Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe chez Petites Sœurs des Pauvres – Fête de saint Joseph

Samedi 19 mars 2016 - Petites Sœurs des Pauvres (6e)

La place de saint Joseph auprès de Jésus le conduit à assumer la responsabilité paternelle. Protecteur de Jésus et de la Sainte Famille, il apparaît aussi protecteur des familles, de l’Église universelle et de l’humanité tout entière. Cette mission de protection est nécessaire en raison des fragilités et des souffrances que portent les familles, l’Église et l’humanité. Saint Joseph nous conduit à nous appuyer davantage sur la force de Dieu que sur nos propres forces.

 Sa 7,4-5a.12-14a.16 ; Ps 88 ; Rm 4, 13.16-18.22 ; Mt 1,16.18-21.24

Frères et Sœurs,

Comme nous le comprenons en entendant cet évangile, Joseph se situe exactement dans l’articulation entre la promesse faite à Israël - telle qu’elle nous est rapportée dans l’histoire de David - et sa réalisation dans la naissance de Jésus, Fils unique de Dieu, qui nous rattache à la promesse ancienne, non plus simplement par l’héritage du sang mais par la foi. Cette articulation sera l’une des difficultés principales pour les contemporains de Jésus invités à reconnaître en lui non seulement le fils de Joseph, mais surtout le Fils de Dieu. Joseph, qui n’est pas son père, hérite cependant de la responsabilité paternelle qu’il exerce à l’égard de Jésus, notamment parce que l’Ange le charge de donner à Jésus son nom : « Seigneur qui sauve ». Il appartient à la responsabilité paternelle dans la coutume juive, de choisir le nom de l’enfant et de le donner. Nous avons en mémoire un autre exemple avec la naissance de Jean-Baptiste. Joseph, aux yeux de tous, apparaît comme le père de Jésus, celui qui lui a donné son nom. Pourtant, Joseph sait de science certaine que cet enfant vient de Dieu, qu’il a été conçu par le don de l’Esprit Saint, et qu’il n’en est que le père adoptif.

Ainsi, la personnalité de Joseph - dont il faut honnêtement reconnaître que nous ne connaissons pas grand-chose en dehors de ces quelques versets de l’évangile - prend cependant une tournure particulière. Il est chargé de veiller, de garder, de protéger cet enfant qu’il reçoit dans la foi, de la même façon que Marie a reçu cet enfant dans la foi. Ainsi, de ce rôle de protecteur de la sainte famille que nous reconnaissons à travers cette position particulière de père adoptif, la dévotion chrétienne a reconnu en Joseph, celui qui est préposé à la protection non seulement de Marie et de Jésus dans le cadre de leur vie familiale à Nazareth, mais encore de la nouvelle famille que Jésus va inaugurer à mesure qu’il va constituer son Église. Ses disciples et ceux qui les suivent, Jésus les désignera très vite comme ses frères, comme sa famille : qui est ma mère et qui sont mes frères ? « Ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (Lc 8,21). De même que le rôle confié à Joseph débordait la simple hérédité sanguine de la naissance pour inaugurer une responsabilité spirituelle de l’ordre de la foi, de même cette famille qui se constitue autour de Jésus n’est plus simplement la famille du sang, c’est la famille de l’espérance et de la foi en la parole de Dieu. Ainsi, Joseph se trouve instauré protecteur non seulement de la Sainte famille, mais aussi de la famille ecclésiale. Dans ce rôle de protecteur de la famille ecclésiale, nous avons besoin, de temps à autre, de nous confier et de nous remettre à lui pour la vie ordinaire de nos familles. S’il est protecteur de la famille ecclésiale, il est en même temps aussi protecteur de toutes les familles. Dans la douleur, dans le chagrin, nous savons combien cette expérience de la vie familiale peut être fragilisée et rendue difficile, j’allais dire par les temps que nous vivons… Mais il faut être honnête, ce n’est pas seulement par les temps que nous vivons ! La vie familiale sereine et paisible à laquelle nous aspirons n’a jamais été vraiment la loi générale de l’histoire humaine, sauf dans nos rêves quand on reconstitue une histoire passée dont, à mesure que l’on avance en âge, les détails s’embellissent et les défauts s’estompent…

Il n’est pas facile de réussir une vie de famille. Je voudrais que notre prière accompagne aujourd’hui les pères de famille qui organisent un pèlerinage en cette fête de saint Joseph. Cela a commencé à Cotignac il y a déjà assez longtemps, et maintenant il y a des groupes un peu partout. Dans la région parisienne, il y a un pèlerinage des pères de famille qui se déroule aujourd’hui, à travers lequel ceux qui exercent une mission de veille, de protection sur leur famille, demandent la grâce de Dieu pour être fidèles à cette mission et pour l’accomplir du mieux qu’ils peuvent.

Joseph protecteur des familles, Joseph protecteur de l’Église, patron de l’Église universelle. Il a veillé sur la Sainte famille de Nazareth, il a veillé sur la nouvelle famille créée par Jésus, il continue de veiller sur l’Église du Christ. De même que la vie de famille que j’évoquais tout à l’heure, n’a pas été un chemin paisible à travers les siècles, de même la vie de l’Église n’a pas été un chemin paisible à travers les siècles. Là encore, on arrive sans faire beaucoup d’efforts à reconstituer une histoire tout à fait irénique, paisible et fructueuse qui oublie quand même beaucoup de détails et beaucoup d’événements qui ont marqué l’histoire de l’Église… En réalité, cette histoire de l’Église n’est pas simplement marquée par la violence des événements, mais par un élément constitutif du groupe des disciples du Christ qui est sa fragilité. Nous vivons souvent, inconsciemment, avec une image de l’Église comme une puissance monumentale, à l’exemple d’un énorme édifice qui peut résister à toutes les intempéries… Il faut reconnaître que notre Église est plus souvent un peuple fragile, exposé à beaucoup d’agressions, de faiblesses et d’erreurs ! Nous avons donc besoin d’un protecteur spécialement chargé de la vie de l’Église. Nous avons besoin que notre Église soit protégée, non pas pour lui éviter les coups, mais pour lui permettre de vivre les difficultés habituelles ou exceptionnelles, en nous appuyant sur la force de Dieu et non pas sur nos propres forces.

Joseph, protecteur de la famille, protecteur de l’Église universelle. Joseph est aussi, par sa mission qui lui fait transmettre la lignée de David à Jésus, le Seigneur qui sauve, protecteur de l’humanité, non seulement de la famille, non seulement de l’Église, mais encore protecteur de l’humanité tout entière car - le Concile l’a suffisamment rappelé - notre Église est appelée à vivre sacramentellement - c’est-à-dire d’une façon symbolique mais réelle et efficace -, la réunion et la communion de l’humanité tout entière.

Ainsi, les difficultés que nous rencontrons, les tiraillements qui peuvent exister dans notre corps ecclésial, les faiblesses que nous devons assumer, ne sont pas simplement des expériences qui seraient réservées à l’Église, ce sont des expériences communes à l’humanité tout entière. Celle-ci est aussi - et nous n’avons pas besoin de chercher beaucoup pour en avoir le témoignage et le signe -, traversée par des divisions profondes, des hostilités violentes, des guerres cruelles, des malheurs multiples. L’humanité est aussi victime de ses propres faiblesses.

En ce jour où nous célébrons la fête de saint Joseph, nous prions d’une façon particulière pour nos familles, pour l’Église et pour le monde.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris.

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