Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND du Travail - 2e dimanche de l’Avent – Année C

Dimanche 6 décembre 2015 – Notre-Dame du Travail (Paris XIVe)

L’année de la Miséricorde est une réalité historique qui s’inscrit concrètement dans l’histoire des hommes, à l’image des diverses interventions de Dieu dans l’histoire de son peuple. Pour accueillir Messie et Noël, nous sommes appelés à entrer à nouveau dans une logique de conversion. Accueillir la miséricorde doit nous entraîner à vivre une vie nouvelle et à nous approcher du sacrement de la réconciliation.

 Ba 5, 1-9 ; Ps 125 ; Ph 1, 4-6.9-11 ; Lc 3, 1-6

Frères et Sœurs,

À quelques jours de l’ouverture de l’année jubilaire de la Miséricorde, les lectures de ce dimanche vont nous aider à nous y préparer et à entrer dans le chemin qui nous est proposé. Peut-être avons-nous besoin d’entendre que la miséricorde n’est pas simplement une sorte de vague gentillesse de Dieu… On pourrait vivre n’importe comment, puisque de toute façon, à la fin, on sait qu’il pardonnera ! On pourrait faire n’importe quoi parce que l’on serait assuré qu’il fermera les yeux et qu’il ne verra pas ce que l’on a fait.

Cela n’est pas ainsi que la Bible nous fait découvrir la miséricorde. Elle nous la fait découvrir comme une réalité historique, inscrite dans l’histoire des personnes et des peuples ; non comme un nuage indéfini qui planerait indistinctement sur l’humanité, mais comme une action de Dieu destinée à accomplir sa promesse. Dieu l’a manifestée historiquement, comme nous le rappelait le livre de Baruc, en intervenant en faveur de son peuple déporté et dispersé, de façon à le ramener dans sa terre d’Israël et dans sa ville de Jérusalem. Cette intervention de Dieu est une intervention historique située dans l’histoire d’Israël et dont les protagonistes sont connus.

L’évangile de Luc prend soin, avant d’introduire la mission de Jean-Baptiste, d’évoquer le cadre historique et politique de cette mission, en rappelant les personnalités qui avaient le pouvoir, à Rome, en Judée, en Galilée, dans le pays d’Iturée et de Traconitide, en Abilène, et ceux qui avaient le pouvoir au Sanhédrin, les grands prêtres Hanne et Caïphe. Là encore, l’intervention de Dieu ne se situe pas dans un espace et un temps indéfinis mais dans un cadre historique dont les protagonistes sont connus et inscrits dans l’histoire. On est capable de les placer dans l’échelle des événements qui ont marqué l’humanité.

C’est donc d’abord sur cette dimension historique de l’intervention du salut, que je voudrais attirer votre attention. L’année de la Miséricorde décidée par le Pape, n’est pas simplement une démarche de piété intemporelle qui s’étendrait indistinctement, de toute façon, à travers le monde ! C’est une démarche concrète qui concerne l’histoire du peuple de Dieu, l’histoire de l’Église, l’histoire de chacune de nos existences. Dieu, nous dit le prophète Baruc, a aplani les collines et les montagnes, comblé les ravins, redressé les chemins tortueux, pour permettre le retour de son peuple à Jérusalem. Et voici qu’à l’accomplissement des temps, sous le règne de l’empereur Tibère, il envoie à nouveau quelqu’un pour tracer une route à travers le désert. Ce quelqu’un, c’est Jean-Baptiste. Mais nous comprenons en entendant la prédication de Jean-Baptiste, qu’il ne s’agit plus simplement de tracer un chemin dans le désert. Il s’agit d’ouvrir un chemin pour que le Christ puisse venir en nos cœurs. Sa prédication est l’annonce d’une bonne nouvelle : Dieu va venir une fois encore au secours de son peuple. Cette bonne nouvelle doit provoquer en nos cœurs comme dans le cœur des auditeurs de Jean-Baptiste, la prise de conscience qu’il y a dans notre monde, et dans chacune de nos vies, des résistances et des obstacles qui vont se mettre en travers de l’avènement du Messie, en travers du chemin par lequel Dieu veut manifester son salut à tout être vivant.

Ainsi, cette annonce de l’intervention toute puissante de Dieu en faveur des hommes s’accompagne inévitablement d’un appel à aplanir les chemins du Seigneur dans nos vies, à raboter les obstacles, à tracer un chemin de conversion. Nous nous préparons à accueillir le Messie dans la célébration de la nativité en entrant dans cette logique de la conversion, c’est-à-dire en accueillant l’invitation à recevoir le baptême de conversion pour le pardon des péchés. Nous sommes tous pécheurs. Tous, nous participons plus ou moins à la résistance que le Messie va rencontrer au long de son chemin. Tous, nous sommes appelés à accueillir celui qui va apporter le salut de Dieu en nous détournant de notre péché pour ouvrir pleinement notre cœur à la puissance de la Miséricorde. Ce renoncement au péché que l’on appelle la conversion n’est pas une compétition d’efforts moraux. Entrer dans le chemin de la conversion, ce n’est pas décider que nous allons devenir parfaits pour n’avoir pas besoin d’être sauvés. Entrer dans le chemin de la conversion, c’est reconnaître que c’est Dieu lui-même qui va manifester son salut, c’est Dieu lui-même qui va prendre sur lui notre péché, c’est Dieu lui-même qui va bouleverser nos cœurs au point de pouvoir nous décider à changer de vie.

Peut-être vous rappelez-vous qu’après la résurrection du Christ, quand Pierre adresse son discours aux pèlerins présents à Jérusalem en leur annonçant que Jésus est ressuscité des morts, ses auditeurs, d’après le livre des actes des Apôtres, eurent le cœur transpercé et dirent : « Frères, que nous faut-il donc faire ? » (Ac 2, 37). Le premier temps de la conversion, c’est cette émotion du cœur qui est touché par l’irruption de l’amour de Dieu. Alors que nous vivons dans un monde où, pour reprendre la formule de François d’Assise, « l’amour n’est pas aimé », nous découvrons que Dieu dans sa miséricorde ne cesse pas de manifester son amour. Quels que soient nos péchés, leur gravité, leur nombre, quelle que soit la tristesse dans laquelle nous pouvons vivre en raison du mal qui nous affecte, quelles que soient nos résistances, la volonté de Dieu accomplit sa justice. Dieu vient toucher chacun de nos cœurs.

Ainsi, frères et sœurs, tout au long de cette année de la Miséricorde, le Pape nous invite à nous émerveiller de cette tendresse de Dieu à l’œuvre. Il nous invite à reconnaître que Dieu n’est pas un Dieu vengeur mais un Dieu qui pardonne. Il nous invite à découvrir le pardon de Dieu, non pas dans une sorte de rêve éveillé, mais dans la continuité de notre existence, dans les événements de notre histoire, dans ce que chacun et chacune d’entre nous est appelé à vivre.

Aussi, accueillir l’annonce de la miséricorde de Dieu, c’est faire retour sur nous-mêmes et nous laisser emporter par l’enthousiasme de cet amour pour que nous vivions une vie nouvelle et que nous nous approchions du pardon.

Que cette année de la Miséricorde soit pour chacun et chacune d’entre nous une occasion d’accueillir le pardon de Dieu dans sa vie, en particulier par le sacrement de la réconciliation. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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