Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à Notre-Dame de Paris avec les Diacres permanents et leurs épouses, et en présence des acteurs et personnes accueillies lors de la 8e opération Hiver solidaire sur le diocèse – Solennité du Baptême du Seigneur – Année C

Dimanche 10 janvier 2016 - Notre-Dame de Paris

Le baptême du Christ vient conclure les manifestations préparatoires au ministère de Jésus. Jésus est apparu ainsi comme le Sauveur, le Roi des Juifs et le Fils de Dieu. En révélant cette identité, le baptême de Jésus par Jean-Baptiste permettra par la suite aux témoins de ses paroles et des signes de Jésus de les saisir dans leur dimension divine. Par le baptême nous devenons fils de Dieu par adoption en celui qui est Fils par nature. Nous sommes invités à en témoigner.

 Voir l’album-photos de la célébration.

 Is 40,1-5.9-11 ; Ps 103, 1-4.24.25.27-30 ; Tt 2,11-14 et 3,4-7 ; Lc 3,15-16.21-22

Frères et Sœurs,

Avec la célébration du baptême du Seigneur, la liturgie conclut les manifestations préparatoires au ministère de Jésus. Dans la nuit de Bethléem -nous en avons fait mémoire pour la fête de la Nativité- les bergers sont venus adorer le Sauveur. Ensuite les mages venus d’Orient, guidés par une étoile, étaient à la recherche du roi des Juifs auquel ils ont apporté leurs présents. Dans le baptême que Jean-Baptiste confère à Jésus, nous ne sommes plus devant la manifestation mystérieuse d’un enfant mais devant un adulte. Le baptême du Christ va être l’occasion de manifester publiquement l’identité de Jésus. « Tu es mon Fils, mon bien-aimé ». Les bergers avaient été entraînés par les voix des anges, les mages avaient été guidés par une étoile, au moment du baptême du Christ, c’est le ciel lui-même qui s’ouvre et la voix de Dieu qui s’exprime. L’Esprit-Saint apparaît sous une apparence corporelle, descend sur Jésus et une voix venant du ciel déclare : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (Lc 3,22). Les évangiles synoptiques, sous des formes différentes, expriment la même déclaration sur l’identité de Jésus comme Fils de Dieu. Il n’est donc pas seulement le Sauveur que le monde attend, il n’est pas seulement le roi d’Israël auquel les mages ont voulu rendre un hommage, il est le Fils de Dieu et il l’est pour le monde. Dans la nuit de Bethléem, il n’y avait que quelques bergers avec Marie et Joseph ; la vénération des mages se déroule dans la même discrétion et dans l’ignorance de tous, sauf d’Hérode qui a été consulté. La déclaration concernant l’identité de Jésus, Fils de Dieu, est un acte public, destiné non pas tant à Jésus qu’à ceux et à celles qui sont témoins de son baptême. Cet homme qui est baptisé, qui a pris rang parmi les pécheurs pour recevoir le baptême de conversion, cet homme-là, c’est le Fils de Dieu. Tout ce qui va suivre, c’est-à-dire l’enseignement de Jésus, les signes qu’il va accomplir, les miracles qu’il va opérer, le don qu’il va faire de sa vie sur la croix, sa résurrection, tout cela ne peut être compris qu’à la lumière de cette identité : c’est le Fils de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même. C’est Dieu lui-même qui intervient pour le salut des hommes. Ce que vous allez voir et entendre, jour après jour, semaine après semaine, en méditant les lectures liturgiques, ne sera qu’une sorte d’illustration de cette révélation divine portée sur Jésus.

Nous sommes un peu marqués par le rationalisme de notre époque, et l’on entend parfois s’étonner que cette voix venue du ciel s’adresse à Jésus lui-même. Y avait-il quelque chose qu’il ne savait pas et que la voix du Père lui a révélé ? Ou bien ce dialogue entre le Père et le Fils, sous l’ombre de l’Esprit, était-il une révélation destinée aux témoins ? Mais il reste une question pour nous qui participons du baptême du Christ par notre propre baptême : qu’est-ce que cela change ? L’évangile de saint Luc, depuis le début, s’est employé à nous faire comprendre que le Fils qui naîtrait de Marie serait conçu de Dieu, qu’il serait Fils de Dieu, Fils du Très Haut. Fils de Dieu, il l’était, de tout temps, depuis les origines, et même de toute éternité. Fils de Dieu, il l’était dès sa naissance. Pouvons-nous comprendre l’utilité de cet événement ? Ceux qui se présentent au baptême, qu’ils soient adultes ou enfants -je l’entends souvent dire- sont enfants de Dieu. Ils ne deviennent pas enfants de Dieu parce qu’ils sont baptisés. Ils sont enfants de Dieu non seulement depuis leur naissance mais même avant leur naissance. Le prophète nous dit que Dieu a visité son prophète dès le ventre de sa mère. Le baptême ne va donc pas créer de toute pièce ce qui n’existerait pas mais il apporte une manifestation publique, comme nous le célébrons dans l’Église, c’est-à-dire un signe visible et sacramentel d’une réalité qui jusque-là n’apparaissait pas. Il était Fils de Dieu mais personne ne le savait. D’ailleurs, dans la suite des évangiles, il arrivera à plusieurs reprises qu’on fasse grief à Jésus de se considérer comme Fils de Dieu, lui qui n’est qu’un homme. Il apparaît en tout point comme un homme et il est Fils de Dieu. Chacun et chacune d’entre nous, nous apparaissons comme tout le monde, et pourtant nous sommes dépositaires et bénéficiaires d’une identité qui n’est pas de nous, mais qui vient de Dieu. Nous devenons fils de Dieu dans le Fils. Ce qu’il était par nature et par naissance, nous le devenons par adoption. La vie sacramentelle de l’Église donne sa dimension universelle et sociale à un événement individuel qui transforme notre personnalité. Nous ne sommes pas seulement devenus fils de Dieu. Nous sommes devenus fils de Dieu dans l’Église, membre du corps ecclésial. Le sacrement que nous recevons en entrant dans l’Église, en devenant membre du corps ecclésial, manifeste visiblement ce qui est vrai de toute éternité.

C’est pourquoi, notre participation à la vie sacramentelle n’est pas simplement un itinéraire particulier et personnel, c’est un acte constitutif de l’Église à travers notre baptême, à travers notre confirmation, à travers l’eucharistie que nous recevons. C’est le corps du Christ qui se constitue et auquel nous sommes publiquement et visiblement associés. On ne peut pas être chrétien dans le secret. On ne peut pas être fils de Dieu dans le secret. On ne peut pas cacher qui l’on est.

Alors, frères et sœurs, en cette fête du baptême du Christ, nous rendons grâce de ce qu’il nous a associés à sa propre identité de Fils de Dieu, de ce qu’il nous a entraînés dans la manifestation de cette identité à la foule qui l’entoure et de ce qu’il nous appelle aujourd’hui à montrer que, nous aussi, nous avons été appelés à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, en montrant que la parole de Dieu, pour nous comme pour Jésus, a ouvert dans le temps et dans le monde des chemins de vie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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