Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de minuit - Noël 2015

Cathédrale Notre-Dame de Paris

Homélie du cardinal André Vingt-Trois
Is 9,1-6 ; Ps 95 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14

Frères et Sœurs dans le Christ,

Peut-on se laisser emporter par la joie de Noël dans les temps que nous vivons ? Sommes-nous victimes d’une naïveté inconsciente ou d’une illusion qui nous permettrait d’oublier, au moins pendant quelques instants, la réalité de l’histoire humaine, ses contraintes, ses violences, sa cruauté ? Vivre ce Noël 2015 à peine quelques semaines après les attentats qui ont ensanglanté notre ville et causé tant de blessures physiques et morales nous accule forcément à nous poser ces questions. Pire encore, faut-il nous laisser circonvenir par les théoriciens de l’athéisme qui imputent aux religions, et spécialement aux monothéismes, la violence qui traverse toute l’histoire de l’humanité ?

1. « La grâce de Dieu s’est manifestée. »

La naissance de Jésus dans la nuit de Bethléem adresse à l’humanité un message d’espérance. Une lumière s’est levée dans la nuit. Mais quelle est donc cette espérance ? C’est la reconnaissance du fait qui nous est rapporté par l’évangile que nous avons entendu : Dieu a visité son peuple. La grande diversité des religions, à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés, nous interdit d’éviter une question : à quel Dieu croyons-nous ?

Pour ceux qui ne croient pas, l’histoire de la naissance de Jésus dans l’insécurité de la nuit de Bethléem peut provoquer un certain attendrissement ou susciter une interprétation politique sur les injustices de notre société. Mais la foi chrétienne nous invite à aller plus loin. Elle nous demande de reconnaître dans cet enfant la réalité de Dieu lui-même. En cela, la foi chrétienne n’est assimilable à aucune autre quand elle affirme que Dieu se fait homme. Notre célébration de la Nativité n’est donc pas simplement un souvenir ému de la naissance de Jésus. Elle est une profession de foi sur le Dieu auquel nous croyons.

Nous croyons que Dieu ne s’est pas contenté de créer le monde et de lancer l’histoire humaine sans plus se mêler de rien. Il est continuellement à l’œuvre dans l’histoire des hommes. Il est le Dieu proche de nous, le Dieu qui se fait proche de l’humanité en risque de perdre la vie, comme nous le présente la parabole du Bon Samaritain. Il est le Dieu qui veut la vie et le bonheur des hommes au point de prendre sur lui les pesanteurs et les drames de l’existence humaine. Il n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants.

À la lumière de cette révélation de la présence de Dieu à l’humanité, nous comprenons ce que veut dire le Pape François quand il dénonce, en les accusant de blasphème, ceux qui sèment la mort au nom de Dieu. Cette participation de Dieu à la réalité humaine nous aide à comprendre comment la tradition chrétienne a pu susciter une conception de l’être humain d’une exigence extrême. Comment promouvoir le respect absolu de toute personne humaine sans nous appuyer sur cette certitude que toute personne, quel que soit son état physique ou mental, est liée indissolublement à la réalité de Dieu ?

Le Dieu auquel nous croyons n’est pas un Dieu sans communication avec les hommes. Il n’est pas simplement le juge ultime de leurs actions. Il n’est pas le moloch qui exige d’eux des sacrifices sanglants. Il est celui qui nous a tant aimés qu’il a envoyé son Fils, son unique, pour que nous croyons et que nous soyons sauvés. (cf. Jn 3). C’est lui-même qui s’est offert en sacrifice.

2. L’espérance chrétienne.

Notre certitude que l’humanité n’est pas abandonnée aux aléas des événements et ballotée sans indication ni boussole nous permet d’affronter les vicissitudes de l’existence sans être écrasés par ce qui arrive. Nous ne vivons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance et qui ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Nous savons que notre humanité est précieuse aux yeux de Dieu. En la personne de Jésus, Dieu nous envoie un sauveur comme l’ange l’annonce aux bergers.

