Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à Notre-Dame de Paris - 12e dimanche Temps Ordinaire – Année B

Dimanche 21 juin 2015 - Notre-Dame de Paris

Les signes de la messianité du Christ dans l’évangile de Marc apparaissent en particulier à travers le pouvoir de Jésus sur les éléments naturels non maîtrisables pour l’homme. Ces signes révèlent l’avènement du règne de Dieu à chaque instant et à chaque lieu de l’histoire de l’humanité. Nous n’en sommes pas seulement les bénéficiaires, mais nous sommes invités à en devenir les acteurs.

 Jb 38, 1-8-11 ; Ps 62 ; 2 Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41

Frères et Sœurs,

Avec cet épisode de la traversée du lac de Génésareth, l’évangile de Marc inaugure une nouvelle étape dans la manifestation du Christ-Messie. Auparavant, Jésus avait livré une série de paraboles à ceux qui pouvaient le comprendre, ce qu’était le règne de Dieu, ce règne dont l’évangile de Marc avait fait comme le leitmotiv de son récit puisque dès le début de son évangile il affirme : le règne de Dieu s’est fait proche, convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle. A partir de cette traversée du lac, la manifestation du règne de Dieu va prendre une dimension nouvelle, il ne s’agira plus simplement d’un enseignement du Christ, même sous forme de parabole, mais il s’agira de gestes que nous appelons des miracles, que l’évangile de Jean appelle plus volontiers des signes, en tout cas de gestes de puissance par lesquels va apparaître que celui qui les pose, Jésus de Nazareth, exerce un pouvoir réel sur la réalité.

Dans cet épisode de la tempête, le pouvoir du Christ va s’exercer à l’égard des éléments déchaînés, vents violents, tempête, autant d’éléments sur lesquels nous n’avons pas de prise, des éléments naturels qui peuvent entraîner des accidents ou la mort, mais sur lesquels nous ne pouvons pas grand-chose. Nous ne sommes pas capables d’arrêter le vent et ni d’apaiser la tempête. Aussi celui qui va réaliser ce prodige par sa simple parole : « Silence, tais-toi ! » (Mc 4,39) montre en cela combien il n’est pas un homme ordinaire. C’est pourquoi, la conclusion de cet épisode nous fera comprendre la perplexité qui a saisi le cœur des disciples devant ce signe : « Qui est-il donc celui-ci pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4,41). Ils avaient peut-être relativement facilement accepté que Jésus soit un maître de doctrine, et qu’à travers ses paraboles, il leur ait transmis un enseignement. Mais finalement, un maître de doctrine, c’est un homme ordinaire, peut-être doué d’un peu plus de savoir, ou d’un peu plus de sagesse, ou d’un peu plus de conviction, mais il n’est pas d’une autre catégorie. Celui qui peut arrêter le vent et apaiser la tempête n’est pas un homme comme nous. C’est pourquoi cet événement suscite la question des disciples : « qui est-il donc celui-là pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

En poursuivant la lecture de l’évangile de saint Marc, nous verrons que cette question sur l’identité de Jésus va être récurrente et lancinante à mesure qu’il va dévoiler qui il est à travers les gestes qu’il pose, les miracles qu’il réalise, les signes qu’il propose à la foi.

Mais il faut revenir à la pédagogie de l’évangile de Marc qui veut nous faire comprendre que le règne de Dieu s’est fait proche. Il nous faut interpréter ce miracle dans le cadre de cet avènement du règne. Saint Paul dit dans l’épître aux Corinthiens que celui qui « est dans le Christ est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (Co 5,17). L’action du Christ qui stoppe le vent et le tempête ressort de ce monde nouveau qui vient interrompre le cours normal et prévisible du monde ancien. Les disciples, par leurs réactions dans la barque, montrent qu’ils sont encore dépendants de ce monde ancien. Ils sont en péril, « nous sommes perdus », ils n’ont pas encore compris que la présence de Jésus au milieu d’eux était une garantie de salut. Pour le croire et pour le comprendre, il faut que Jésus fasse quelque chose, c’est pourquoi ils le réveillent. Jésus se plie à leur attente en soulignant que c’est à cause de leur manque de foi et il émet cette parole pour apaiser la tempête et arrêter le vent. Ceci éclaire certainement la manière dont nous-mêmes nous sommes participants du monde nouveau du Christ ressuscité. Certes par notre baptême, par notre participation à la vie sacramentelle, par notre méditation de la parole de Dieu nous nous efforçons de participer de cet événement nouveau qui bouleverse le monde, nous nous efforçons de mener une vie nouvelle, d’être des créatures nouvelles, mais par toute une part de notre vie nous demeurons immergés dans le monde ancien auquel nous appartenons, et nous sommes, au long de notre existence, comme l’humanité au long de son histoire, à côté du Christ, ou plutôt le Christ est au milieu de nous mais il semble dormir et ne pas se préoccuper de nos soucis.

Les disciples, s’ils n’ont pas la plénitude de la foi : « pourquoi donc êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (Mc 4,40), ont cependant déjà un commencement de foi suffisant pour se tourner vers lui et le secouer, comme il nous arrive, dans notre vie, quand nous sommes confrontés à des situations difficiles de nous tourner vers le Christ et de faire appel à lui : « nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (Mc 4,38) Mais quand nous faisons cela, nous exprimons d’une part notre foi naissante qui nous fait nous tourner vers le Christ, d’autre part la pauvreté de notre foi qui a besoin de manifestations sensibles pour croire réellement que Jésus peut faire quelque chose.

Mais nous devons encore aller un peu plus loin, car cette présence du monde nouveau, d’une nouvelle manière de vivre, ce signe de la présence du Christ au cœur de l’histoire des hommes, nous n’en sommes pas simplement les bénéficiaires, nous en sommes aussi les témoins et c’est pourquoi nous sommes invités, avec le Christ, à prendre soin de l’humanité dans laquelle nous sommes immergés.

L’encyclique publiée cette semaine par le pape François nous appelle, nous chrétiens, les premiers, mais aussi tous les hommes de bonne volonté, à prendre soin de la maison commune, de cette résidence que Dieu a donnée à l’humanité et dont nous avons la responsabilité, de dégager pour nous et pour nos frères les voies d’une nouvelle manière de vivre qui préserve davantage un équilibre pour l’ensemble des hommes, et pas seulement pour nous, qui préserve davantage l’avenir des générations nouvelles.

En voyant le Christ accomplir ce signe, les disciples disent : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même la mer et le vent lui obéissent ? » (Mc 4,41) Si nous sommes vraiment attachés à changer quelque chose dans les équilibres du monde, pour que le monde nouveau apparaisse davantage dans le tissu du monde ancien qui est le nôtre, peut-être quelques-uns de nos contemporains pourront-ils se demander qui nous sommes, si nous arrivons vraiment à changer le monde. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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