Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe des étudiants d’Île-de-France 2015

Jeudi 19 novembre 2015 - Notre-Dame de Paris

Écouter la voix du Seigneur, c’est aussi dire et déchiffrer les signes des temps. L’actualité nous en propose deux : les attentats dramatiques de Paris et la COP21. Le premier nous appelle à réfléchir sur la tentation d’instrumentalisation de la religion ; le second sur notre responsabilité à l’égard de la maison commune. Quelles sont les véritables valeurs qui nous motivent ? Nous sommes invités à remettre le Christ au centre de notre vie.

 1 M 2,15-29, Ps 49(50) 1-2, 5-6, 14-15 ; Lc 19, 41-44
 Jeudi de la 33e semaine du Temps ordinaire

Frères et Sœurs, Chers amis,

Avec les évêques d’Île-de-France qui m’entourent, les prêtres qui accompagnent vos aumôneries à travers l’ensemble de la région, je voudrais vous adresser ce soir d’abord, en guise d’invitation, le verset du psaume que nous avons chanté tout à l’heure : « aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur mais écoutez la voix du Seigneur » (Ps 94, 7-8). Nous pouvons dire et recevoir quotidiennement ce verset comme une invitation à ouvrir nos cœurs à la parole de Dieu mais aussi -car cette parole nous atteint de toutes sortes de manières- comme une invitation à interpréter des événements et des signes que Dieu nous donne.

L’évangile de saint Luc nous rapporte la prophétie de Jésus sur la destruction de Jérusalem comme un événement qui devait être significatif, ô combien, pour les Juifs qui voyaient dans la ville sainte et dans le temple, le signe de l’alliance et de la présence de Dieu. Le récit du livre des martyrs d’Israël, en rapportant des épisodes de la confrontation avec les puissances païennes, est quant à lui évocateur du conflit permanent qui existe, non seulement dans l’histoire des hommes, mais dans le cœur de chacun d’entre nous, entre la fidélité à la parole de Dieu et le conformisme au comportement général de ceux qui ne croient pas.

Le temps que nous vivons nous propose, bien qu’il soit d’inégales importances, deux signes collectifs, que nous pouvons considérer, non pas simplement dans leur matérialité, mais dans leur signification. Le premier est le signe affreux reçu la semaine dernière à travers les attentats qui ont endeuillé Paris et la France. Probablement parmi vous, un certain nombre ont eu des relations, des amis ou des proches directement touchés par ces attentats. Nous pouvons évidemment considérer cela simplement comme des événements qui marquent les relations entre des puissances ou entre des forces antagonistes, mais nous pouvons aussi les comprendre comme des signes des temps dans lesquels certains ont instrumentalisé la religion au service de la domination des autres et ont résolu de défendre le droit de Dieu en tuant les hommes. Ce n’est pas le Dieu que Jésus-Christ nous a révélé, cela n’est pas le Dieu que la Bible nous a révélé. Le Dieu que nous connaissons et auquel nous sommes attachés n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants. Il ne peut pas prospérer sur la mort de l’homme. Il ne peut venir à notre rencontre que pour nous donner la vie. Ainsi, d’une certaine façon, ces événements tragiques obligent ceux qui essayent de croire en Dieu et d’être fidèles à sa parole, à revisiter l’image qu’ils se font de Dieu et du chemin dans lequel il nous invite à marcher.

Le deuxième événement qui va se dérouler dans quelques semaines à Paris, la COP21, est un autre signe, moins dramatique, du moins dans ces apparences immédiates. Il peut être aussi dramatique à l’échelle universelle, s’il arrivait que les hommes, les femmes de ce temps se révèlent incapables d’arriver aux décisions nécessaires pour maîtriser leur manière d’utiliser le monde. À quoi servirait-il que nous parlions et que nous vivions sans cesse dans la conscience d’une mondialisation et d’une responsabilité commune à l’égard de l’univers si cela ne pouvait jamais se traduire dans des décisions concrètes et applicables ?

