Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 1er dimanche de Carême – Année C

Dimanche 14 février 2016 - Notre-Dame de Paris

Le carême est un temps de conversion pour l’Église, pour les catéchumènes, pour nous tous, à la lumière de l’Année de la miséricorde et de la Parole de Dieu. Ces 40 jours sont comme un exode pour le Christ et pour chacun de nous. Au-delà des tentations que nous éprouvons, nous sommes associés au Christ dans son combat contre l’esprit du mal. Nous ne sommes pas appelés à déconstruire le mal mais à nus en détourner en nous appuyant sur la Parole de Dieu.

 Dt 26,4-10 ; Ps 90, 1-2.10-15 ; Rm 10,8-13 ; Lc 4,1-13

Frères et Sœurs,

Le temps du carême dans lequel nous sommes entrés est un temps de conversion. Temps de conversion pour l’Église tout entière appelée par la mobilisation de ses assemblées à travers le monde à accueillir d’une façon plus ferme, plus déterminée et plus éclairée la Parole de Dieu et ses appels à une vie meilleure. Un appel à la conversion pour celles et ceux qui vont recevoir le baptême, la confirmation et l’eucharistie au cours de la Vigile pascale à travers le monde. Hier, j’avais la grâce de célébrer ici-même l’appel décisif des 400 adultes parisiens qui seront baptisés au cours de la Vigile pascale. Pour chacune et chacun d’entre eux, ce temps de carême est la dernière étape avant leur baptême, une chance renouvelée de mieux conformer leur vie à l’évangile du Christ. C’est un temps de conversion pour l’Église, un temps de conversion pour les catéchumènes, c’est un temps de conversion pour chacun et chacune d’entre nous qui allons être invités à renouveler les promesses de notre baptême au moment de la célébration de Pâques. Ce n’est pas parce que ce temps de conversion nous est proposé chaque année qu’il nous faut l’aborder d’une façon désabusée devant les échecs que nous avons pu encourir dans les années passées, comme si, puisque nous n’avons pas encore réussi à devenir des saints, il valait mieux renoncer à emporter le projet et accepter finalement de finir notre vie dans la médiocrité. Un temps de conversion que nous sommes invités à vivre à la lumière de la Parole de Dieu et à la lumière de l’année jubilaire de la Miséricorde promulguée par le pape François et qui éclaire d’une façon singulière ce temps de conversion, et plus exactement l’expérience de la conversion à laquelle nous sommes invités. En effet, il est bien évident qu’il n’y aurait pas de conversion possible ni même imaginable si d’abord, nous n’étions convaincus et certains de la miséricorde de Dieu.

C’est pourquoi la liturgie nous prépare à ce temps de conversion et nous invite à y entrer en plaçant au cours de ce premier dimanche de carême des lectures bibliques qui nous mettent dans cette perspective de la miséricorde de Dieu agissant pour le monde. Cette miséricorde de Dieu s’est manifestée à l’égard du peuple élu quand il l’a conduit à travers le désert pour le mener à la Terre promise. Dans l’Écriture, ce cheminement du désert est exprimé sur une période de quarante ans. Le temps des tentations de Jésus au désert est chiffré à quarante jours, précisément pour nous indiquer qu’à travers l’épreuve du Christ, c’est comme un nouvel exode qui nous est proposé, une nouvelle occasion après celle qu’avait connue Israël, de passer de l’esclavage à la liberté.

