis et que le royaume de David a été rétabli. Ce n’est pas parce que le règne de Dieu est proche de nous, en ce temps que nous vivons, que tous les hommes et les femmes de notre temps vont se mettre à vivre selon les commandements de Dieu. Ce n’est pas parce que le règne de Dieu s’est fait proche que nos sociétés vont s’identifier au règne de Dieu. Et nous savons que c’est une tentation permanente pour les chrétiens, soit de vouloir modeler la société en fonction des commandements de Dieu par la force, le combat, la lutte, et non par la conversion des cœurs, soit, ce qui est encore plus dangereux, de croire que Dieu est impuissant devant les événements auxquels les hommes sont soumis. Nous voudrions que Dieu agisse à notre manière, nous voudrions enrôler la force de Dieu pour mettre en œuvre nos objectifs, mais ce n’est pas de cette façon-là que le Christ annonce le règne de Dieu. Dieu travaille au cœur des événements comme il travaille la liberté et le cœur de tous les hommes, mais d’une façon qui nous échappe et que nous ne maîtrisons pas. Cela s’appelle vivre dans la foi, c’est-à-dire cheminer, non pas dans la claire vision mais dans la confiance en Dieu qui agit. Comme saint Paul le dit aux apôtres aux Corinthiens : « gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur » (2 Co 5,6). Nous savons bien que ce monde n’est pas le règne de Dieu, nous savons bien que par bien des côtés, il est contraire à la volonté de Dieu, aux commandements de Dieu. Mais ce n’est pas parce que nous ne voyons pas comment il va changer, que nous devons douter que Dieu soit à l’œuvre. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas une claire vision que nous devons perdre confiance dans le Seigneur.

Ainsi, nous autres, chrétiens du XXIe siècle, dans cette société sécularisée, nous devons chercher de tout notre cœur comment contribuer à l’action de Dieu en ce monde, nous devons croire de toute notre âme que la conscience des hommes n’est pas encore anesthésiée, nous devons espérer de toutes nos forces que la parole de Dieu continue de parler au cœur de tout homme. Notre mission, c’est d’annoncer cette parole de Dieu, c’est d’annoncer la vie nouvelle que nous avons reçue, de donner dans ce monde des signes visibles qu’il y a quelque chose de neuf dans l’histoire. Mais les signes visibles, nous devons accepter de les porter dans ce temps qui est soumis à la mort, nous devons accepter de les porter sans avoir la claire vision du résultat. Dieu ne nous demande pas de dominer le monde, il nous demande d’être un ferment dans le monde, il nous demande d’être du sel dans la terre, il nous demande d’être une lumière pour le monde, et il nous garantit que c’est lui qui donnera la croissance et la fécondité pour que son règne soit un abri pour tous les êtres vivants.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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