Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour l’unité des Nations à St Denys de la Chapelle avec célébration de quatre baptêmes d’enfants

Dimanche 21 juin 2015 - St Denys de la Chapelle (Paris XVIIIe)

L’épisode de la tempête apaisée est l’occasion pour le Christ de manifester sa puissance sur les éléments naturels sur lesquels l’homme n’a pas de prises. C’est aussi l’image de sa présence agissante dans le monde même s’il n’opère pas de signes extraordinaires. Dans son encyclique "Laudato Si" le Pape nous appelle à prendre soin de la maison commune, beaucoup de sources de destructions pouvant être combattues grâce à des décisions humaines.

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 Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 ; 2 Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41

Frères et Sœurs,

« Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17). Cette déclaration que saint Paul fait aux Corinthiens concerne toute l’histoire humaine, qui est l’histoire du passage d’un monde ancien à un monde nouveau, ou, pour reprendre l’image de l’évangile de saint Marc : le passage d’une rive à l’autre rive du lac, avec Jésus. Dire que le monde ancien s’en est allé et qu’un monde nouveau est déjà né, ce n’est pas si facile à voir et ce n’est pas si facile à éprouver dans notre vie de chaque jour parce que, tant que dure notre vie, d’une rive à l’autre, le monde nouveau qui est déjà né est imbriqué dans le monde ancien qui continue d’exister ! Il n’a pas complètement disparu ce monde ancien… Chacune et chacun d’entre nous est confronté, jour après jour, à la difficulté de faire face aux événements de la vie souvent conditionnés par ce monde ancien.

L’image qui nous est donnée par l’évangile de la violente tempête, des vagues qui se jettent sur la barque, au point qu’elle commence déjà s’emplir d’eau, rejoint bien le sentiment que nous avons quelquefois : dans notre vie, nous devons nous battre contre des éléments déchaînés, et sur lesquels nous n’avons pas beaucoup de prises. On peut corriger et arrêter beaucoup de choses, mais personne encore aujourd’hui n’a pu saisir le vent, ni saisir l’eau. Le vent et l’eau sont impossibles à arrêter. Eh bien, souvent, nous avons l’impression que nous sommes pris dans une sorte de tempête où la violence des événements s’attaque à notre vie, sinon à notre existence pour nous faire mourir, en tout cas à nos moyens de vivre, au petit espace de tranquillité auquel chacun de nous a droit, et qui semble toujours mis en danger par la succession des événements. Tous les hommes et les femmes de tous les temps ont été confrontés à cette hostilité du monde qui les entoure, à ses dangers qu’il peut leur faire courir, aux risques auxquels ils sont exposés. Qui protégera l’humanité de ces risques ? Qui peut mettre en échec des forces qui nous semblent complètement échapper à notre pouvoir ? Ce ne sont ni notre intelligence, ni notre force, ni la puissance des armes, ni la volonté des idéologies politiques, ni la richesse financière qui peuvent arrêter ces forces hostiles. Qui peut nous sauver ? Qui peut, au cœur de ces événements, faire quelque chose pour protéger l’homme ?

Les disciples réveillent le maître endormi dans la barque et lui disent : nous sommes perdus, cela ne te fait rien ? Le maître est endormi dans la barque au cœur de la tempête : cela veut dire pour nous que Jésus est vivant, présent dans l’histoire des hommes mais qu’il semble endormi, absent, on a l’impression qu’il ne fait rien. « Nous sommes perdus et cela ne te fait rien ? » On a l’impression d’être abandonnés aux forces hostiles, et peut-être, comme les disciples, nous reste-t-il juste suffisamment de foi pour nous tourner vers lui et lui dire : réveille-toi, ne nous oublie pas ! Heureusement, nous avons encore ce peu de foi qui nous fait nous tourner vers lui !

Mais l’expérience de la barque nous fait découvrir quelque chose de plus profond. La véritable foi ne consiste pas à croire seulement quand Jésus fait des miracles, ni à chercher à faire intervenir le Christ pour changer le cours de l’histoire des hommes. La véritable foi, c’est croire que le Christ est vraiment présent dans notre vie et dans la vie de l’humanité, même si nous ne voyons rien, même si nous n’entendons rien, même si nous avons l’impression qu’il est endormi et indifférent à ce qui nous arrive. N’avez-vous pas encore la foi ? Si les événements de votre vie font grandir la peur dans vos cœurs, n’oubliez pas que Jésus est là présent, même s’il n’opère pas de signes extraordinaires.

Les disciples sont comme nous ! Ils veulent bien croire mais il faut quelque chose à voir ! Alors Jésus, pour leur montrer qu’il est véritablement le maître, non seulement de leur vie mais des forces du monde, impose silence au vent et à la tempête. Il montre que celui qui peut venir en aide à l’humanité et la sauver, c’est lui, parce qu’il est le maître de tout ce qui vit et de tout ce qui existe. Cette seigneurie du Christ sur le monde, cette force du Christ contre les violences hostiles, cette présence agissante du Christ aujourd’hui, tout cela est déposé entre nos mains. Notre rôle ne consiste pas seulement à réveiller Jésus pour qu’il agisse à notre place, notre rôle, c’est d’agir en son nom !

Dans la semaine écoulée le pape François a publié son encyclique Laudato Si, qui est une hymne à la beauté et à la grandeur du monde mais aussi un appel pressant à chacun et à chacune de ceux qui vivent en ce monde à prendre soin de la maison commune, pour préserver d’abord le présent et ensuite l’avenir de la vie humaine sur cette terre. Il y a beaucoup d’éléments destructeurs, sources de mort à travers le monde, mais parmi ces éléments le Pape nous fait découvrir et souligne que beaucoup dépendent aussi de choix humains, de décisions et de volontés humaines de faire quelque chose pour l’homme et pour le monde.

Alors, un monde nouveau est vraiment déjà né, si nous sommes attentifs à cette présence du Christ dans notre vie, si nous sommes décidés à unir nos forces pour collaborer avec lui pour le salut des hommes, si nous sommes prêts à changer dans notre vie ce qui est source de souffrance, de misère et de mort pour nos frères, si nous sommes prêts à entrer vraiment dans la vie du Christ ressuscité.

Frères et sœurs, en accueillant ces quatre jeunes dans la vie chrétienne, nous posons un acte de foi et d’espérance. Leur vie n’est pas abandonnée aux forces du mal, leur vie est confiée à la présence du Christ, et la présence du Christ, c’est à nous de la rendre visible.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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