Là aussi, notre manière de comprendre notre place dans le monde et la place que Dieu nous y donne provoquent une réflexion nouvelle. C’est pourquoi nous devons être attentifs à ne pas encourir le jugement que Jésus prononce : « Tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait » (Lc 19,44). Évidemment, on entend cette phrase très directement au sens où Jésus se présente comme celui qui concrétise la visite de Dieu. Mais la visite de Dieu aux hommes s’accomplit tout au long de l’histoire et pas seulement dans la période brève de l’incarnation du Fils en Jésus de Nazareth. Dieu visite son peuple sans cesse. Il nous donne des signes de cette visite que nous avons la charge de percevoir et que nous essayons de comprendre. C’est ce que le Pape Jean XXIII avait appelé « les signes des temps », c’est-à-dire la compréhension que le temps que nous vivons, les événements qui surviennent ne sont pas simplement des péripéties de l’histoire mais aussi des messages. Je l’ai évoqué à propos des attentats, à propos de la COP21, mais chacune et chacun d’entre vous pourrait relire aussi une période brève de sa vie, en essayant de reconnaître comment les événements auxquels il a été mêlé, ou qu’il a subi, ont pris un sens particulier et peuvent être compris comme des visites de Dieu.

À nous, il incombe, éclairés par la parole de Dieu et par l’Esprit Saint qui habite nos cœurs, de ne pas passer à côté de ces signes, de ne pas nous laisser prendre par leur immédiateté mais d’aller plus profond et de reconnaître ce que Dieu veut nous faire comprendre. Peut-être, à travers ces événements, avons-nous l’opportunité de faire un nouvel inventaire de ce que nous appelons généreusement des valeurs mais dont nous avons beaucoup de mal à énoncer le contenu… À quoi est-ce que nous tenons ? Qu’est-ce qui est prédominant dans nos objectifs, dans les moyens que nous mettons en œuvre ? Dans la manière dont s’organise notre vie ? Les compagnons de Mattathias ont été sollicités pour devenir les amis du roi en refusant d’entrer dans le geste idolâtrique. Ils ont refusé de se conformer aux normes imposées parce qu’ils estimaient qu’il y avait un enjeu qui dépassait leur propre existence.

Grâce à Dieu, nous vivons dans un temps et dans un régime où la profession de foi n’aboutit pas à la mise à mort mais ce n’est pas parce que l’enjeu est moins important, c’est parce que les mœurs ne sont pas les mêmes. L’enjeu reste le même pour nous. Est-ce que nous voulons être bien vus de tous ? Est-ce que nous voulons être la caution croyante des mœurs des autres ? Est-ce que nous voulons être serviteurs de ce qui domine le monde : la puissance, l’argent, le mépris, la haine ? Ou bien, est-ce que nous voulons essayer de vivre en disciples du Christ en sachant que ce choix de vie, que personne ne nous impose, aura des conséquences ? Nous espérons tous que ce seront des conséquences bénéfiques ! Il peut y avoir aussi des conséquences moins agréables. En tout cas, ce choix nous oblige à une décision de liberté. Il peut aussi provoquer la liberté des autres. Il n’est pas nécessaire d’être asocial pour être chrétien, mais être chrétien ne signifie pas se perdre dans le décor ! Et donc, nous avons à trouver notre chemin dans la fidélité à la parole du Christ et dans la volonté sans cesse renouvelée d’être des interlocuteurs, des partenaires, des pratiquants du dialogue avec tous et avec toutes, c’est-à-dire des gens qui savent qui ils sont, pour aller à la rencontre des autres. Ce chemin se construit tout au long de notre vie, mais il se construit évidemment avec un peu plus d’acuité dans la période où vous vivez au début de votre engagement dans la société.

Nous prierons le Seigneur pour que sa force habite vos cœurs, de telle façon que la rencontre des amis du roi - puisque c’est ainsi que la Bible les appelle - ne soit pas vécue sur le mode du conflit, de la crainte, de l’anxiété, mais sur le mode de la paix et de la sérénité.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris.

Homélies

Homélies