Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe au Sacré-Coeur du Dimanche de la Divine Miséricorde – Deuxième dimanche de Pâques – Année C

Dimanche 3 avril 2016 - Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (Paris XVIIIe)

Face à la multitude d’accusateurs dans le monde, nous avons besoin de miséricorde. Jésus, ressuscité, confie à ses disciples la mission de remettre ou maintenir les péchés. L’Église est chargée de poursuivre cette mission au milieu des hommes pour leur transmettre la paix que le Christ est venu apporter. La miséricorde, c’est une manifestation de l’amour de Dieu. Les chrétiens en sont les témoins parce qu’ils sont appelés à en vivre.

 Ac 5,12-16 ; Ps 117 ; Ap 1,9-11a.12-13.17-19 ; Jn 20,19-31

Frères et Sœurs,

En choisissant ce deuxième dimanche de Pâques pour en faire le dimanche de la Miséricorde, le Pape saint Jean-Paul II voulait évidemment renvoyer au message diffusé par sœur Faustine, mais il voulait surtout répondre à l’aide de ce message, à ce qu’il pressentait comme une attente importante de nos contemporains : le besoin de miséricorde. Le monde a besoin de miséricorde, nous avons besoin de miséricorde. Il suffit que nous regardions, ou que nous lisions les nouvelles quotidiennes, que nous observions un peu comment fonctionne notre société pour découvrir très vite que nous sommes mieux pourvus en accusateurs qu’en personnes prêtes à être témoins de la miséricorde. Comme si, à mesure que les objectifs de la morale s’étaient dissous, on avait développé simultanément le nombre des procureurs et des juges pour condamner tout un chacun. Comme si la machine médiatique qui devrait nous informer, s’était donné comme tâche de découvrir des coupables partout et de les désigner à la vindicte générale. Oui, nous avons dans notre monde beaucoup d’accusateurs, beaucoup de procureurs, mais peu de gens prêts à se reconnaître pécheurs, et peu aussi à solliciter la miséricorde et le pardon.

Si saint Jean-Paul II a choisi ce dimanche pour en faire le dimanche de la miséricorde et ouvrir ainsi une voie pour répondre à ce besoin de miséricorde, c’est sans doute en référence à cet évangile qui nous relate l’apparition du Christ ressuscité à ses disciples. En effet, dans cette apparition de Jésus aux disciples, il y a non seulement la formule habituelle de salutation : « la paix soit avec vous ! » (Jn 20,19), mais nous pouvons discerner à travers cette formule ordinaire, un contenu beaucoup plus important. Quand Jésus dit : la paix soit avec vous, il ne dit pas simplement « bonsoir ». Il dit ce qu’il est capable de faire. Il est capable d’apporter la paix non seulement aux disciples, mais à tous les hommes. Pour mettre en œuvre cette action de miséricorde, de pardon et de paix, il institue ses disciples comme ministre de la réconciliation. En répandant sur eux son Esprit, en soufflant sur eux pour leur donner cet Esprit, Jésus leur confie une mission : remettre les péchés ou les maintenir selon les dispositions du cœur de ceux auxquels ils s’adressent. « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (Jn 20,23). Cette mission d’être ministre et témoin de la miséricorde de Dieu, éclairée et fortifiée par le don de l’Esprit Saint, c’est ce que l’Église reçoit pour être mise en œuvre au milieu des hommes. C’est ce que le Pape François a voulu manifester de manière plus sensible et plus forte en décrétant que cette année serait une Année jubilaire de la Miséricorde.

La miséricorde de Dieu n’est pas une sorte d’indifférence ou d’oubli devant le mal que nous pouvons faire. Ce n’est pas une sorte de manifestation de faiblesse, comme si Dieu avait besoin lui-même de se faire pardonner. La miséricorde de Dieu, c’est un signe de puissance, c’est la mise en œuvre de la capacité que Dieu a de surmonter notre péché, de l’assumer et de le vaincre, à condition évidemment, que nous-mêmes, nous soyons disposés à nous reconnaître pécheurs. La miséricorde de Dieu, c’est cette ouverture de son cœur pour accueillir tous ceux et toutes celles qui viennent à lui en se frappant la poitrine, et en reconnaissant leurs péchés. C’est la capacité de Dieu à ouvrir plus largement les portes du salut, non pas en fonction de nos mérites, mais en fonction de son amour.

Nous le disons juste avant de communier : « Ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église ». C’est sur cette foi de l’Église, dans le don de l’Esprit consolateur, de l’Esprit de miséricorde, de l’Esprit de réconciliation, que nous osons, semaine après semaine, nous présenter devant Dieu et implorer son pardon et sa miséricorde. La certitude que nous avons de sa réponse ne vient pas de révélations particulières. La certitude de sa réponse nous vient de la connaissance que nous avons de son Fils Jésus-Christ, du sacrifice qu’il a fait de sa vie pour racheter le péché du monde, du don qu’il a fait de sa vie pour que nous ayons nous-mêmes la vie, comme nous le dit l’évangile de Jean, pour qu’« en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn 20,31). C’est la certitude que dans la personne de Jésus de Nazareth, Dieu lui-même prend sur lui la charge de notre péché et déverse sur nous le flot de sa miséricorde.

Ainsi, cette certitude de la miséricorde de Dieu est une source de joie, comme nous le dit l’évangile de Jean : « quand les disciples voient le Seigneur, ils sont remplis de joie » (Jn 20,20). La vue du Seigneur ressuscité est la garantie de la victoire de l’amour sur la haine, de la victoire de la vie sur la mort, de la victoire de Dieu sur le mal. C’est pourquoi, tous ceux qui sont disciples du Christ, qui ont reçu le pardon de leurs péchés par le baptême, qui réactualisent ce pardon par le sacrement de la réconciliation, ne peuvent pas vivre autrement que dans la paix que Jésus leur donne et dans la joie que leur procure sa présence. Les chrétiens ne sont pas obsédés par le mal, toujours à chercher ce qui ne va pas, toujours à chercher les fautes, toujours à s’accuser ou à accuser les autres plus facilement encore. Les chrétiens ne sont pas des chasseurs d’ombres, ils sont des vivants de lumière qui ont été renouvelés par le don de l’amour de Dieu, qui ont été délivrés de tout ce qui les empêche de suivre le Christ, qui ont été libérés des chaînes qui tenaient leur liberté entravée et qui ont la capacité de mettre en œuvre l’appel de Dieu à vivre dans la charité du Christ.

Aussi, frères et sœurs, en ce dimanche de la miséricorde, nous débordons de joie et nous rendons grâce à Dieu qui nous relève et qui nous renouvelle. Nous nous confions à sa miséricorde pour qu’à son école, nous apprenions à notre tour à être miséricordieux.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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