Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND de l’Arche d’Alliance et baptême d’un enfant – Solennité du Baptême du Seigneur – Année C

Dimanche 10 janvier 2016 - Notre-Dame de l’Arche d’Alliance (Paris XVe)

Le baptême de Jésus est la troisième étape de la manifestation de l’amour de Dieu pour les hommes. Jésus est le Messie, le roi d’Israël, et aussi le Fils bien-aimé du Père. Cette troisième manifestation est destinée à tous ceux qui désormais seront témoins des actes qu’il va poser. Notre baptême révèle notre place dans le peuple de Dieu et nous identifie au Christ. L’Année de la Miséricorde exprime particulièrement l’amour de Dieu pour l’humanité.

 Is 40,1-5.9-11 ; Ps 103, 1-4.24.25.27-30 ; Tt 2,11-14 et 3,4-7 ; Lc 3,15-16.21-22

Frères et Sœurs,

Avec la célébration du baptême du Christ, la liturgie complète la série des fêtes au cours desquelles nous avons célébré la manifestation de l’amour de Dieu pour les hommes : la fête de la Nativité, la fête de l’Epiphanie. Mais alors que dans la nuit de Bethléem, seuls quelques bergers alertés par les anges ont pu se joindre à Marie et à Joseph, alors que pour l’Epiphanie trois mages venus des lointains pays de l’Orient ont pu vénérer celui qu’ils considéraient comme le roi d’Israël, pour le baptême de Jésus, nous franchissons une étape nouvelle, non seulement parce que désormais Jésus est adulte, mais surtout parce qu’il y a là une foule attirée par Jean-Baptiste, et dont l’évangile nous dit qu’elle était « en attente » (Lc 3,15), en attente de celui que Jean-Baptiste annonçait. Et voici que le baptême de Jésus par Jean-Baptiste va être l’occasion d’une manifestation proprement divine. Il ne s’agit plus des anges de la nuit de Bethléem, il ne s’agit plus de l’étoile que les mages ont suivie, il s’agit d’une manifestation de Dieu lui-même : les cieux se sont ouverts, l’Esprit est descendu sous la forme visible d’une colombe et la voix venant du Ciel dit : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (Lc 3,22). Dans la nuit de Noël les bergers étaient invités à vénérer le Messie, les mages sont venus vénérer le roi d’Israël, les pécheurs qui sont venus recevoir le baptême de Jean-Baptiste sont invités à reconnaître le Fils bien-aimé du Père, qui lui donne toute sa joie.

Évidemment, nous sommes des esprits logiques, et l’on interroge toujours le texte de l’Évangile avec notre logique humaine. Qu’est-ce que cela peut bien changer pour Jésus ? N’était-il pas déjà le Fils bien-aimé du Père ? En quoi cette manifestation publique ajoute-t-elle quelque chose ? N’était-il pas le Fils de Dieu la veille ? Est-il devenu le Fils de Dieu le lendemain ? Est-ce que le baptême du Christ a changé quelque chose ? C’est compter sans un élément décisif que l’évangile nous rappelle : ce n’est évidemment pas seulement pour le Christ que les cieux se sont ouverts, que l’Esprit est apparu sous la forme d’une colombe, que la voix s’est fait entendre, c’est pour tous ceux qui sont témoins de l’événement. Dans le même évangile de Luc, cela a été répété à plusieurs reprises : l’enfant né de Marie est le Fils de Dieu. Mais qui sait que cet enfant est le Fils de Dieu ? Pas même les bergers, pas même les mages ! Comment son identité de Fils de Dieu va-t-elle apparaître de telle façon que cela ne soit pas simplement une certitude personnelle mais un fait qui touche celles et ceux qui vont être témoins de ses enseignements, des signes qu’il va donner, des guérisons qu’il va opérer, des appels à la conversion qu’il va adresser. Celui qui va parler désormais, à partir du moment de son baptême, sera Dieu lui-même, Fils bien aimé du Père. Cette transformation touche donc non pas l’identité de Jésus mais sa visibilité. Comment la réalité profonde de la personne de Jésus va-t-elle être visible pour tous ceux qui l’entourent ? C’est le sens de l’acte baptismal par lequel Jean-Baptiste provoque l’ouverture des cieux, la venue de l’Esprit et la parole du Père.