Cette conversion est éclairée par la Parole de Dieu. Saint Paul nous rappelle, à la suite du Livre du Deutéronome d’ailleurs, que cette parole n’est pas d’abord un message lointain et inconnu, mais qu’elle est d’abord présente en nos cœurs : « la Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur » (Rm 10,8). Cette parole éclaire chacune de nos existences, à condition évidemment que nous acceptions de l’entendre. Cette conversion éclairée encore par l’Écriture à travers le récit des tentations de Jésus au désert ne manque jamais de provoquer chez nous des réflexions, tellement nous avons répugnance à imaginer que Jésus, le Fils de Dieu, ait pu être réellement tenté. La tentation, on s’imagine que l’on sait ce que c’est parce que de temps en temps, on a envie de faire quelque chose qui n’est pas bien et que cela nous coûte un peu de ne pas le faire ! Mais finalement, ce genre de tentation qui traverse chacune de nos existences est une tentation morale qui ne touche pas encore au cœur du drame dont le Christ est le principal acteur. Les tentations du Christ ne sont pas de cet ordre-là, et nous avons bien raison de penser que ce n’est pas sous cette forme qu’il éprouve la tentation. Comme l’Écriture l’atteste, les tentations qu’il éprouve se présentent sous la forme d’un choc frontal avec le Diable, c’est-à-dire avec l’esprit du mal. C’est ce choc qui est l’enjeu, non seulement de la mission de Jésus pour laquelle il a reçu l’Esprit Saint et qui l’a envoyé dans cette épreuve au désert, mais encore pour l’humanité tout entière, car de la façon dont Jésus va faire face dans cette confrontation dépend ce que l’humanité va devenir.

C’est pourquoi, à travers ces tentations, nous ne sommes pas invités seulement à prendre en considération leur contenu sur lequel on peut toujours réfléchir : tentation d’accaparer les biens de ce monde dans la consommation, tentation d’exercer une domination universelle à travers une soumission au pouvoir politique, tentation de se laisser emporter par des pratiques idolâtriques et de vénérer quelqu’un d’autre que Dieu… Il me semble que dans le récit de l’Évangile, quelque chose nous est proposé d’usage plus immédiat pour nous, en considérant le mécanisme par lequel le Christ est tenté et la façon dont il réagit à cette tentation. A chacune des tentations auxquelles il est confronté, il répond en citant la Parole de Dieu. Bien sûr, Jésus avait par lui-même suffisamment de moyens et de capacités d’entrer dans une discussion, peut-être de convaincre, en tout cas d’imaginer qu’il pouvait convaincre. Nous sommes si souvent tentés de le faire quand nous sommes confrontés à une tentation personnelle. Nous imaginons qu’on peut s’en sortir à condition de discuter, d’opposer des arguments, de convaincre ou de nous convaincre qu’il faut faire autrement. Mais l’expérience nous montre bien que de ce genre d’exercice, nous ne sortons jamais vainqueur. En réalité, nous ne sommes pas dans le même registre. Nous discutons de bonne foi avec des arguments de raison face à un interlocuteur qui n’est pas dans la bonne foi et qui ne s’appuie pas sur la raison ! Ainsi donc, toute notre argumentation peut éventuellement nous intéresser, mais elle est vouée à l’échec ! C’est pourquoi, quand nous sommes confrontés au mal, nous ne sommes pas invités à le déconstruire mais à nous en détourner. La seule façon de nous en détourner, comme Jésus nous le montre dans l’évangile, c’est de nous appuyer sur la Parole de Dieu lui-même. Ce n’est pas l’homme qui vient à bout du démon, c’est Dieu qui vient à bout du démon.

Si nous sommes engagés dans cette lutte, ce n’est pas à notre compte personnel au titre de notre propre avenir. Nous sommes engagés dans ce combat parce que nous faisons partie du Corps du Christ et qu’avec le Corps du Christ nous sommes engagés dans cette lutte qui vise à l’abattre et qui semblera y parvenir au moment de sa mise à mort.

Ainsi, frères et sœurs, à l’entrée de ce carême, je voudrais vous proposer de renouveler votre espérance profonde dans la miséricorde de Dieu, dans la puissance de sa Parole, dans la force qu’il met en œuvre pour venir au secours, non seulement de son peuple tenu esclave en Égypte, non seulement de ceux qui sont dans la détresse, mais de tout homme et de toute femme qui cherche la lumière. Que la Parole de Dieu que nous recevons régulièrement, que nous pouvons méditer, dont nous possédons des bribes plus ou moins importantes présentes à notre mémoire, soit le fer de lance de ce combat pour la conversion qui nous conduira à renouveler l’engagement de notre baptême.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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