Notre foi en la promesse de Dieu se vérifie par la naissance du Messie et s’approfondit et se fortifie par la connaissance de la vie de Jésus et par les signes qu’il a donnés que le règne de Dieu est proche. Par son enseignement et son action, il a manifesté la réalité du salut jusque dans le don de sa propre vie pour que nous « ayons la vie et que nous l’ayons en plénitude. »

Le récit de l’évangile de la Nativité, comme toute la vie de Jésus de Nazareth, met sous nos yeux la condition nécessaire pour que nous entendions ce message d’espérance. Cette condition, c’est la pauvreté. Quiconque est comblé par des richesses ne cherche et n’attend rien. Quiconque est convaincu d’être juste par lui-même n’a pas besoin de sauveur. Seuls ceux qui éprouvent les manques de leur existence, -qu’il s’agisse de manques matériels ou d’inquiétudes morales ou spirituelles-, seuls ceux-là sont vraiment dans l’attente et le désir d’être secourus.

Rappelons-nous les paroles de Jésus dans l’évangile : « L’Esprit du Seigneur m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. » (Luc, 4,18) et : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Luc 9,21). Cette expérience de la pauvreté peut nous être imposée par les circonstances de la vie. Elle peut aussi être le fruit de notre lucidité sur nos faiblesses et de notre confiance en celui qui est venu sauver ce qui était perdu.

Mais notre véritable conversion, pour laquelle nous devons prier cette nuit, c’est d’accepter de reconnaître le sauveur dans le signe que Dieu a donné aux bergers, comme il nous le donne à nous : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Quel déplacement nous devons opérer pour reconnaître le sauveur tout-puissant dans la réalité de la faiblesse et de la dépendance totale du bébé nouveau-né !

3. L’année de la miséricorde.

Le Christ nous appelle à « vivre dans le temps présent de manière raisonnable et juste », à devenir « un peuple ardent à faire le bien ». Frères et Sœurs, ne nous laissons pas entraîner dans la violence si répandue dans notre société. Nous souffrons de la violence des attentats, mais soyons attentifs à ne pas devenir nous-mêmes des agents de violence. Dans notre vie sociale, en famille, dans notre travail, dans nos loisirs, dans nos relations, ne cédons pas à la tentation de relations polémiques entretenues par des présentations médiatiques excessives. Devenons des artisans de paix et de réconciliation. En ce temps de Noël, pourquoi ne pas chercher avec quelle personne vous pourriez faire la paix ?

Notre célébration de cette année est évidemment marquée par l’appel du Pape François à vivre une année jubilaire : l’année la miséricorde. C’est une joie de mieux prendre conscience de la miséricorde de Dieu et quand pourrions-nous mieux le faire que dans la fête de la Nativité lorsque Dieu nous dévoile à quel point il a aimé le monde et jusqu’où il va pour apporter aux hommes le salut ?

Au moment où nous contemplons le Christ dans sa pauvreté, Dieu nous donne la possibilité d’être touchés par l’amour qu’il nous manifeste, de mesurer combien nous répondons faiblement à cet amour. Comme les auditeurs de Jean-Baptiste, comme les auditeurs de Pierre à la Pentecôte, nous sommes assez ébranlés par tant d’amour que nous pouvons dire : « Que nous faut-il donc faire ? » Et nous devons accueillir la réponse qui nous appelle à la conversion du cœur et à la réception du pardon. Entendons la parole du Pape François : « À quoi bon ouvrir des portes saintes dans les basiliques si nous gardons fermées les portes de nos cœurs ? »

Le pardon que nous pouvons recevoir par le sacrement de la Réconciliation est le premier pas pour mener une vie renouvelée en accomplissant les œuvres de la miséricorde : vivre pratiquement la charité dans nos relations habituelles et aller au secours des pauvres et des démunis.

En fêtant celui qui n’avait pas trouvé de place à l’hôtellerie de Bethléem, pensons à ceux qui ne trouvent pas leur place dans notre société, à ceux qui n’ont plus leur place dans leur pays, à ceux que nous voudrions ne pas voir chez nous où ils sont aussi chez eux.

Que Dieu vous comble de la joie de sa venue en notre chair. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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