Cet événement dans la vie de Jésus est aussi un événement dans notre propre vie. Il est heureux aujourd’hui que par le baptême d’un enfant durant cette messe, nous soyons en situation de mieux comprendre ce qu’est le baptême du Christ. En effet, beaucoup de nos contemporains, et même des chrétiens sincères et probablement convaincus, ne voient pas bien à quoi cela sert de baptiser un enfant. Qu’est-ce que cela change ? N’était-il pas enfant de Dieu dès sa naissance ? Et même bien avant si on en croit le prophète qui nous dit que dès le sein de sa mère, déjà Dieu le voyait et avait un projet pour lui ! Est-ce que cet enfant, avant d’être baptisé est moins fils de Dieu qu’après son baptême ?

Si nous nous plaçons sur ce terrain de l’identité profonde, mystérieuse et invisible, nous n’avons pas de moyen de comprendre. Mais nous sommes des hommes et des femmes qui vivons dans un univers de communication et de signes. Nous ne croyons pas simplement parce que nous sommes convaincus que c’est ainsi, nous croyons parce que des signes sont produits et expriment la réalité. En faisant entrer cet enfant dans l’Église, ses parents manifestent aux yeux de tous et à leurs propres yeux déjà, que cet enfant n’est pas simplement un petit d’homme, mais que c’est un enfant qui a une place dans le peuple de Dieu, dans l’Église de Dieu. Cela veut dire que sa vie « visible » exprime quelque chose que nous ne voyons pas. Mais ce n’est pas parce que nous ne le voyons pas que cela n’existe pas. Ce que nous ne voyons pas, c’est qu’il n’est pas seulement enfant de sa mère et de son père, il est enfant de Dieu et cette identité d’enfant de Dieu va se manifester à travers l’acte de son baptême par lequel il est identifié au Christ lui-même. Aussi, la parole venue du Ciel disant sur Jésus : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (Lc 3,22), devient une parole qui repose sur chacune et chacun de ceux qui se présentent au baptême et qui reconnaissent Dieu comme leur Père.

C’est cette démarche qui constitue pour chacun et chacune d’entre nous notre identité de fils de Dieu, non pas simplement comme une identité secrète et enfouie, mais comme une identité qui construit et élabore une relation entre les membres de l’Église. Puisque nous sommes tous enfants de Dieu, nous sommes tous unis dans le Christ, nous sommes tous frères dans le Christ. Par conséquent, le baptême constitue un moment important pour la vie de cet enfant -même s’il n’en n’a pas encore conscience-, pour la vie de ses parents qui le portent -et qui eux en ont conscience-, mais encore pour la vie de toute l’Église qui reconnaît à travers lui le don que Dieu fait aux hommes dans la personne de Jésus.

Nous sommes entrés, depuis le mois de décembre, dans l’Année de la Miséricorde. Nous y sommes entrés avec confiance, avec générosité, parfois sans trop bien savoir ce que cela veut dire mais c’est le mystère de la richesse des mots qui peuvent porter beaucoup de sens. Nous sommes entrés dans l’Année de la Miséricorde, cela veut dire que nous sommes entrés dans un temps pour nous ouvrir de façon plus complète aux manifestations de l’amour de Dieu à l’égard de l’humanité, de ceux et celles qu’il a choisis pour devenir les membres de son Église, mais au-delà d’eux, à l’égard de toutes celles et tous ceux qui cherchent à connaître une vie meilleure, comme nous le disait l’épître de Paul à Tite : « Pour que nous apprenions à vivre, que nous devenions un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2,14). Cet appel à la miséricorde s’appuie historiquement sur les signes que Dieu donne de sa miséricorde, en particulier par la naissance de Jésus dans la nuit de Bethléem, et par son baptême où il reçoit, pour le bien de tous, son identité de Fils unique de Dieu.

Nous savons que Jésus est Fils de Dieu par nature, c’est-à-dire que c’est sa véritable identité, son unique identité. Nous nous sommes fils de Dieu par adoption, c’est-à-dire que nous devenons fils de Dieu en Lui, et que se dévoile ainsi le mystère de la vocation humaine à travers le temps, à partir de la multitude des hommes et des femmes qui ont peuplé le monde et qui le peupleront. Dieu veut se constituer un peuple de fils et de filles pour constituer une famille qui est la famille de son amour. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies