Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND des Foyers – 5e dimanche de carême – Année C

Dimanche 13 mars 2016 - Notre-Dame des Foyers (Paris XIXe)

Face au mal, nous recherchons des causes et des responsables. Il nous est naturel de désigner des coupables et de vouloir les punir. Jésus, dans l’épisode de la femme adultère, retourne la situation. Il nous renvoie à notre propre péché pour nous conduire à la conversion. C’est l’itinéraire du Carême.

 Is 43, 16-21 ; Ps 125 ; Ph 3, 8-14 ; Jn 8, 1-11

Frères et Sœurs,

Nous connaissons bien cette scène où Jésus refuse de condamner une femme prise en flagrant délit de péché. Si l’évangile nous la présente, ce n’est évidemment pas pour encourager les hommes à faire le mal, mais c’est pour nous aider à comprendre comment nous nous situons par rapport au mal. Nous voyons comment les scribes et les pharisiens réagissent en condamnant, comme si le fait de pouvoir désigner des coupables pouvait faire disparaître le mal. Le mal qui a été accompli, ou le mal qui survient, ne sont pas toujours de la responsabilité de quelqu’un. Le mal est quelquefois dû à la responsabilité de quelqu’un, mais il arrive aussi des malheurs qui ne mettent pas directement en cause la responsabilité de quelqu’un. Comme moi, quand vous regardez la télévision, quand vous écoutez la radio ou que vous lisez votre journal, vous découvrez ce réflexe qui s’est développé dans notre société pour transformer tout le monde en accusateur, comme si le fait de pouvoir désigner des responsables soulageait l’homme du malheur qui le frappe. Qu’il s’agisse effectivement de quelqu’un qui a fait du mal, ou qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, d’inondations, de tremblements de terre, d’accidents, bref de calamités de tous ordres, tout de suite, il faut trouver qui n’a pas fait son travail, qui peut être désigné comme le coupable. Et si par hasard il manque quelque chose dans le dispositif des lois, on se dépêche d’en faire une autre pour trouver de nouveaux coupables, comme si on avait besoin de cette accusation pour nous délivrer de notre propre responsabilité.

Nous voyons comment la discussion entre Jésus et les scribes et les pharisiens aboutit à un retournement. Devant cette situation où, effectivement, une femme est coupable, reconnue coupable, prise en flagrant délit, il ne s’agit pas de discuter si elle est innocente ou si elle est coupable, ce n’est pas le problème. Le problème est de savoir comment on va traiter cette situation. Que va-t-on faire ? Pour les scribes et les pharisiens, il y a un article de la loi qui correspond exactement à ce cas. Ils peuvent donc désigner quelqu’un à punir. Ils demandent à Jésus d’approuver leur accusation et leur punition. Évidemment, Jésus ne peut pas dire que cette femme est innocente, il ne peut pas dire que c’est bien de vivre dans l’adultère. Alors, que va-t-il faire ? Il va retourner le miroir. Au lieu de fixer la lumière sur la femme coupable, il déplace légèrement le miroir et porte la lumière sur ceux qui l’accusent, pour nous aider à comprendre que ce qui fait avancer le monde, ce n’est pas de trouver le plus de coupables, mais c’est que les événements qui arrivent inévitablement doivent nous faire réfléchir sur notre propre manière de vivre, sur notre propre péché. L’Évangile n’est pas un système pour trouver des coupables. L’Évangile vient nous aider à faire retour sur nous, même quand nous sommes devant des gens qui sont réellement coupables. Il nous invite non pas à ajouter une accusation de plus, à jeter une pierre de plus, mais il nous invite à nous demander si nous, nous sommes innocents. Et si nous sommes honnêtes, nous devons bien reconnaître que nous ne sommes pas innocents. C’est pourquoi, ce sont les plus âgés qui s’en vont les premiers, car ils ont compris que dans leur vie, ils ont fait peut-être plus de mal que cette femme dans son adultère.

Ainsi, vivre de la miséricorde de Dieu, ce n’est pas fermer les yeux sur le mal, ce n’est pas refuser de reconnaître qu’il y a des gens qui sont coupables, mais c’est de nous regarder nous-mêmes dans la lumière de Dieu et de découvrir ce qu’il y a de sale et de perverti dans notre propre vie.

Ainsi, nous ne sommes pas enfermés dans le passé et dans le mal commis. Le prophète Isaïe nous le dit : « Dieu est en train de créer quelque chose de neuf » (Is 43,19). Comme nous le dit aussi l’apôtre saint Paul dans l’épître aux Philippiens : Nous sommes dans l’espérance, « je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » (Ph 3,14) Une seule chose compte : en oubliant ce qui est en arrière et orienté vers l’avant, le chrétien ne se laisse pas emprisonner par le mal qui a été fait ou dans le mal qu’il a fait, il se laisse délivrer par le Christ pour mener une vie nouvelle.

C’est ce que nous avons reçu dans notre baptême, c’est ce que nous allons renouveler au cours de la vigile pascale : détourner notre regard de la mort qui est à l’œuvre pour nous laisser entraîner vers la vie qui nous est proposée. Mais détourner notre regard de la mort pour nous laisser entraîner vers la vie, cela veut dire que nous ne sommes pas à l’affût comme certains toujours assoiffés de sang, pour traquer les failles, les erreurs, les fautes des autres. Au contraire, nous sommes à l’affût pour traquer les liens qui nous empêchent, nous, d’avancer dans cette vie nouvelle à la suite du Christ. Nous sommes invités non pas à faire le ménage dans la vie des autres, mais à nous convertir nous-mêmes et à revenir vers la source de la vie qui est le Christ.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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