Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’action de grâce pour le ministère parisien de Mgr Renauld de Dinechin à Notre-Dame de Paris – 1er dimanche de l’Avent – Année C

Dimanche 29 novembre 2015 - Notre-Dame de Paris

Il est difficile de croire à la fidélité de Dieu dans les temps troublés. Le dérèglement climatique auquel la COP21 va tenter d’apporter des réponses, les attentats qui ont touché Paris sont des signes dans lesquels nous sommes invités à voir le Fils de l’homme qui vient avec puissance et grande gloire. Sa puissance et sa gloire se sont pas manifestées à travers sa résurrection, sa victoire sur la mort. En marchent vers Noël, nous veillons et nous prions.

 Jr 33, 14-16 ; Ps 24 ; 1 Th 3, 12 — 4, 2 ; Lc 21, 25-28.34-36

Frères et Sœurs,

Quand le prophète Jérémie promettait à Jérusalem d’habiter en sécurité, quand il promettait au royaume de Judas d’être sauvé, ceux qui l’entendaient avaient bien du mal à y croire parce qu’ils connaissaient plutôt le démembrement et l’épreuve pour le peuple élu et pour la cité sainte. Jérémie annonce un « Germe de justice » (Jr 33,15), mais pour l’instant, ce qu’ils voient, c’est l’injustice et la violence. Il n’est pas si facile de croire que Dieu est fidèle quand le monde va mal. Quelle espérance peut-on avoir pour l’avenir ?

Aujourd’hui s’ouvre à Paris une conférence pour mesurer à quel point la dégradation de la planète met en cause l’avenir même de beaucoup de populations dans les décennies ou les siècles qui viennent. Malgré tous les efforts qui pourront être faits, nous savons bien que de telles conférences, jusqu’à présent, n’ont pas redressé la situation.

Il y a quelques semaines la mort faisait irruption dans notre ville de Paris. Aveuglément, elle fauchait 130 personnes. Pendant l’hommage national rendu à ces victimes aux Invalides, je pensais à la parole du Seigneur dans l’Évangile à propos de ceux qui sont morts dans la chute de la tour de Siloé (Lc 13,4). Croyez-vous qu’ils étaient plus pécheurs que les autres ? S’ils n’étaient pas plus pécheurs que les autres, n’importe qui pouvait mourir. Devant ces événements, nous entendons les paroles apocalyptiques par lesquelles Jésus annonce son retour. Les dérèglements de la terre et des cieux, l’affolement et le désarroi des nations, le sentiment que l’être humain, au milieu de cette tourmente, est comme un bouchon balloté par les flots. On ne sait pas ce qu’il va devenir.

On nous appelle à la raison, et il faut nous appeler à la raison pour essayer de maîtriser la destruction de la planète. On nous appelle à la résistance, et il faut nous appeler à la résistance pour que nous ne cédions pas à la peur. Mais, quelle raison viendra à bout de la cupidité des hommes ? Quelle résistance viendra à bout de la lâcheté ? « Quand vous verrez tous ces événements », nous dit Jésus, « redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption est proche » (Lc 21,28). Comment comprendre ces événements ? Faut-il les comprendre simplement comme une fatalité injuste ? Faut-il les comprendre simplement comme un dérèglement du fonctionnement de l’univers ? Faut-il les comprendre même s’ils sont des dérèglements injustes ? Faut-il les comprendre comme des signes ? Si ce sont des signes, cela veut dire qu’ils nous appellent à quelque chose. Ce qu’ils nous appellent à voir, c’est « le Fils de l’homme qui vient avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27). Vous vous direz : mais si le Fils de l’homme vient avec « puissance et grande gloire », comment toutes ces choses-là peuvent-elles arriver ? Vous oubliez que le Fils de l’homme est déjà venu avec puissance et grande gloire, et cela ne l’a pas empêché de mourir sur la croix. Au contraire, c’est dans l’offrande qu’il a fait de sa vie que sa puissance et sa gloire se sont manifestées par la résurrection. Si le Fils de l’homme vient à nous à travers des épreuves diverses, c’est pour aiguiser notre foi, c’est pour solliciter de notre part un acte de confiance dans la fidélité de Dieu.

Beaucoup de nos contemporains s’étonnent en se demandant : quelle terre allons-nous laisser à nos enfants ? D’autres sont saisis de peur en voyant comment des jeunes qu’ils connaissent ou qu’ils ont connus, ont pu être dévoyés vers un chemin de mort. Il n’en est pas ainsi pour nous, car notre confiance est dans celui qui vient : le Christ Jésus. Avec lui, nous pouvons traverser les ravins de la mort sans craindre aucun mal. Avec lui nous pouvons affronter les tempêtes et les ouragans sans péril. A ces événements qui marquent l’histoire des hommes à chaque génération, nous avons notre part, comme nos pères ont eu la leur et nos enfants auront la leur. Ils sont d’abord un appel à reconnaître le Christ qui vient au plus près des pauvres, des blessés, des victimes et leur permet de se remettre debout devant lui. Mais pour que nous puissions discerner cette présence du Christ dans les événements, il faut que notre esprit soit éveillé, vigilant, attentif. Il faut que toujours, nous soyons en communion avec le Christ, pour sentir comment il est présent dans notre vie. Ce que j’ai évoqué de l’histoire des hommes rejoint l’expérience de chacun et chacune d’entre nous. Nous aussi, nous traversons nos tempêtes et nous portons nos blessures. Comment reconnaître la présence aimante de Dieu à travers les épreuves de notre vie si notre cœur n’est pas éveillé, si notre prière n’est pas permanente, durable, fidèle ? Si nous oublions de lever les yeux vers le Seigneur, comment reconnaître le Seigneur sur la terre ?

Cette vigilance et cette prière auxquelles le Christ nous invite pour le reconnaître quand il vient, nous pouvons aussi les exercer les uns envers les autres, comme saint Paul le rappelle dans l’épître aux Thessaloniciens : « Entre vous, et à l’égard de tous les hommes, que le Seigneur vous donne un amour de plus en plus intense et débordant » (1 Th 3,12). Cette vigilance de l’esprit et cette attention du cœur transforment notre manière d’être les uns avec les autres, nous rendent plus fraternels, plus proches, plus complices de chacun et de chacune.

En ce temps où nous marchons vers Noël, que la lumière du Christ éclaire notre route et nous fasse sentir combien il est présent à travers les incohérences, les ruptures, les violences dont nous sommes témoins, combien « il vient avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27). Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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