Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Jeudi saint – Messe à ND en mémoire de la Cène du Seigneur

Jeudi 24 mars 2016 - Notre-Dame de Paris

Au cours du dernier repas que Jésus partage avec ses disciples, il donne le sens des événements qui vont se dérouler par la suite. Jésus se fait serviteur et offre sa vie en sacrifice sur la croix pour le salut du monde. Le sacrement de l’eucharistie nous fait participer à cet événement. La communion sacramentelle et la mise en pratique de l’amour fraternel nous donnent accès au fruit du sacrifice de Jésus.

 Ex 12,1-8.11-14 ; Ps 115, 12-13.15-18 ; 1 Co 11,23-26 ; Jn 13,1-15

Frères et Sœurs,

Le livre de l’Exode, en relatant le sacrifice de l’agneau pascal dont le sang devait marquer les portes des familles des Hébreux pour qu’ils soient préservés de la mort, invite le peuple d’Israël à faire éternellement mémoire de cet événement qui marque le premier pas du salut, de la sortie de l’esclavage en Égypte. Tout au long de son histoire, jusqu’à nos jours, le peuple d’Israël est fidèle à faire mémoire de cette nuit pascale et il la célèbre avec dévotion. C’est la mémoire de la fidélité de Dieu envers son peuple. Mais c’est en même temps une mémoire fixée sur l’événement initial qui ne sera pas réitéré.

Au cours du dernier repas que Jésus prend avec ses disciples, il les invite aussi à faire mémoire du repas qu’ils ont partagé ensemble, comme à se souvenir du geste par lequel il veut donner le sens des événements qui vont se dérouler, et qu’il les invite à renouveler eux-mêmes les uns pour les autres. En effet, en prenant la situation d’esclave pour laver les pieds de ses disciples, Jésus manifeste d’une façon concrète, immédiatement compréhensible, le sens des événements dont ils seront les témoins le lendemain, au moment de sa crucifixion. Lui, le Seigneur et le Maître, non seulement se fait le serviteur de ses disciples, mais offre sa vie en sacrifice pour le salut du monde en mourant sur la croix.

Nous pourrions évidemment suivre les indications de Jésus en faisant mémoire de ces événements, comme nous venons de le faire, en lisant l’évangile de saint Jean et la première épître aux Corinthiens, mais le Seigneur ne nous donne pas simplement la possibilité de nous souvenir de ce qu’il a fait, d’évoquer les événements qu’il a vécus pour rendre grâce à Dieu de sa fidélité envers l’humanité. Il ne donne pas seulement aux disciples la consigne de ne pas oublier et de faire éternellement mémoire de ce qu’ils ont vécu avec lui, il leur donne le moyen de participer eux-mêmes à l’événement. En effet, en bénissant le pain et en le partageant entre eux, en disant « ceci est mon corps livré pour vous » (1 Co 11,24) il anticipe l’événement de sa Passion, de telle façon que les disciples - qui d’ailleurs se feront remarquer par leur absence au moment du sacrifice - puissent cependant prendre part à ce sacrifice : « Prenez et mangez-en tous ». En recevant ce pain, ils reçoivent non seulement une portion de nourriture, mais ils reçoivent le moyen de communier à l’offrande que Jésus fait de sa vie, de bénéficier du salut qu’il va rendre possible, et de pouvoir offrir eux-mêmes leur vie avec lui.

Cette anticipation, on peut la qualifier de symbolique, parce qu’évidemment au moment de la Cène, le corps du Christ n’est pas divisé, son sang n’est pas versé, mais cependant, le pain qu’ils reçoivent est le corps de Jésus, le vin qu’ils boivent est le sang de Jésus, versé pour eux et pour la multitude. Cette anticipation, qui leur permet d’être personnellement associés au sacrifice du Christ, devient le chemin sacramentel par lequel, en tout temps, on pourra communier au don que Jésus fait de sa vie, non pas en répétant le sacrifice du calvaire, mais en participant à ce sacrifice par la communion au pain et au vin consacrés. C’est ainsi que les eucharisties que nous célébrons ne sont pas simplement une évocation du sacrifice du Christ, elles sont réellement participation au sacrifice du Christ. Quand nous mangeons ce pain et quand nous buvons à cette coupe, « nous annonçons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11,26) nous dit saint Paul. De même que notre communion au corps et au sang de Jésus sous l’apparence sacramentelle du pain et du vin nous donne pleinement accès au fruit de son sacrifice, de même la mise en pratique de l’amour fraternel auquel Jésus nous invite par le lavement des pieds, nous donne une autre manière d’entrer réellement en communion avec le Christ serviteur. Quand, suivant la prescription de Jésus, je vais tout à l’heure laver les pieds de douze d’entre vous, je ne ferai pas simplement une représentation théâtrale de ce que Jésus a fait au moment de la Cène, je mettrai vraiment en pratique le sens du ministère qui m’est confié d’être serviteur du peuple de Dieu, comme Jésus invite ses disciples à se faire les serviteurs les uns des autres. Ainsi, de même que le pain et le vin consacrés nous ouvrent la possibilité de communier au sacrifice du Christ, la mise en pratique de l’amour du Christ pour les hommes à travers notre manière d’être nous donne, elle aussi, la possibilité de communier au don du Christ. La communion eucharistique n’est pas le seul chemin de communion avec le Christ, c’est un chemin privilégié. Mais nous savons qu’en tout temps, en tout lieu, à quelque moment que ce soit, nous sommes capables d’entrer en communion avec le Christ et de bénéficier de la grâce de cette communion simplement en mettant en pratique le commandement de l’amour qu’il nous a laissé. Ce commandement est valable en tout temps, en tout lieu, pour toute personne. Quiconque se met au service de ses frères, quiconque prend la position du serviteur pour s’humilier et se mettre vraiment dans la position de celui qui n’est pas le maître, celui-là entre en communion avec le Christ et bénéficie de toute la grâce de cette communion.

Ainsi, frères et sœurs, en ce soir où nous nous rendons présents à la Cène du Seigneur, nous préparons déjà les événements auxquels nous participerons demain. En partageant le pain qu’il nous donne, en recevant le vin qui est son sang, nous entrons dans le mystère de sa mort et de sa résurrection pour que l’amour grandisse en chacun d’entre nous et nous permette de nous mettre au service les uns des autres. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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