Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe et dédicace du nouvel autel – Fête de l’Épiphanie

Dimanche 3 janvier 2016 - Notre-Dame des Champs (Paris 6e)

Les mages représentent les nations païennes qui viennent adorer le nouveau-né. Jésus se révèle à la fois comme Messie Sauveur et comme Roi des Juifs. Cette bonne nouvelle est destinée au monde. Les chrétiens rassemblés le dimanche pour célébrer l’eucharistie autour de l’autel, signe de la présence du Christ au milieu de la communauté, sont invités à porter cette nouvelle au monde et à partager l’espérance qui les habite.

 Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12

Frères et Sœurs,

La tradition chrétienne, à la suite de l’évangile de saint Matthieu, a vu dans ces trois mages le symbole des nations qui se réunissent devant le Christ, accomplissant ainsi la vocation universelle d’Israël et de Jérusalem, dont le prophète Isaïe nous a rappelé la dimension prophétique : « de toutes les nations ils viennent vers toi, Jérusalem », parce que c’est là que doit se révéler le mystère du Salut que Dieu veut opérer pour le monde. Ces trois mages représentent donc les nations païennes qui viennent adorer le nouveau-né et ils nous font découvrir quelque chose de neuf dans la nuit de Bethléem. Au moment de sa naissance, le message des anges annonçait un sauveur, c’était parler la langue d’Israël pour désigner le Messie. Ces païens venus de l’Orient cherchent le roi des Juifs, et nous découvrons ainsi que cet enfant couché dans une mangeoire est le Messie sauveur en même temps qu’il est le roi des Juifs. Ainsi, nous découvrons comment à travers sa vie, ses enseignements, les signes qu’il va produire, Jésus accomplit la promesse de Dieu à son peuple de le rassembler comme un berger rassemble son troupeau.

Cette annonce, pleine d’espérance, non seulement pour Israël mais pour le monde entier, nous invite donc, et c’est le sens de cette fête de l’Épiphanie - la manifestation de Dieu parmi les hommes - à ouvrir le champ de notre attention, non seulement aux affaires internes de notre communauté mais aussi aux dimensions du monde entier, ce monde qui est devenu si proche par les moyens de communication dont nous disposons et qui demeure en même temps si lointain et étranger. La bonne nouvelle que nous avons reçue est donnée non pas seulement pour notre salut, pour notre bien-être, pour notre espérance, elle nous est donnée comme une bonne nouvelle destinée au monde. La manière dont le récit de l’évangile de saint Matthieu met en scène cette dimension universelle de la bonne nouvelle, à travers l’adoration des trois mages dans la grotte de Bethléem, est une leçon pour notre manière de vivre simultanément et d’un même mouvement, la communion avec le Christ et l’ouverture aux dimensions du monde. En effet, l’événement de l’adoration des mages est très intime, sans publicité au moment où il se déroule, et pourtant lourd d’une vision universelle, mais qui reste encore implicite. A travers ces trois personnages symboliques, c’est la dimension du monde entier qui est entrée dans la grotte de Bethléem.

De même, quand nous sommes rassemblés par l’Esprit Saint pour célébrer l’eucharistie et que nous essayons, du mieux que nous pouvons, d’entrer dans une relation de communion étroite avec le Christ, tout ce qui existe autour de nous en dehors de notre Église, dans les rues de cette ville, dans les pays du monde, tout cela reste majoritairement indifférent à ce que nous vivons dans cet instant particulièrement intense. Les églises pleines - comme l’est la nôtre aujourd’hui - les églises vivantes comme elles se manifestent non seulement dans notre pays, mais dans beaucoup d’autres pays du monde, à travers la fidélité et le dynamisme des chrétiens, n’intéressent pas l’actualité du monde. Et pourtant, et c’est le but de notre foi, ce que nous vivons dans la discrétion et l’indifférence générale est un événement qui concerne tous les hommes. Ce n’est pas simplement une obligation personnelle qui nous conduit à venir célébrer l’eucharistie, ce n’est pas seulement un rite communautaire de l’Église qui l’incite à se rassembler semaine après semaine, c’est le cœur même de sa mission dans le monde : puiser dans le don que Jésus fait de sa vie, la conviction que ce qu’il a fait, ce qu’il a dit, et ce qu’il vit est destiné à l’univers entier. Ainsi, quand nous nous approchons pour célébrer l’eucharistie, chacune et chacun d’entre nous vient avec ses préoccupations, ses intentions, ses soucis, ses joies aussi. Il porte dans son cœur quelques dizaines de personnes auxquelles il est attaché, et en même temps, il porte dans sa démarche et dans sa prière tous les événements qui marquent la vie des hommes. On ne peut pas célébrer l’eucharistie comme s’il ne se passait rien, comme si rien n’existait en dehors des murs où nous sommes rassemblés. Et non seulement on ne le peut pas, mais ce serait contradictoire avec le geste que nous accomplissons en nous unissant dans la prière. Aussi, consacrer le nouvel autel de cette église comme le signe de la présence du Christ, comme le signe visible de la communion à laquelle nous sommes appelés, ce n’est pas oublier les soucis du monde, c’est les porter dans notre cœur et notre prière avec la conviction que ce que nous entendons de la parole de Dieu, ce que nous accueillons dans le secret de notre cœur, ce que nous partageons dans la communion eucharistique, est le ferment et la source d’une énergie nouvelle pour aller au-devant de nos frères.

Le prophète Isaïe nous disait : « Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples » (Is 60,2). Nous savons que cette vision d’une nuit qui couvre la terre et les peuples n’est pas simplement une vision poétique. Nous savons que dans la réalité, aujourd’hui à travers le monde et même dans notre pays, des multitudes d’hommes et de femmes voient leur vie couverte de ténèbres : ils ne voient pas comment quelque chose pourrait changer dans leur existence, ils ne voient pas quelle lumière pourrait éclairer leur chemin. La mission de l’Église, dans cette détresse permanente et sans cesse renouvelée et réactualisée de l’humanité, est à la fois une mission de proximité, se faire proche de ceux qui souffrent et de ceux qui sont rejetés, et en même temps une mission prophétique manifestée par notre espérance : nous croyons réellement qu’une lumière s’est levée dans la nuit.

Que cet autel qui sera dorénavant le centre de la vie ecclésiale de cette communauté, soit le signe de cette volonté de se faire proche de tous et qu’il soit le signe de la lumière que le Christ apporte au monde.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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